ACTUS LOCALESJUSTICE Les colis express de Nuutania : sept détenus condamnés Pascal Bastianaggi 2024-06-20 20 Juin 2024 Pascal Bastianaggi Le tribunal correctionnel a jugé ce jeudi en comparution immédiate sept détenus pour avoir organisé à Nuutania un système d’envoi et de réception de colis dans lesquels transitaient téléphones portables, stupéfiants et nourriture. Ils ont écopé de peines allant d’un à trois ans de prison ferme. Le système mis en place par ces détenus était à la fois simple et élaboré. Selon leurs besoins ils se réunissaient, mettaient de l’argent en commun et passaient commande à un complice à l’extérieur. Une fois les emplettes achevées, celui-ci contactait un autre comparse qui était chargé de récupérer les colis et de les jeter par-dessus le mur d’enceinte de Nuutania, dans la cour de promenade des détenus. Un code était mis en place. Si le lanceur entendait des applaudissements, cela voulait dire qu’il y avait un surveillant et que l’opération était annulée. À noter que le lanceur percevait 100 000 fcfp à chaque fois qu’il envoyait des colis, peu importe le nombre, dans la journée. Certains détenus étaient chargés de récupérer les colis et de les transmettre à des « chevaux », argot de prison, qui transmettaient au boss, surnommé Dragon, le contenu des colis. Plus cher que Chronopost, certes, mais dans les colis il y avait de l’ice qui se monnaye en prison environ quatre fois le prix de la rue, ainsi que des téléphones portables et du paka qui eux aussi s’écoulaient avec une forte plus-value. Parfois il y avait aussi de la nourriture. Une opération rentable pour les détenus et qui asseyait l’incontournable boss de l’opération dans une situation de pouvoir sur ses compagnons de détention. C’est lors de l’un de ces envois que le lanceur s’est fait interpeller par les gendarmes. Et de là le réseau est tombé. Dans la salle d’audience l’ambiance est chaude : certains des prévenus lancent des insultes au juge et assesseurs, et les gendarmes, au nombre de onze, les surveillent comme le lait sur le feu. Outre les insultes, l’assemblée a eu le droit à des rots retentissants et à des bâillements. Bref, des durs à cuire en apparence, mais peut-être pas tant que cela : dans leurs dépositions à la gendarmerie tous ont indiqué Dragon comme étant le boss et tous ont déclaré avoir peur de lui. Ce qu’ils ont ensuite tous nié à la barre, certains accusant les gendarmes d’avoir modifié les dépositions. « C’est lui qui organisait les tabassages, c’est le boss de Nuutania. » Parmi les prévenus, le boss, ses deux « chevaux », deux autres qui étaient chargés de réceptionner les colis et les deux lanceurs. Une coalition qui leur a valu, outre d’être inculpés de transport et cession de stupéfiants, de tomber sous le chef d’association de malfaiteurs. Tous ont une trentaine d’années et pour la plupart un casier judiciaire avec des mentions de vols, violences et stupéfiants. L’un d’entre eux sort du lot car il a écopé d’une peine de 15 ans pour viol sous menace d’une arme. L’un des lanceurs, celui qui s’est fait interpeller, a déclaré avoir fait cela pour l’argent, quant à l’autre, « par peur de représailles » car il a déjà fréquenté Nuutania et fait connaissance avec Dragon et son pouvoir de nuisance. « C’est lui qui organisait les tabassages, c’est le boss de Nuutania. » déclarait-il en garde-à-vue. Les deux « réceptionneurs », quant à eux, ont expliqué à la barre qu’ils cachaient les colis et les envoyaient sur le balcon du bâtiment B. « J’attrape et je fais la passe », en échange de cette passe décisive, ils recevaient du paka. Les colis étaient ensuite récupérés par les « chevaux » puis transmis à Dragon. L’un de ces « chevaux », mécontent de se voir affublé de ce terme par le juge, l’a apostrophé : « où tu vois que je suis un animal, j’ai pas quatre pattes, j’ai deux pattes comme toi ». Il nie être un « cheval » et déclare récupérer les colis quand par hasard il y en a un qui tombe à ces pieds, et que lorsque c’est un autre détenu qui le réceptionne, il le tabasse pour prendre ce qu’il y a dedans. Mais il affirme qu’en aucun cas il ne fait partie de la combine. « Je n’ai pas peur de Dragon moi. Pour moi c’est pas un boss, on est tous égaux.» Quant à l’autre, il ne se montre pas plus coopératif, à la question du juge, « à qui vous commandez les colis ? » il rétorque, « je ne vous le dirais pas, on en a encore besoin. » « En prison j’ai plein d’ennemis, d’ailleurs on m’a planté un ciseau pendant que je dormais. » Au tour de Dragon d’être appelé à la barre. Quand on le voit on comprend pourquoi il inspire une telle peur. Tatouage dans le cou, carrure de culturiste, et lunettes qui lui donnent un petit côté intello mais paradoxalement encore plus inquiétant. Tout à fait le look du méchant dans les films d’action. D’ailleurs il doit comparaitre prochainement pour son rôle joué dans « l’affaire du Liberty » où des coups de feu avaient été tirés. À la question, « pourquoi ont–ils peur de vous ?» il répond, « je sais pas, en prison j’ai plein d’ennemis, d’ailleurs on m’a planté un ciseau pendant que je dormais, il n’y a pas longtemps. » Contrairement aux autres, il se montre respectueux mais n’en dit pas plus. « J’ai des pertes de mémoire. » Il faut dire qu’il a un passé que l’on pourrait qualifier de tragique. Son frère a été tué dans une bagarre, lui a eu le crâne fracturé et est resté quelque temps dans le coma suite à cette rixe. « C’est une forme de comédie humaine avec des rapports de force qui s’y jouent. » Pour la procureure cette affaire est « une forme de comédie humaine avec des rapports de force qui s’y jouent. C’est un système pyramidal où chacun à son rôle. » Elle précise, « les vidéos de Nuutania sont parlantes, on y voit les lanceurs et les réceptionneurs et de plus, les fouilles de cellules ont confirmé l’introduction de stups et de téléphones portables. » Pour elle pas de doute, « c’est bien une association de malfaiteurs, une organisation très claire où tout indique que c’est Dragon l’instigateur. Tout lui est remis et il redistribue. Cela lui confère une aura et un pouvoir certains. Tout le monde l’a désigné. Il crée une insécurité en détention qui déstabilise et met en danger les détenus plus faibles. » Elle requiert des peines allant de huit mois ferme pour les lanceurs à trois ans ferme pour Dragon. « C’est un dossier où ça balance énormément. » Si la plupart des avocats ont évoqué le besoin d’argent, la peur des représailles, et réclamé la relaxe du chef d’association de malfaiteurs, l’un des défenseurs, Me Bennouar, s’est distingué en attaquant de front l’administration pénale : « C’est un dossier où ça balance énormément, par-dessus le mur et entre eux. Ces faits méritent juste une commission de discipline. » Il prend une pause et assène à l’intention du juge, « je constate que l’on vous demande de faire le boulot que l’administration pénale ne veut pas faire. Le directeur de Nuutania doit faire son travail. » Il l’assure, « des faits comme ceux-ci, j’en vois plein lorsque j’assiste mes clients lorsqu’ils passe en commission de discipline. Des envois de colis il y en a parfois jusqu’à trente par jour et parfois il y a des couteaux dedans, et aucun prévenu ne passe devant vous pour cela. » Pour lui, « trois ans c’est digne d’un véritable trafic et ce n’est pas le big boss du trafic. C’est quelqu’un de brisé. » Des arguments qui n’ont pas convaincu la justice. Dragon a écopé de trois ans de prison ferme, l’un de ses « chevaux » de trente mois ferme et les autres d’un an ferme. Cliquez pour partager sur Facebook(ouvre dans une nouvelle fenêtre)Cliquez pour partager sur Twitter(ouvre dans une nouvelle fenêtre)Cliquez pour partager sur LinkedIn(ouvre dans une nouvelle fenêtre)Cliquer pour imprimer(ouvre dans une nouvelle fenêtre)