ACTUS LOCALES

240 jours en solitaire sur un atoll : un défi fou pour comprendre les écosystèmes des Tuamotu


À la veille de son départ pour les Tuamotu, où il restera en autarcie sur un atoll inhabité pendant huit mois, Matthieu Juncker était sur le plateau de Radio1 ce mardi. Le biologiste décrit une expédition motivée par la science – il étudiera en immersion les Titi, oiseaux en voie d’extinction, mais aussi l’érosion, les tortues, le récif ou les menaces humaines qui pèsent sur l’écosystème – autant que par ses « rêves de gamins » et de « robinsonnade ». Son but : témoigner de la richesse et de la vulnérabilité de ces « arches de Noé » polynésiennes.

Lire aussi : Un biologiste marin en autarcie pendant huit mois pour étudier le Titi des Tuamotu

Rêve de gosse exaucé ou démarche scientifique très poussée ? « Les deux mon capitaine », répond Matthieu Juncker, qui embarquera, ce mercredi matin, pour un périple imaginé « depuis des années » et préparé depuis de longs mois. Sa destination : un atoll inhabité du centre des Tuamotu – on n’en saura pas plus. Pas question de donner des idées à des aventuriers moins précautionneux et de risquer de gâcher la quiétude des lieux. Le biologiste marin et docteur en écologie, qui a été formé au Criobe de Moorea et travaille depuis une vingtaine d’années en Nouvelle-Calédonie et dans le Pacifique, va tout faire, lui, pour ne rien déranger sur place. C’est d’ailleurs l’objet même de son expédition, baptisée « à contre courant » : pouvoir observer tout un écosystème, au long cours, et sans perturbation.

Le Titi, mais pas seulement

Huit mois, soit 240 jours, en solitaire et sans ravitaillement. Pour vivre cette expérience de Robinson – les aventures du héros de Defoe ont longtemps squatté sa table de nuit – pas question de se faire « parachuter » sans préparation… Ni sans explication. Après avoir sélectionné l’atoll en fonction de critères précis de géographie et de biodiversité, Matthieu Juncker a effectué, l’année dernière, deux missions de repérage sur place. Mais surtout il est tout de suite entré en contact avec le conseil municipal de la commune de rattachement de l’île et ses propriétaires fonciers. « Il ne s’agissait pas seulement d’avoir leur aval, explique-t-il. Mais aussi de faire en sorte qu’ils adhèrent à ce projet. Ça ne peut pas se faire sans eux ».

Et ça se fera d’ailleurs, aussi, pour eux. À son retour d’expédition, l’ancien directeur de l’Observatoire de l’Environnement de Nouvelle-Calédonie, plus tard chargé de mission sur la pêche pour la Communauté du Pacifique, devrait avoir accumulé des données exceptionnelles sur le Chevalier des Tuamotu, ce « Titi » en danger d’extinction, qui a déjà disparu de l’essentiel des îles polynésiennes. Un oiseau qui niche et se nourrit à terre, et qui est « emblématique autant que vulnérable aux pressions humaines ». De ce sujet central découle toute une série de mesures et d’observations. « Je vais étudier l’oiseau lui-même, son environnement, c’est à dire, le motu avec sa végétation, sa plage et son érosion, mais également le lagon, qui vient éroder le motu, en regardant la hauteur des vagues, l’état de santé du récif, liste l’aventurier. Par ailleurs, en discutant avec des chercheurs et des associations, on m’a demandé d’étudier les tortues, espèces elles-aussi emblématiques voire totémiques, et également les plastiques qui peuvent impacter des lagons même inhabités. Tout un panel d’étude qui va finalement nous donner une image globale de l’île ».

Ses sorties de pêche – obligatoire pour se nourrir – seront aussi l’occasion d’emmagasiner des informations sur les espèces et le comportement des requins dans ces zones isolées.

Pas « survivaliste », mais bien préparé

La science en bandoulière, donc. Bien loin des objectifs des « survivalistes » qui testent leurs capacités – et souvent, leur popularité – face à la nature et l’adversité. « Ce côté là ne m’intéresse pas des masses », confie Matthieu Juncker. Mais le fait qu’il faudra bien survivre pendant huit mois sans approvisionnement. Le biologiste a, là aussi, pris ses précautions. Fare en kit sur pilotis construit et déconstruit avec des amis, lourde cantine médicale, remplie avec les conseils de professionnels, téléphones satellites, système d’eau potable – grâce à des panneaux solaires et des instruments de désalinisation, mais aussi une bâche pour récupérer l’eau de pluie – kayak à voile et à pédales pour aller pêcher et étudier les différents motu de ce grand lagon, réserves alimentaires de secours… « J’ai tout doublé ou triplé, il n’y a pas vraiment le droit à l’erreur », explique le biologiste qui a aussi eu des rendez-vous – au cas où – avec le JRCC et les urgences du Taaone.

En comptant le matériel scientifique – forcément très divers – et les instruments de prises de vue – le Robinson est aussi un passionné d’images – le paquetage, embarqué à bord du Cobia 3 ces derniers jours, pèse pas moins de 1,7 tonne. Mais le matériel ne fait pas tout. Certes, le plongeur, photographe et chasseur sous-marin, habitué des missions scientifiques dans le Pacifique, peut afficher quelques « connaissances ». « Mais quand on n’est pas du Pays, vivre sur un atoll ça s’apprend. J’ai de la chance d’avoir rencontré Jacquot, je l’appelle mon parrain, et qui m’a montré quels poissons étaient ciguatériques, les plantes qui peuvent être consommées, comment chasser les crabes ou les langoustes sans s’esquinter sur le récif, comment se soigner avec les plantes de l’atoll. Il m’a ouvert ses savoirs écologiques, ce qui était indispensable pour une bonne expédition ».

Jacquot n’est pas la seule main tendue que Matthieu Juncker a pris ces derniers mois dans sa préparation. Associations, soignants, soutiens calédoniens, responsables d’institutions, notamment l’Office français de la biodiversité, élus locaux, amis chercheurs polynésiens, quidam intrigués – et probablement un peu envieux – du projet… « Au total, j’ai compté, il y a 155 personnes que je dois remercier pour m’avoir aidé à concrétiser cette expédition ».

Des « arches de Noé »… Et de grands dangers

Une expédition dont Matthieu Juncker a bien l’intention de parler. Il y a son site, la page Facebook de « à contre-courant », la « Radio motu » que des proches devrait aider à animer sur les réseaux sociaux… Des publications scientifiques devraient aussi être tirées de ces huit mois, directement, ou par l’exploitation des données accumulées sur l’atoll. Il y a surtout un documentaire en préparation – les équipes de Galatée Films, maison de production fondée par Jacques Perrin, le réalisateur du Peuple de l’Herbe et du Peuple Migrateur, ont d’ailleurs filmé ce mardi dans les studios de Radio 1 – et un projet de livre, qui cherche encore un éditeur. Ce qui « habite » Matthieu Juncker, c’est de « témoigner », de « décrire ces milieux absolument extraordinaires » que sont les atolls polynésiens.

« Ce sont des havres de vie, en fait, des arches de Noé, on y voit en fait une quantité fabuleuse de poissons, des oiseaux qui sont uniques sur la planète, qui vivent en fait et uniquement là… Il s’agit de rapporter la beauté de cette faune de cette flore et en même temps de faire état des menaces qui pèsent sur cet environnement. Ce sont les pressions humaines liées par exemple à des activités qui peuvent provoquer l‘introduction d’un rat, qui aura dommages majeurs sur les oiseaux sur des mêmes les crabes de cocotiers. Des pressions liées aussi aux incendies, les feux qui sont utilisés pour nettoyer les cocoteraies. C’est aussi le changement climatique avec une montée des eaux, et puis aussi la mortalité des coraux. En ce moment on voit du blanchissement : ces atoll n’existent que parce qu’ils sont portés par un récif qui est en bonne santé. Si celui-ci venait à disparaître, l’atoll serait assez rapidement rayé la carte ». 

De ces richesses et cette vulnérabilité, Matthieu Juncker devrait aussi en parler sur Radio1 : il est d’ores et déjà l’invité de la rédaction… Dans huit mois.

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Jt Vert 17/04/2024

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