ACTUS LOCALESJUSTICE Meurtre à Marokau : l’auteur des faits acquitté par le jury d’assises Pascal Bastianaggi 2020-02-18 18 Fév 2020 Pascal Bastianaggi ®P.Bastianaggi/Radio1 Le septuagénaire qui, en 2015 à Marokau, avait tué le compagnon violent de sa nièce, a été acquitté par les jurés de la cour d’assises à l’issue de deux jours de procès. L’avocat général avait requis 5 ans de prison, assortis d’un sursis total ou partiel, et 10 ans d’interdiction de séjourner sur son île. Malgré les efforts de la partie adverse pour le présenter comme un homme colérique blessé dans son orgueil, le jury a été touché par ses remords et estimé qu’il s’était légitimement défendu. La deuxième journée du procès aux assises pour meurtre a débuté par les auditions des témoins. Le premier à s’avancer à la barre est le père de la victime. Sur ses relations avec l’accusé, il dit bien s’entendre avec lui et le considérer comme un père. « Même maintenant ? » s’exclame la juge. « Oui ». « Vous le pensiez capable de tuer quelqu’un ? » « Non ». « Vous pensez que votre fils aurait pu lui faire du mal ? » « Mon fils était ivre… Il allait récupérer sa femme, et comme il s’était fait chasser une première fois… » Sur le couple que formait sa belle-fille et son fils, « je ne m’immisçais pas dans leurs affaires. Ce que je sais, c’est qu’elle ne travaillait pas, ne s’occupait pas des enfants et que mon fils était obligé de rester à la maison pour s’occuper d’eux au lieu de venir travailler avec moi le coprah. » « J’ai dit Saint Michel, aide-moi. » Puis c’est au tour de l’accusé de s’exprimer. Assis, un chapelet à la main, il livre aux jurés sa version des faits. Celle-ci ne diffère pas vraiment du scénario esquissé par les gendarmes. « Lorsque je suis sorti de la chambre, je l’ai vu qui tenait ma nièce par le cou. Je lui ai dit de la lâcher et il s’est jeté sur moi. Il m’a donné des coups et je suis tombé. Je ne pensais pas pouvoir me relever, mais une colère est montée en moi. Il a pris ma béquille et m’a tapé. » La victime étant partie à la recherche de sa concubine, le septuagénaire s’assoit sur une chaise pour reprendre ses esprits et ressasse ce qu’il s’est passé. « À ce moment-là, j’ai perdu la notion de l’amour. J’ai pensé que le bon dieu allait m’enlever de ce monde et j’ai dit Saint Michel, aide-moi. » La suite, on la connait : la victime revient, le vieil homme s’empare de la lance à proximité et les coups fatals sont portés. « Je ne suis pas un assassin, je n’avais pas d’autres moyens ! » clame-t-il s’effondrant en larmes. « J’ai pêché d’un pêché de meurtre que je n’avais pas prémédité. » « Il s’est pris pour Saint Michel et la victime représentait le dragon ! » Du coté de Me Antz, avocat de la nièce de l’accusé qui s’est portée partie civile, la référence à l’archange Saint Michel n’est pas tombée dans l’oreille d’un sourd. Expliquant que la religion était en quelque sorte une façon de s’évader de ce lieu clos qu’est Marukau. « Les adultes ont la religion et les jeunes, l’alcool et la drogue. » Arguant qu’en attendant que les gendarmes arrivent sur les lieux, l’accusé a eu tout loisir de « structurer une défense », il s’attarde sur Saint Michel. « Saint Michel terrasse le dragon avec quoi ? Avec une lance. La même que celle de l’accusé. » Et de distribuer aux jurés des représentations montrant l’archange terrassant le dragon. « Ce soir-là, il s’est pris pour Saint Michel et la victime représentait le dragon… Satan. » Pour l’avocat, « il s’est senti humilié et vexé d’avoir été mis à terre par la victime et la deuxième fois, il l’a attendu la lance à la main. C’est un crime d’orgueil et rien d’autre. » Il rejette la légitime défense qui, rappelle-t-il, « doit être adaptée à l’attaque. Si la victime était revenue avec un couteau, là on serait dans l’hypothèse de la légitime défense. » « L’atoll est isolé (…). Il ne peut y avoir de différends et de conflits » Orgueil de l’accusé qui se prenait pour Saint Michel tuant le dragon, ou entente tacite entre les habitants pour passer sous silence certains faits afin de préserver la paix de l’atoll, voilà sur quoi se sont basées les plaidoiries des parties civiles. Du moins , c’est ce qu’estime Me Armour-Lazzari qui représente le père de la victime. « Tout le monde est gentil sur l’atoll, la victime, l’accusé….. c’est normal. L’atoll est isolé, il faut trouver un équilibre. Il faut une solidarité. Il ne peut y avoir de différends et de conflits ». Pour elle, « on peut reprocher à la victime d’avoir bu, de s’être montrée violent envers sa concubine, mais aucunement envers l’accusé. Celui-ci a pris la lance dans l’intention de faire mal. » Elle renchérit : « Les seuls propos de la victime, étaient de dire qu’ils cherchait sa femme. » Pour elle, pas de doute, « il ne peut y avoir de légitime défense. C’est la réalité du dossier. Un homme vu comme un sage qui a tué volontairement un homme après réflexion, assis sur sa chaise. » L’avocat général requiert cinq ans assortis d’un sursis total ou partiel Pour l’avocat général , « c’est une histoire tragique que celle de la victime et il ne faudrait pas l’oublier. Il avait un toit, des enfants, une femme et un travail et il était estimé au sein de la communauté. Sa vie commençait. » Sur le déroulé de la tragédie, elle explique : « Il avait bu. Mais son taux d’alcoolémie était loin de l’ivresse. » Au sujet de l’arme, « c’est une arme faite pour tuer selon les propres mots de l’accusé qui tuait des chiens errants avec. C’est cette arme qui a tué, non pas un cochon ou un chien, mais un jeune homme de 23 ans. » S’adressant aux jurés, « nous sommes loin de la thèse de l’accident et de la légitime défense. N’oubliez pas que c’est un chasseur qui connaît les coups qui tuent, les zones vitales. » Et d’asséner : « La victime est morte à 23 ans dans l’île où il est né. Mort pour n’avoir pu maîtriser sa colère et provoqué chez l’accusé non la peur, mais la colère. » « Que faire de l’accusé ? » dit-elle, avant de poursuivre : « Entrez en condamnation », précisant que la loi prévoit une peine maximale de 30 ans. « C’est un repère mais vous devrez vous poser la bonne question : était-il en danger ? » Et de conclure, « Je ne requerrai pas contre lui de réclusion criminelle, c’est un vieil homme, mais il faut que votre message soit clair. Il n’aurait jamais dû tuer. Je réclame une peine de 5 ans assortie en partie ou en totalité d’un sursis et de 10 ans d’interdiction de séjourner sur Marokau. Les morts ont aussi le droit à la paix. » « Chasser sur un atoll c’est comme faire du ski sur le Mont Marau » Pour Me Neuffer, « la faiblesse de la peine réclamée correspond à la faiblesse des charges contre mon client. » Avançant que « la loi protège la famille et c’est pour cela quelle prévoit des excuses » il appelle les jurés à se prononcer pour la légitime défense, assurant que ce qu’il a vu, « c’est un homme prostré et accablé par son acte. Il a pris la mesure de son geste. Ce poids, il le portera toute sa vie». Pour lui, «deux visions s’opposent. Celle de la partie civile qui dit que les coups étaient intentionnels pour donner la mort. Et la mienne qui depuis 5 ans n’a pas changé, il a agi en état de légitime défense. » Quant à la phrase de l’avocat général évoquant « un chasseur », il réplique en faisant remarquer que « chasser aux Tuamotu, c’est comme faire du ski sur le Mont Marau, il faut de l’imagination. » « Si j’avais su je me serais donné la mort. » Avant la délibération, la parole a été donnée à l’accusé et elle a été celle d’un homme qui voulait être maitre de son destin. « Vous allez prendre une décision. Cependant une pensée me vient. J’ai dit au juge d’instruction que je ne voulais pas aller en prison. Le jour où je serais condamné je demanderai de ne pas me mettre en prison mais de me transporter sur les lieux où il est mort et de me passer la corde au cou. Si j’avais su je me serais donné la mort par pendaison…. Vous déciderez pour moi. » Le verdict est tombé peu après 19 heures ce mardi soir : acquitté. 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