ACTUS LOCALESSANTÉ

Au CHPF, des cellules de la honte subitement condamnées par un psychiatre


Dimanche, révolté par les chambres d’isolement de l’unité Tokani du CHPF, qui accueille les patients présentant des troubles majeurs, le psychiatre chef  a scellé à la colle epoxy les portes de ces cellules pour empêcher leur utilisation. En 2012 et 2022, deux rapports du Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) les avaient jugées « particulièrement indignes ».  Et avait recommandé leur fermeture. Alors que rien ou presque n’a été fait par le CHPF, le médecin tentait de les faire fermer depuis un an. La direction invoquait le manque de moyens, expliquant attendre la livraison sans cesse repoussée du pôle de santé mentale pour les rénover. 

La santé mentale en Polynésie, c’est comme le Téléthon ou le Sidaction : on n’en parle qu’une seule fois par an. Deux semaines d’information en octobre, et puis le sujet repart sous le tapis. Toute l’année pourtant, les associations œuvrent auprès des personnes touchées, les soignants aussi. Parmi eux, ceux du département psychiatrie du Centre hospitalier (CHPF), composé de quatre unités d’hospitalisation. En 2012 et en 2022, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, déjà connu pour ses observation assassines sur la prison de Nuutania, y a effectué deux visites, et publié deux rapports dans la foulée, tous  deux aussi peu reluisants l’un que l’autre.

Deux rapport en dix ans, peu d’évolution

Les préoccupations du CGLPL se focalisaient  notamment sur l’unité Tokani, service de 26 places, prioritairement dédié aux patients en crise. Et sur certaines de ses chambres d’isolement, situées dans le secteur fermé et destinées aux « soins sans consentement » de personnes atteintes de pathologies lourdes, notamment des détenus. Trois de ces chambres, décrites comme « moins confortables que les cellules disciplinaires de prison », apparaissaient très problématiques. « La climatisation ne fonctionne pas, par temps de pluie l’eau remonte du sol, les commandes d’éclairage ne sont accessibles que de l’extérieur des chambres », listait ainsi le rapport de 2012. Le constat n’avait pas bougé dix ans plus tard, si ce n’est que le CHPF avait entre-temps remplacé les matelas au sol par des lits. Ce qui ne changeait pas grand chose aux conclusions des contrôleurs : « ces trois chambres d’isolement sont particulièrement indignes et ne doivent plus être utilisées », écrivaient-ils.

Invitée à réagir au rapport, la direction avait alors expliqué que « le projet de réhabilitation de l’unité Tokani prévoit la disparition de ces trois cellules au profit d’une chambre d’hospitalisation conventionnelle et d’un bureau médical ». Pour assurer la continuité des soins le temps du chantier, l’opération impliquait forcément la mise à disposition d’une unité d’accueil de remplacement, sensée se trouver au sein du Pôle de santé mentale. Sauf que la nouvelle structure, initialement prévue pour 2019 mais à l’ouverture sans cesse repoussée et au budget sans cesse rallongé, n’a toujours pas vu le jour. Impossible donc, pour le CHPF, de fermer les trois cellules pointées du doigt. Ce à quoi le CGLPL avait rétorqué « qu’au regard de leur particulière indignité, ces trois cellules doivent être fermées sans attendre la mise en place effective du pôle de santé mentale ».

©D.R.

Excédé, le chef de l’unité condamne « à vie » les « chambres folkloriques »

Deux ans après ce nouveau rapport, rien n’a changé, quand bien même le sujet est connu, et malgré plusieurs alertes du personnel et du milieu associatif. C’est ce qu’a constaté le médecin-psychiatre Anaël Lecomte, arrivé en 2023 en qualité de chef de l’unité Tokani. « Depuis mon arrivée, j’ai essayé de limiter l’utilisation de ce que les gens appellent les chambres folkloriques de Polynésie », explique-t-il. Révolté par des conditions jamais vues « à ce point », lors de ses années en Métropole, le psychiatre a demandé plusieurs fois la fermeture de ces pièces. Un groupe de travail a eu lieu en février pour évoquer le fonctionnement de l’unité. « Le chef du département psychiatrie m’a imposé de les utiliser, malgré le fait que j’avais proposé d’autres solutions, comme des salles d’apaisement ou la réalisation d’accès vers le jardin », assure-t-il.

Avec pour seules réponses « le manque de moyens, on ne peut pas faire autrement, il faut attendre le pôle de santé mentale ». « Je ne sais pas quelle sera la date de son ouverture, mais c’est extrêmement compliqué au quotidien d’être responsable de personnes qui sont dans ces lieux », poursuit le docteur Lecomte, qui « n’oublie pas les défilés de la directrice du CHPF, du ministre de la santé, des membres de la justice, du comité éthique de l’hôpital et de personnes de notoriété du fenua venues vendre leurs projets futurs, aux dates toujours repoussées ».

Motivé, au-delà de ses considérations humanitaires, par l’idée d’en finir avec « ma lâcheté, qui m’a fait accepter pendant un an la présence de ces cellules », il explique avoir longuement réfléchi à quelle forme pourrait prendre son action. Celui qui se présente comme indépendant de tout syndicat a finalement choisi de condamner les trois cellules avec de la colle epoxy pour métaux. « Lors de ma garde du dimanche 25 août, profitant d’un moment où les patients sont dans le jardin pendant une heure, je suis rentré par le côté du secteur des soins intensifs pour m’y enfermer. Et sous le regard des équipes soignantes, qui étaient de l’autre côté de la vitre, j’ai scellé les différentes portes pouvant donner accès à ces  »chambres folkloriques » pour que personne ne puisse plus être mis à l’intérieur », raconte-t-il précisément. Les trois patients concernés ont ensuite été recasés dans le service.

© D.R.

Soutiens discrets, menaces de licenciement

Le psychiatre, qui se sait parfois visé par des procès en immaturité dans son service, explique avoir ciblé ces « catastrophes emplies d’inhumanité », « car elles sont irréparables ». « Il y en a deux autres qui sont d’anciens vestiaires, sans fenêtres, avec des clim’ insalubres et des champignons sur les dalles du plafond, que je n’ai pas scellées mais que j’aimerais ne plus utiliser ». Bien conscient du côté choc de son action, aussi bien pour son équipe que pour sa direction, il explique avoir reçu du soutien, après avoir partagé les images sur les réseaux sociaux. « Beaucoup de confrères, de gens du milieu, m’ont appelé pour me présenter leur soutien de manière anonyme, ça m’a fait beaucoup de bien », assure-t-il, lui qui « endossera la responsabilité tout seul ». Car cet acte pourrait ne pas rester sans conséquences : « j’ai déjà été menacé d’être viré par la direction », dit-il. Selon le médecin, le CHPF a particulièrement mal reçu le fait qu’il menace d’attaquer en justice toute personne tentant de rouvrir ces cellules, au nom de la dignité humaine.

Le ministre réagira demain sur Radio 1

« Il reste beaucoup de choses à faire en psychiatrie, qui je l’espère ne nécessiteront aucunement ce genre d’action », conclut le docteur Lecomte, qui évoque notamment une surpopulation régulière de l’unité. En 2022, le CGLPL avait publié une synthèse de ses seize recommandations de 2012, constatant que six d’entre elles n’avaient eu aucun écho auprès de la direction. Parmi elles, les conditions de vie indignes dans le secteur de surveillance intensive donc, mais aussi « l’absence de pièce de travail à l’usage exclusif des soignants », « l’absence d’une baignoire dans le secteur », « l’oisiveté regrettable des patients en raison d’une faible fréquence d’activité d’ergothérapies » ou des « atteintes au droit de communiquer avec l’extérieur et à la confidentialité des communications ». Six autres recommandations n’avaient été que « partiellement prises en compte ». Trente-quatre nouvelles préconisations avait aussi été émises, comme la fermeture « d’une unité constituée uniquement de chambres d’isolement », au prétexte que « tout patient doit disposer d’une chambre d’hospitalisation durant le temps de son placement en chambre d’isolement ».

Invitée à réagir, la direction du CHPF n’a pas répondu à nos sollicitations. De son côté, le ministre de la santé Cédric Mercadal, « à bloc sur le dossier et désolé de la situation » dit-on en interne, sera L’Invité de la rédaction , en direct sur Radio1 et Tiare FM, ce jeudi 29 août à 11h30, pour apporter ses éclaircissements et faire un point sur le futur pôle de Santé mentale.

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