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600 000 touristes dans 10 ans ? « Utopique » pour le Cesec

À l’occasion de l’étude de trois projets de loi sur la stratégie touristique, le Cesec a émis des doutes sur les orientations choisies par le gouvernement Brotherson. Les conseillers estiment que le développement de l’hébergement chez l’habitant, s’il n’est pas contrôlé, pourrait nuire à l’image de la destination, que les financements sont insuffisants pour les pensions de famille et les comités de tourisme locaux… Et surtout que l’objectif de visiteurs fixé par le gouvernement n’était pas cohérent avec ses décisions fiscales, ni avec ses objectifs de développement durable. 

Le Conseil économique, social, environnemental et culturel analysait ce matin non pas un, mais trois projets de loi du pays en lien avec la nouvelle stratégie touristique du gouvernement. Une stratégie qui a beaucoup évolué depuis la mise sur pied de la feuille de route Fari’ira’a Manihini 2027, à la fin de la dernière mandature. Fini le plafond de « un touriste pour un habitant », fini le tout haut-de-gamme et le pari sur les « grands projets »… Moetai Brotherson vise les 600 000 voyageurs annuels d’ici 10 ans contre un peu plus de 250 000 aujourd’hui, et veut réorienter une partie du flux vers des îles peu touristiques, vers la petite hôtellerie, les pensions de famille, et même le logement chez l’habitant.

Des contrôles pour ne pas ternir l’image de la destination 

C’est d’abord cette question qui a fait débat au Cesec, qui s’est encore une fois plaint de « l’urgence » systématique qui lui est demandé dans le traitement de ces « sujets de fond ». L’exécutif veut notamment  revoir les normes d’hébergement au fenua pour faire entrer davantage les séjours chez l’habitant dans le cadre règlementaire. Plus besoin de sanitaires ou de salle d’accueil réservés aux clients, plus de nombre de chambres minimum, mais une présence obligatoire de l’exploitant… Pour le gouvernement ces chambres d’hôtes – le terme devrait disparaitre de la loi – doivent être assimilés aux pensions de famille, qui ne pourront se distinguer qu’en obtenant un classement particulier (deux trois ou quatre fleurs de tiare). Le Cesec n’est pas, en soi, opposé à ce développement, mais pour les professionnels du secteur, ces deux catégories d’hébergement – les pensions, et le logement chez l’habitant – doivent être clairement différenciées. Le Conseil interpelle aussi sur les normes d’hygiène dans ces accueils chez l’habitant, et demande par avance d’importants contrôles de terrain pour éviter que certains retours de touristes ne viennent ternir l’image de la destination toute entière.

Pas assez de budget

Les conseillers paraissent en revanche plus satisfaits de l’idée de Moetai Brotherson de « déconcentrer » davantage la stratégie touristique en donnant plus d’autonomies aux comités locaux, et en les plaçant sous le contrôle de Tahiti Tourisme plutôt que sous l’autorité du gouvernement. Mais c’est du côté des finances que ce projet pêche, estime le Cesec : 10 millions de francs pour aider les comités, ce serait « gravement insuffisant » au regard du nombre de structures existantes, 27 à ce jour, dont 14 déjà certifiées, et 32 à terme. Même réflexion concernant l’accompagnement des pensions de famille, que le gouvernement veut voir monter en gamme, en compétence et en taille. Le Cesec demande à l’assemblée « d’abonder le budget » et de revoir le système de répartition, pour qu’il soit « proportionnel au nombre d’unités rénovées » et aux emplois  créés. Les conseillers estiment que le remboursement des aides en cas d’échec du projet devrait être obligatoire et plus seulement « une possibilité ».

Plus de visiteurs, plus de débats, plus de déchets

Les trois textes ont, malgré ces réserves, reçu un avis favorable du conseil, qui en a tout de même profité pour faire passer un message sur la stratégie générale du gouvernement. À commencer par les 600 000 touristes : un cap à 10 ans qui parait à l’heure actuelle « utopique » pour l’institution où siègent aussi les représentants des hôteliers. Certes des « prises de positions politiques et des aménagements tant réglementaires qu’économiques » pourrait mettre le fenua sur cette voie, mais les mesures fiscales tout juste votées à l’assemblée n’iraient, d’après les professionnels, pas dans le bon sens. L’impôt sur le patrimoine foncier et l’augmentation des taxes de séjour ont été reportés à plus tard, certes, mais le rabotage de la défiscalisation sur les grands projets, le renforcement de la fiscalité des hôteliers ou la suppression de l’accompagnement des villas de luxes seraient autant de décisions « antinomiques » avec le cap fixé.

Le Cesec « s’interroge » en outre, sur « la suite donnée au projet du Village Tahitien » sur lequel Moetai Brotherson se posait des questions en début de mandature, et qui n’a pas fait l’objet de nouvelles annonces ces derniers mois. Enfin les conseillers rappellent que la stratégie Fari’ira’a Manihini 2027, issue d’une grande consultation dans le secteur, mettait en exergue l’importance d’un tourisme inclusif et durable. « Or la multiplication du nombre de visiteurs aura nécessairement des incidences tant en matière d’acceptation par la population qu’en matière de gestion des déchets produits ».