ACTUS LOCALESCULTURESOCIÉTÉ

19 ans après, « Mūtismes » réédité par Au Vent des îles

©Lucie Rabréaud

Paru en 2003, le livre de Titaua Peu avait fait scandale. Les temps changent et l’accueil de cette réédition devrait être plus mesuré. Pour Au Vent des îles, il s’agit de diffuser ce texte plus largement qu’il ne l’avait été à l’époque.

On l’a lu il y a longtemps mais on ne l’a pas oublié. Mūtismes, publié en 2003, avait créé l’événement. Réédité en 2021 par les éditions Au Vent des îles, l’accueil sera sans doute plus tempéré mais il devrait encore secouer les lecteurs. Titaua Peu ne garde pas sa plume dans son tiroir, elle aime la planter là où ça fait mal. Personne ne veut le dire ? Très bien, Titaua Peu va l’écrire. Quand elle commence à écrire Mūtismes, elle est en France. C’est la nostalgie de son pays qui lui donne le goût de raconter sa terre. Et puis quand elle rentre, six années plus tard, la pauvreté lui éclate à la figure. C’est la colère qui lui donnera l’envie de continuer. « J’ai repris le fil de mon roman et je l’ai inscrit dans la réalité de l’époque avec en point d’orgue les émeutes de 1995. Un événement historique qui m’a beaucoup affecté. » A l’époque, le livre est édité chez Haere Po, et dans ces années-là, les Polynésiens sont très peu à écrire sur leur pays. Titaua devient la plus jeune auteure du Pacifique à être éditée. Et à mettre les pieds dans le plat : parler de la société qui subit les essais, qui s’appauvrit, les effets de la colonisation. Elle ne s’attendait pas à un tel retour, le livre fait scandale.

Christian Robert, patron des éditions Au Vent des îles, redonne le contexte des années 2000 : « Si aujourd’hui le fait nucléaire est une évidence, à l’époque non.  On ne parlait pas du nucléaire et c’était quelque chose de bon pour le Pays. » Et puis la littérature ne pouvait pas être tahitienne… La sortie du livre est donc un choc et ses conséquences impacteront longtemps l’auteure qui n’écrit plus pendant dix ans. Et puis vient Pina en 2016, qui reçoit le prix Eugène Dabit l’année suivante. L’éditeur songe alors à surfer sur la vague et à rééditer Mūtismes. Nouvelle couverture mais aussi nouveau découpage du titre qui, par la même occasion, se couvre d’un tarava sur le u. Mū en tahitien signifie le silence de quelqu’un qui a quelque chose à dire mais qui se tait (dictionnaire de l’Académie tahitienne). On trouve aussi cette définition : un bruit confus, un bourdonnement, faire du tumulte. Titaua Peu voulait bien sûr dynamiter le système bien huilé des époques Flosse où personne ne parlait et surtout pas les indépendantistes qu’on faisait passer pour des terroristes. « Mūtismes est le premier manifeste pour moi, je m’étais découverte indépendantiste », raconte Titaua Peu. Ce bruit confus, ce bourdonnement, a sans doute joué son rôle dans le réveil de la société, l’auteure aime à le croire. Il était en tout cas important de redonner accès à ce classique de la littérature polynésienne et de lui donner une autre ampleur avec une diffusion nationale, comme l’explique Christian Robert.

Les premiers retours des libraires en France parlent d’une histoire à la portée universelle : c’est finalement celle que connaissent beaucoup de peuples qui cherchent des moyens de s’émanciper. Et puis au-delà de l’engagement politique du roman, c’est un exercice littéraire particulièrement réussi. Bien sûr, on apprend, on comprend, on réalise mais surtout on est emporté par l’histoire de cette jeune fille d’à peine 20 ans qui va être prise dans l’histoire de son pays. A l’époque, Jean-Marc Pambrun avait écrit dans Tahiti Pacifique Magazine : « Pour qui veut connaître, ou tout au moins tenter de comprendre la société tahitienne d’aujourd’hui, Mūtismes est, à mon avis, le premier ouvrage à lire. » Ce qui reste vrai aujourd’hui encore. Actuellement, Titaua Peu prépare un troisième roman qui sera une œuvre d’anticipation éditée en trilogie concernant le futur institutionnel du Pays : « Que veut-on ? Que va-t-on devenir ? Ces questions sont au cœur de mon écriture. »

Titaua Peu sera en dédicace ce samedi à la librairie Odyssée, de 9h à 12h et le week-end suivant (le 1er ou le 2 mai) au salon Made in fenua.

Article précedent

USA : le policier Derek Chauvin reconnu coupable du meurtre de George Floyd

Article suivant

La revue de presque de Nicolas Canteloup d'Europe 1 - Le Best of du 20/04/2021

Aucun Commentaire

Laisser un commentaire

PARTAGER

19 ans après, « Mūtismes » réédité par Au Vent des îles