ACTUS LOCALESSPORTS Escrime : une « Fédération maohi » dissidente à l’assaut d’un « sport à potentiel » Charlie Réné 2024-03-01 01 Mar 2024 Charlie Réné Si Arue, « partenaire formidable » des Fines Lames, a mis à disposition une salle d’armes au complexe Boris Léontieff, elles sont beaucoup plus difficiles à trouver ailleurs. Dénonçant l’immobilisme de la Fédération tahitienne d’escrime, le club des Fines lames d’Arue a lancé, avec plusieurs structures naissantes, une nouvelle fédération. Pas de chasse à la DSP « pour le moment », il s’agit de « développer » et « d’attirer » dans un sport olympique où les jeunes Polynésiens « peuvent monter très haut ». Du côté de la fédération officielle, on regrette une « fracture inutile », attribuée à des querelles d’égo. Et on interpelle sur le maintien de la sécurité de la discipline. Ça n’est pas la première fois que les fers se croisent dans le petit milieu de l’escrime. Fin 2014 s’était créée la Fédération polynésienne, qui avait su attirer des jeunes « tireurs » et un soutien des autorités. Une structure renversée quelques années plus tard, après un rapport au vitriol de la Direction de la Jeunesse et des Sports, et plusieurs échanges devant les juges, par la Fédération du fenua, elle-même devenue Fédération tahitienne d’escrime (FTE). C’est elle, aujourd’hui, qui est titulaire de la précieuse délégation de service public. Un sésame pour combattre sous la bannière polynésienne à l’international, et bénéficier de subventions du Pays. Depuis la crise Covid, la FTE est donc seule en piste, réunissant les quatre clubs du fenua, tous situés à Tahiti. Une entente souvent précaire qui a fini par voler en éclats en janvier, avec la sécession des Fines lames d’Arue, structure la plus active dans les compétitions locales ces dernières années… Et dont le président a officiellement lancé, mercredi soir, une nouvelle alliance, la « Fédération d’escrime maohi ». « Il faut que les jeunes sentent que ça pousse derrière » Cette scission, dont le COPF, la DJS et le ministère ont été avisés, « ne veut pas dire qu’on entre en guerre contre qui que ce soit », assure Jean Cuneo, le fondateur des Fines lames et président de la nouvelle fédération. « Mais pour nous, ça n’était pas possible de continuer comme ça, de développer ce sport dans ces conditions », poursuit le dirigeant. Aux cadres de la FTE, qui reste la seule structure officiellement reconnue par les autorités, il reproche une relative désorganisation, un manque de résultats – « où sont les fruits de toutes ces subventions ? » – et plus généralement un manque de motivation et d’engagement pour la promotion de la discipline. « Les Fines lames ont organisé la première compétition fédérale de l’année, en janvier, aucun représentant de la Fédé n’était là, et quasiment aucun adhérent des autres clubs, pointe-t-il. La fédé avait aussi acheté de nouvelles pistes pour les Oceania, on n’en a pas vu la couleur. » Le vétéran, qui avait fait partie du bureau de l’ancienne fédération polynésienne avant qu’elle soit « déboulonnée », en est convaincu : l’escrime, discipline olympique très pratiquée en outre-mer et notamment aux Antilles, est un « sport à potentiel » au fenua… À condition de faire « les efforts nécessaires ». « C’est triste, mais en Polynésie, c’est un sport inconnu. Si on met pas un panneau en bord de route, si on fait pas de la com’, du développement, on sera toujours moribond, s’agace-t-il devant un grand panneau aux couleurs de la nouvelle fédération. Quand on voit les résultats au niveau national, on a 70% des médailles d’escrime qui sont ramenés par les ultramarins… Pourquoi nous on est dehors ? On doit pouvoir rentrer là dedans, et pour ça, il faut absolument épauler les pratiquants, les amener à aimer ça, les amener à voyager à se déplacer… Il y a beaucoup de jeunes qui ont envie de faire de l’escrime, et on peut les amener très haut. Mais il faut qu’ils sentent que ça pousse derrière. » https://www.radio1.pf/cms/wp-content/uploads/2024/02/ESCRIME-1.wav « Amener un côté ludique » Les Fines lames tenteraient donc une l’aventure en solitaire ? Non, assure le dirigeant, car la nouvelle Fédération maohi affirme déjà « parrainer » cinq autres clubs. Des structures tout juste créées à Pamatai, à Papeete, mais aussi à Raiatea et Nuku Hiva, où des cartons de matériels viennent d’être envoyés. « Il y a des gens motivées qui ont pris la tête de ces clubs, on va les aider… la seule vraie difficulté, c’est de trouver des locaux », reprend Jean Cuneo depuis la salle d’armes du complexe Boris Léontieff, mise à disposition par la mairie de Arue. S’ajoute le Tahiti Sabre Laser Club, situé à Mahina, et qui reprend le concept de combat et de chorégraphie d’épées à la sauce Star Wars, lancé en 2018 par la Tahiti Jedi School, aujourd’hui inactive. Autant de structures qui doivent, dès les prochaines semaines, offrir des initiations, organiser des entrainements réguliers, tenter d’attirer des pratiquants… Et ainsi faire gonfler les rangs de la nouvelle fédération, qui annonce déjà une centaine d’adhérents. La FTE met en avant le même effectif. Sans surprise, les chiffres sont contestés des deux côtés. Du côté des titulaires de la DSP, qui travaille avec le seul « maître d’armes » diplômé installé en Polynésie, on s’interroge à haute voix sur l’encadrement des entrainements dans la Fédération maohi. Ses dirigeants rappellent, en réponse, compter dans leurs rangs l’ancien président de la Fédération polynésienne Bruno Sanchez, « prévôt d’escrime expérimenté ». Une qualification de rang inférieur, mais qui permet de donner des leçons. « On ne fait pas de l’escrime à la façon française, très rigoureuse, où on va faire ça en intérieur parce qu’il fait trop froid dehors. Il faut amener ce côté ludique, tant qu’il n’y est pas, les gens n’accrochent pas, reprend Jean Cuneo. Résultat : c’est en décrépitude. Et c’est nous qui allons relancer. » https://www.radio1.pf/cms/wp-content/uploads/2024/02/ESCRIME-2-cote-ludique-on-va-relancer.wav Pas de chasse à la DSP « pour le moment » pour la Fédération maohi, « on ne demande rien, on ne se précipite pas, mais on sait s’organiser ». Un assurance pour tous les clubs adhérent a été contractée, deux compétitions « ouvertes à tous les tireurs » sont déjà au programme, fin mars et début mai, et la nouvelle fédération compte faire jouer ses contacts en métropole et dans la région pour donner les moyens à ses membres de s’exporter. Une « fracture inutile » pour la Fédération Tahitienne À la tête de la Fédération tahitienne d’escrime, David Saouzanet ne se montre pas surpris par cette scission, tant les tensions étaient visibles ces derniers temps. Les combats de clubs et de fédés de l’avant-Covid ont laissé des traces, explique-t-il, et certaines « prises de bec » et querelles d’égo seraient, d’après lui, la raison pour laquelle il est difficile de mobiliser pour les compétitions. Le président reconnait en outre que la FTE a connu un « coup de mou » ces derniers mois. Le club de Taravao est « vivotant » – mais « il peut être relancé » – et celui de Faa’a, qui s’adresse surtout aux plus jeunes, n’a pas été des plus actifs, du fait de « problèmes d’emploi du temps » du maître d’armes, démissionnaire de son poste de directeur technique mais toujours prestataire de la fédé. Pourtant, David Saouzanet, président des Aito de Papeete, le troisième club toujours adhérent de la fédération tahitienne, assure avoir un « très bon bilan 2023 » « On a réussi à tisser les liens pérennes avec les fédérations de Nouvelle-Zélande, où on s’est déplacé avec des jeunes escrimeurs, et d’Australie. Ils sont venus nous voir en septembre pour les premiers Oceania organisés au fenua », détaille-t-il. Une compétition à laquelle les Fines lames ont d’ailleurs participé et qu’elles ont aidé à organiser. Dans cette lancée, Jean Cuneo était pressenti pour prendre les rênes de la FTE, explique le président, qui assure « ne pas s’accrocher au poste ». Mais ce serait d’après lui les crainte d’un retour aux « soucis du passé » – sur la gestion, la sécurité ou les priorités de déplacement à l’international – qui l’aurait poussé à ne proposer au président des Fines lames qu’une « coprésidence », où il garderait la main sur l’international. L’intéressé a refusé. « C’est une fracture inutile dans ce sport qui est jeune en Polynésie, insiste David Saouzanet. C’est surtout dommage pour certains jeunes qui ne pourront pas participer à des compétitions officielles à l’international. » Surtout, la Fédération tahitienne, qui remettra sa DSP en jeu en septembre prochain, espère que les pratiques de la nouvelle Fédération maohi ne vont pas « écorner l’image de l’escrime ». « C’est un sport très codifié, avec des règles d’enseignement contraignantes, pour des raisons de techniques, mais surtout de sécurité, reprend-il. S’il y a un problème dans les clubs non affiliés, on rejette toute responsabilité. » Cliquez pour partager sur Facebook(ouvre dans une nouvelle fenêtre)Cliquez pour partager sur Twitter(ouvre dans une nouvelle fenêtre)Cliquez pour partager sur LinkedIn(ouvre dans une nouvelle fenêtre)Cliquer pour imprimer(ouvre dans une nouvelle fenêtre)