Le Haut-commissaire Éric Spitz veut faire avancer l’épineux dossier du remboursement du coût des maladies radio-induites. Hier il estimait à 3,5 milliards de francs – et potentiellement 5 milliards dans un avenir proche – la somme due par l’État à la CPS. Un chiffre qui serait basé sur des données de la caisse mais qui a été aussitôt remis en question par son président du conseil d’administration. Plutôt que des seuls 400 indemnisés du Civen, Patrick Galenon veut parler des 12 000 cancers pris en charge depuis 1985.
C’est un dossier qui n’est visiblement pas prêt d’arrêter de rebondir. La caisse prévoyance sociale et ses administrateurs, notamment côté syndical, demandent depuis de longues années le remboursement par l’État des frais de soin des victimes des essais nucléaires. Car si certains malades, souvent au prix de longues procédures, ont obtenu une indemnisation du Civen, le système de santé polynésien est resté seul en charge des chimiothérapies, radiothérapie, et hospitalisations diverses liées aux cancers radio-induits… Le principe de ce remboursement, Paris l’a accepté depuis longtemps, mais la somme à payer fait l’objet d’un bras de fer feutré qui bloque le dossier depuis des années, en dépit des déclarations politiques régulières sur le sujet. Aussi à sa prise de fonction en Polynésie, l’année dernière, Éric Spitz avait pris soin de le citer parmi ses « priorités ».
8,5 millions de francs par cancer
Et effectivement, il y a eu depuis du mouvement : comme l’écrivait Tahiti Infos le 18 juin, un « premier chiffrage » du remboursement a été mis sur la table, côté Haut-commissariat, sur la base d’une communication de la CPS. Ce qu’a confirmé hier par le Haut-commissaire : « La CPS a proposé que l’État lui rembourse 71 000 euros par cancer« , soit 8,74 millions de francs, explique Éric Spitz qui a jugé la proposition « raisonnable » et l’a « transmise » au ministère national de la Santé. « Compte tenu du nombre de personnes qui ont été déclarées atteintes d’un cancer en raison des essais nucléaire (près de 400 en comptant les dossiers sur le point d’aboutir, et probablement plus de 500 d’ici un ou deux ans, ndr) aujourd’hui et probablement , si on se base la proposition de la CPS, on sera à court terme à 3,5 milliards de francs Pacifique, et on peut imaginer à plus long terme sur 5 milliards ».
« On prend, mais… »
Des sommes bien éloignées des 80 à 100 milliards de francs avancées, ces dernières années, par la caisse et ses administrateurs, et en premier lieu par Patrick Galenon, qui est redevenu le président du conseil d’administration. Des chiffres repris, entre autres par le Tavini, et qui, plutôt que de s’appuyer sur le nombre de victimes reconnues par le Civen, prennent en compte les 12000 traitement de cancers qui font partie de la liste des maladies potentiellement radio-induites. Or d’après le chef de file de la CSTP-FO, le chiffre de 71 000 euros est une moyenne des coûts de traitement de ces 12 000 cas, et pas des seules victimes indemnisées par le Civen.
« Le Haut-commissariat a fait une demande à la CPS de faire une moyenne du coût moyen par cancer, on leur a simplement répondu », appuie le syndicaliste, qui balaie donc l’idée d’un « accord » entre la représentation de l’État et la caisse. « Qu’on soit clair : s’ils nous donnent 3,5 ou 5 milliards, on prend, mais ça n’est qu’un début », appuie-t-il. Car hors de question pour le président du conseil d’administration de la caisse de laisser ce remboursement se baser sur les critères « restrictifs » du Civen et de ses « interprétations » de la loi Morin. « Ces 300 ou 400 victimes, c’est celle qui ont pu prouver qu’elles avaient reçu plus d’un millisievert », rappelle-t-il, en référence au seuil minimal d’exposition aux radiations ionisantes introduit fin 2018 par l’amendement Tetuanui.
« On ne peut pas ramener tous les cancers en Polynésie aux essais nucléaires »
Le débat qui a secoué, pendant des années, les dossiers d’indemnisation des victimes s’applique donc sans surprise à celui du remboursement de la CPS : sur quelles bases lier ou non des maladies aux essais nucléaires ? Patrick Galenon renvoie la balle à l’État comme en septembre dernier, quand il expliquait sur le plateau de Radio1 que les chiffres avancés par la CPS « était peut être faux », et « certainement incomplets ». Mais l’État, assure-t-il aujourd’hui, n’utilise pas tous les moyens à sa disposition pour évaluer réellement le nombre de malades : « ce sont eux qui avaient les dosimètres ».
Éric Spitz, lui, balaie le chiffre de 100 milliards. « Ce serait le remboursement de tous les cancers depuis 1985, alors qu’il me semble quand même qu’il y a des pays dans le monde où il y a des cancers sans qu’il y ait eu d’essais nucléaires, rappelle le Haut-commissaire. On ne peut pas ramener tous les cancers en Polynésie aux essais nucléaires ».
Le dossier du remboursement de la CPS avance donc bien, mais pas sans débats.