Accusé d’assassinat, Steeve risquait une peine de réclusion criminelle à perpétuité. Les jurés après en avoir délibéré l’ont condamné à 20 ans de prison.
La deuxième journée du procès de l’assassinat de Toahotu a débuté par l’audition de la jeune femme qui a permis aux enquêteurs de mettre la main sur l’accusé. Celle qui a passé le début de la soirée avec lui avant qu’il ne commette son crime. Selon elle, si Steeve avait l’air stressé, en aucun cas il n’avait l’air saoul. « Il avait l’air normal, pas bourré. Il était à jeun. Il m’a parlé de Moana, me demandant s’il était chez lui et s’il y avait du monde qui traînait dans le coin. » La présidente interroge alors l’accusé, « elle dit la vérité ? » « Oui, mais j’étais vraiment bourré ce soir-là, pété », il insiste, « j’avais picolé toute la journée dans mon quartier. » « Pourquoi lui avoir parlé de Moana ? » « J’étais vraiment en colère après lui, il me devait du fric. » Puis désignant la jeune femme, « elle était saoule. » Quant au faux prénom qu’il lui a donné, Teva, « j’étais bourré madame, bien bourré, j’ai dit que des conneries ce soir-là. »
L’avocat de la défense intervient alors et par de multiples questions arrive à faire dire à la jeune femme qu’elle aussi avait bu l’après-midi, « de la vodka » avoue-t-elle et aussi fumé « du paka ». À la fin de son témoignage, au moment de quitter la salle, elle lance, « je veux une protection sociale.» « Une protection sociale ? » lui demande la juge surprise. « Oui, pour quand il va sortir. » « Il vous fait peur ? » « Ben,avec son pied de biche… » dit-elle dans un gloussement.
La légiste ne remet pas en cause la version de l’accusé
L’accusé est alors interrogé sur les circonstances du drame. La position de sa victime quand il l’a frappée, était-elle assise, debout ou allongée. Car une des personnes qui a découvert le corps a eu l’impression « qu’il avait été tué dans son sommeil. » Ce qui semble être aussi l’opinion de la présidente, qui fait remarquer que la position de la victime était « en chien de fusil au niveau de la tête du lit. » Une thèse que réfute l’accusé qui maintient que Moana était debout quand il l’a frappé à la tête.
La médecin légiste appelée à la barre ne remet pas en question la version de l’accusé. Toutefois la version selon laquelle la victime était allongée lorsqu’elle a été rouée de coups, est aussi acceptable, « les deux sont possibles » assure-t-elle. Concernant l’autopsie du corps, elle relèvera 12 plaies réparties entre le cou et la tête de la victime. Des plaies compatibles avec les dires de l’accusé qui dit lui avoir administré 4 ou 5 coups, la légiste expliquant « la longueur et la forme d’un pied de biche fait qu’avec un seul coup, cela peut occasionner trois plaies. » Selon l’experte, « le premier coup a rendu la victime inconsciente. »
« Je ne suis pas un psychopathe »
L’avocat général Robert Danielsson questionne alors l’accusé : « Qu’est ce qui fait que ce soir-là tu aies pris un pied de biche ? » L’accusé, fidèle à sa ligne de conduite, implore, « je ne veux pas me souvenir, cela hante mes nuits. » L’avocat général insiste et argumente, « si je te pose cette question, c’est pour la famille. Pourquoi cette haine ? » Là encore l’accusé élude, « je ne peux pas t’expliquer. » Hypothèses de l’avocat, « la jalousie ? Parce qu’il avait une maison ? » L’accusé, passablement énervé : « J’étais pas jaloux. Il m’entubait à chaque fois. » « Cela veut dire quoi ? » « Il me faisait des coups de pute. Je ne suis pas un psychopathe, je voulais juste qu’il me rembourse ce qu’il me devait. »
« J’ai toujours pensé que sa mort était en lien avec la drogue. »
Avant que l’instruction du dossier ne se finisse et que l’on passe aux plaidoiries, l’avocat de la défense, Me Bennouar a demandé que la présidente de la cour d’assises fasse lecture de la déposition de la mère de la victime. Elle y faisait part de l’état bipolaire de son fils, expliquait que le père du jeune homme avait coupé les ponts avec lui à cause de la drogue,et qu’elle aussi. Elle expliquait qu’il consommait de l’ice et du paka et qu’il était terrorisé par certains qui étaient dans ce milieu. Elle concluait, « j’ai toujours pensé que sa mort était en lien avec la drogue. »
« Ils ne pourront pas faire le travail de deuil »
L’instruction du dossier terminée, on passe aux plaidoiries et c’est à la partie civile de commencer. Me Algan se présente à la barre affichant devant elle une photo de la victime, Moana, avec sa famille. « Lui, c’est Moana et hier, c’était son anniversaire. » Elle dit avoir reçu ce matin un mail de sa mère, « qui l’a vu une semaine avant son décès, avant qu’elle ne quitte le territoire. » Elle en fait la lecture. « Il avait trouvé un travail qui lui plaisait. Il allait pêcher et était heureux de me ramener du poisson. Avant que ne parte il m’a dit, ‘maman, je t’aime’.»
Elle poursuit, « son père aussi aurait pu vous parler de lui, mais il ne peut pas. Lorsque je le recevais dans mon bureau, il pleurait. Il m’a expliqué qu’il s’était aperçu que ce n’était pas un enfant comme son frère ou sa sœur. Qu’il passait de l’euphorie à la dépression soudainement. Il était bipolaire. D’où sa prise de stupéfiants et notamment de paka qui calmait ses craintes, ses hallucinations. » Elle précise que son père voulait le mettre sous tutelle mais « malheureusement, il est décédé. »
Sur la défense de l’accusé qui jure qu’il lui devait de l’argent, elle questionne, « était ce une raison pour le tuer ? Il doit y avoir une autre raison. » Elle poursuit, pointant du doigt l’accusé, « Il a mené les enquêteurs sur des fausses pistes et cela a été terrible pour la famille qui s’est questionnée sur ce drame durant un an. Et même s’il a avoué, on se pose toujours la question pourquoi ? »
Prenant les jurés à témoins elle les interroge, « est-ce qu’il a des regrets ? Je n’ai pas cette impression. » Elle mime l’attitude de Steeve à la barre, droit, les mains posées bien à plat, et explique, « ce comportement c’est celui de quelqu’un qui veut contrôler les débats, pas celle de quelqu’un qui demande pardon. Ces seuls regrets sont d’avoir foutu sa vie en l’air. Pas un instant il n’a demandé pardon à la famille. Jamais. »
Elle balaie d’un revers de manche les explications de l’accusé. Le trafic de drogue : « il est incapable de gérer un trafic, tout le monde le dit. » La dette : « cette théorie ne tient pas. » Quant à sa forte alcoolisation : « c’est un mensonge », et de rappeler le témoignage de la jeune femme, « elle est catégorique, il n’était pas saoul. » Pour Me Algan, la seule explication plausible est « la haine. Il suffit de voir les photos du corps. (…) il ne lui a laissé aucune chance. C’est une exécution. »
Elle conclut à l’intention de la famille de la victime, « un peu naïvement, je leur avais fait la promesse d’avoir des réponses à leurs questions et aujourd’hui, je n’en ai pas. Ils ne pourront pas faire le travail de deuil. Il les a laissés avec leurs questions et leur souffrance. »
Entre 25 et 30 ans de prison requis
« Notre pays est gangrené par l’ice et le paka » attaque l’avocat général Danielsson qui fait remarquer, « tous les jours, il y a des affaires et cela dans tous les milieux. Et ce trafic, qui rapporte énormément, engendre des comportements de délinquance qui peuvent mener jusqu’au meurtre. » Il revient sur l’enquête, reconnaît qu’il n’y avait pas d’indices, et que c’était « un véritable travail de fourmi effectué par le top des enquêteurs, lla section de recherche de la gendarmerie. »
Il relève qu’à ses yeux, « l’intention de tuer est avérée et l’accusé est resté sur place pour s’assurer qu’il était bien mort. » Il déclare aux jurés que « l’assassinat, c’est un meurtre aggravé car il y a préméditation », et il leur explique ce qu’est la préméditation : « c’est préparer un plan et le mettre à exécution. » Il leur fait part qu’ils devront le juger avec leur intime conviction, « l’intime conviction, c’est par exemple, vous croyez en Dieu, d’autres non. C’est cela l’intime conviction. » Il demande aux jurés de condamner l’accusé à une peine d’entre 25 et 30 ans, « il est jeune, et comme cela il pourra continuer à évoluer et à s’éduquer (…) on ne connaît pas le pourquoi de son acte, mais ce pourquoi ne justifie pas l’acte en question. »
« S’il n’avait pas été triste de ce qu’il a fait, il n’aurait pas avoué »
C’est à la défense de prendre la parole. Me Bennouar s’avance, combatif. Même si l’issue est connue d’avance, il va tenter de minimiser la casse en semant le doute dans la tête des jurés sur la préméditation. Il pointe le paradoxe de cette affaire, « on dit que mon client est un menteur, qu’il n’était pas saoul, que ce n’était pas un trafiquant, mais on le croît quand il passe aux aveux. Pourquoi on le croit sur ses aveux, mais pas sur le reste ? Parce que ses réponses ne satisfont pas. »
Il l’assure, « le crime le plus abject est le crime gratuit, sans raison (…). Dans le cas de Steeve, il avait un mobile. » Sur le pied de biche, Me Bennouar a une explication : « c’est pour compenser le rapport de force, le manque de force par rapport à la victime, qui elle avait l’habitude de se battre et qui était costaud. »
Répondant à l’attaque des parties civiles qui insinuaient que l’accusé n’avait pas de regrets, il oppose, « s’il n’avait pas été triste de ce qu’il avait fait, il n’aurait pas avoué. »
Quant à la préméditation mise en avant par l’avocat général, il la réfute, avançant que « il a pris le pied de biche au cas où. Le pied de biche n’est pas fait pour tuer. C’est une arme de destination, pas une arme par nature. » Et d’affirmer, « s’il avait débarqué avec le pied de biche à la main, il n’y aurait pas ce débat. Mais là, il l’avait posé dehors et c’est après qu’il s’en est saisi. Et c’est là toute la différence. » Il le martèle, « ce n’est pas prémédité, c’est un meurtre, pas un assassinat. »
Sur la peine requise, il plaide que l’accusé « était à peine majeur et il n’a commis aucune infraction. » Il questionne, « qu’est ce qu’il va faire de ce qui lui reste de vie entre la perpétuité et la peine requise ? Je vous demande tout simplement de ne pas retenir la préméditation et d’être en dessous de la peine requise. »
Après trois heures de délibérations, le verdict du jury est tombé : la préméditation est retenue, il s’agit bien d’un assassinat, qui vaut à Steeve 20 ans de réclusion criminelle. Son avocat a déclaré que le jeune homme ne ferait pas appel de ce verdict.