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Un cadre renforcé pour l’adoption en Polynésie

Un décret publié le 30 mai dernier acte la création du statut de pupille de l’État en Polynésie française. Il met ainsi fin à des années de flou autour de l’adoption « à la polynésienne », pratiquée sans cadre juridique solide depuis une trentaine d’années. L’Aide sociale à l’enfance de la DSFE sera le passage obligé pour les parents biologiques et adoptifs. Mais ces nouvelles règles, qui tendent à réduire les contacts entre famille biologique et famille adoptante, seront-elles comprises et acceptées par les Polynésiens ? La DSFE veut lancer une grande campagne d’information et de sensibilisation pour mieux accompagner les parents.

Elle avait prévenu : « Tout ça va être un peu complexifié », déclarait la ministre des Solidarités Virginie Bruant à l’assemblée en décembre 2022. Depuis plusieurs années, la Direction des solidarités, de la Famille et de l’égalité (DSFE), déjà chargée de l’instruction des dossiers d’agrément de futurs adoptants, demandait à mieux encadrer le processus d’adoption en Polynésie française, notamment lorsque le système du faa’a’mu est dévoyé.

C’est une décision de la Cour de Cassation, en septembre 2022, qui a déclenché le changement après une saisine du procureur général de Papeete, remettant ainsi en cause une pratique plus que trentenaire. Jusque-là, les parents polynésiens qui souhaitaient laisser leur  enfant à l’adoption signaient une « délégation de l’autorité parentale » à la famille adoptante après la naissance de l’enfant. La Cour de Cassation soulignait que la tradition du faa’a’mu s’applique normalement entre familles qui se connaissent avant la naissance de l’enfant, et qui conservent un lien au fil du temps, explique Me Temanava Bambridge, avocate spécialisée dans le droit de la famille.

« Confier des enfants à des métropolitains est contraire au principe du  faa’a’mu »

« La Cour de Cassation a dit le fait de confier des enfants à des métropolitains est contraire au principe du  faa’a’mu, explique Me Temanava Bambridge. Et c’est dans cet esprit qu’ils ont considéré qu’on ne pouvait pas continuer à confier des enfants à des étrangers, des étrangers dans le sens qui n’étaient pas connus de la famille. Dans le Code civil, il est prévu que les parents peuvent déléguer leur autorité parentale à des tiers dignes de confiance. Or, des personnes que vous connaissez depuis quelques semaines, quelques mois, ne peuvent pas être considérées comme des tiers dignes de confiance. »

En droit français, un enfant de moins de deux ans doit être pupille de l’État et passer par les services sociaux avant de pouvoir être adopté par une personne extérieure à sa famille, soit sous le régime de l’adoption simple, soit sous celui de l’adoption plénière – cette dernière rompant tout lien avec la famille biologique. Mais les règles relatives à la composition et au fonctionnement des conseils de famille de pupilles de l’État n’avaient jamais été mises en œuvre en Polynésie, créant une incertitude juridique sur les modalités d’adoption d’un enfant en bas âge. C’est ainsi que s’est répandue la pratique de la délégation de l’autorité parentale.

« La DFSE, elle a des bébés, elle a des candidats à l’adoption, mais elle ne peut rien faire. Donc la DFSE essaie de passer par le juge des enfants en lui demandant de faire une ordonnance de placement. Là, du coup, c’est un dévoiement de la loi parce que le juge des enfants, il place un enfant qui est en danger »,  rappelle Me Bambridge.

L’Aide sociale à l’enfance, passage obligé pour toute demande d’adoption

Le décret du 30 mai dernier, « attendu depuis 2000 », souligne la juge aux affaires familiales Stéphanie Lonné, comble ce vide juridique. Ce conseil de famille qui est  « en cours de constitution », dit le Haut-commissariat, doit compter outre le Haut-commissaire des représentants de l’assemblée de la Polynésie, du gouvernement, des associations d’accueil, des associations de pupilles ou de bénéficiaires de l’aide sociale à l’enfance, et des personnes professionnellement qualifiées dans la lutte contre les discriminations et dans le secteur médical ou psychosocial. Les enfants à adopter seront sous la responsabilité de la cellule adoption de l’Aide sociale à l’enfance à la DFSE, et le conseil de famille validera les adoptions.

L’ASE sera donc le passage obligé pour toute personne désirant adopter, qu’elle soit polynésienne ou non et résidente ou non, et pour les parents biologiques qui envisagent de confier leur enfant en vue de les faire adopter. « Donc, la procédure d’adoption est beaucoup plus rapide. On n’a pas besoin d’attendre les deux ans de l’enfant, ni passer par la procédure de DAP », dit Diane Wong Chou, responsable du service.

Une campagne de sensibilisation en préparation

Le cadre réglementaire à présent précisé, il faut redimensionner la cellule adoption de la DSFE. Diane Wong Chou compte « demander le recrutement d’un ou deux agents en plus, pour pouvoir justement faire face à l’afflux de demandes ou d’offres. Mais bon, ça ne sera pas pour de suite, puisqu’au niveau de la DFSE, de manière globale, on souffre beaucoup de sous-effectifs. Mais disons que j’espère que ça pourra se mettre en place beaucoup plus facilement, au moins dans un ou deux ans. »

Son service prépare une « grande campagne d’information et de sensibilisation », à la fois pour informer les parents biologiques et les futurs parents adoptifs. Le parcours de l’adoption sous sa forme actuelle génère beaucoup de « souffrances quand la DFSE n’est pas là pour accompagner les parents biologiques » par manque d’information sur les conséquences, dit la responsable de l’ASE.

L’Aide sociale à l’enfance veut aussi trouver des familles d’accueil pour les enfants en instance d’adoption : les deux pouponnières de Pirae ont une capacité de 20 enfants maximum. L’ASE est tenue de garder les enfants un minimum de deux mois – la durée du délai de rétractation pour les familles biologiques – et Diane Wong Chou espère limiter à « trois, quatre mois » maximum le séjour total d’un enfant avant sa prise en charge par sa nouvelle famille.

Mettre fin aux dérives

Le système D qui prévaut depuis des années a pu avoir des effet pervers ou indésirables. Non pas tant, comme l’ont un temps pensé les autorités nationales, de favoriser la gestation pour autrui. Mais on a pu voir des cas de reconnaissance de paternité, à la naissance, par des pères qui ne sont pas les géniteurs, des enfants quitter la Polynésie avec une simple autorisation de sortie du territoire, ou des parents adoptifs qui, voulant remercier la famille biologique, lui font des cadeaux que le droit pourrait qualifier de « monnayage ». Et Diane Wong Chou se veut vigilante sur tous les dossiers : « Ce n’est pas parce que ce sont des Polynésiens ou des résidents que les dérives n’existent pas. Il y en a beaucoup moins, mais bon, je ne peux pas affirmer qu’au niveau local, il n’y a vraiment  rien d’illégal dans les pratiques. »

L’arrêt de la Cour de Cassation en 2022 a déjà grandement réduit les demandes des adoptants extérieurs, et Stéphanie Lonné tempère : « On a surtout beaucoup de délégations d’autorité parentale qui sont intrafamiliales, c’est 90% de nos dossiers. Des DAP à des gens extérieurs, de mémoire, en 2023 il y a dû en voir deux ou trois. » Elle affirme n’avoir jamais été confrontée à des cas de GPA :  « Ce n’est pas ce que j’ai constaté. On essaie le plus possible à l’audience de savoir comment les gens se rencontrent, comment les choses se font. Après il y a sûrement des choses qu’on ne nous dit pas. Mais les parents que je vois, ils disent les choses assez simplement, assez facilement. Donc moi, je ne suis pas certaine qu’il y a autant d’abus qu’on le laisse penser. »

Un dispositif qui ne correspond pas à la vision polynésienne ? 

Me Bambridge a toutefois des doutes sur l’acceptabilité pour les parents biologiques polynésiens d’un dispositif qui va les éloigner de la famille adoptante. Elle souligne qu’il y a peu de cas dans lesquels la famille biologique veut d’emblée couper les liens avec l’enfant, même si la DFSE constate une augmentation du nombre d’accouchements sous X. La juge Lonné le constate : « Au moment de l’accouchement, on n’est pas dans l’abandon. Ce sont souvent des difficultés matérielles qui font qu’ils veulent confier leur enfant, mais ils ne veulent pas s’en débarrasser, ce n’est pas du tout ça. Ils veulent vraiment lui offrir une vie meilleure et garder un lien d’attachement. »

Me Bambridge craint donc que « les Polynésiens n’aillent pas spontanément voir le service social pour dire, je veux confier mon bébé en adoption, parce que dans l’esprit du faa’a’mu, on confie à des personnes en qui on a confiance, avec qui on a un bon contact. Pour les Polynésiens, il est important de créer ce lien avec la famille adoptive, comme ils n’abandonnent pas leur enfant, ils veulent choisir la famille qui va l’élever. » 

D’où l’importance de la campagne de sensibilisation prévue par l’ASE, mais l’avocate ne partage pas l’optimisme de Diane Wong Chou en termes de délai. Pour elle, en attendant que l’ASE monte en puissance, et faute de pouvoir utiliser la délégation parentale, « ce sont des enfants qui vont juste être confiés à la DSFE, sans lien juridique ni avec leur parents biologiques ni avec les parents adoptants pendant les deux années. » Diane Wong Chou, qui dit s’être battue pendant des années pour faire évoluer les textes, assure que tout sera fait « dans l’intérêt supérieur de l’enfant. »

 

 

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