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Sans cap sous l’ère Fritch, la politique jeunesse attend son nouveau souffle

Dans un rapport qui doit être étudié ce jeudi à l’assemblée, la Chambre territoriale des comptes constate l’absence de stratégie du Pays sur la politique en faveur des 15 – 25 ans. Pour les magistrats, les annonces sans lendemain et les changements de portefeuilles ministériels du mandat d’Édouard Fritch ont « durablement handicapé » le secteur. Le gouvernement Brotherson promet, lui, de faire voter rapidement un schéma directeur décennal. La CTC le presse de concrétiser : de la précarité aux addictions, « une partie de la jeunesse polynésienne est en danger ».

La politique jeunesse, on en parle beaucoup, mais on l’organise peu. C’est le constat de la Chambre territoriale des comptes, qui a transmis à Tarahoi un rapport sur le sujet. Portant sur les années 2018 à 2023, il s’intéresse essentiellement à l’action du Pays sous la deuxième mandature d’Édouard Fritch, qui, comme le notent les magistrats « a fait savoir à maintes occasions que la Polynésie devait avoir une ambition forte pour sa jeunesse, un cap, et un plan d’action pour atteindre ce cap ». Sauf que ce cap n’a jamais été fixé, pas plus que le plan d’action n’a été précisé ces dernières années.

Il faut dire que le secteur de la jeunesse, à partir de 2018, a été baladé entre la présidence, le ministre de l’Éducation, puis celui de la Culture et de l’Environnement. Heremoana Maamaatuaiahutapu a bien préparé, entre 2021 et 2022, un projet ambitieux de schéma directeur de la jeunesse, dont l’application était alors estimée à un milliard de francs sur la période 2022 – 2032. Mais ni le Conseil des ministres, ni l’assemblée n’a validé quoique ce soit. L’attribution, en 2022, d’un portefeuille spécifique à la jeunesse – une première – à Naea Bennett, a relancé les travaux. Avec, là encore, des consultations et communications multiples, et quatre « axes stratégiques » développés en public. Mais ces axes « n’ont pas été adoptés » de façon formelle par le Pays, et les mesures phare en matière de gouvernance du secteur n’ont « pas été mises en place ». La chambre « regrette » donc la « méthode » de la mandature Fritch – « repartir d’une page blanche » à chaque transmission du dossier -, qui aurait « durablement handicapé le secteur et empêché le vote d’orientations stratégiques, pourtant essentielles ».

Une feuille de route en « finalisation »

La politique jeunesse trouvera-t-elle son cap sous l’ère Brotherson ? Le président, dès son entrée en fonction en mai 2023, affirme en tout cas – à son tour – vouloir « placer la jeunesse au cœur de sa stratégie ». Sa ministre des Sports et de la Jeunesse, Nahema Temarii n’a ainsi pas attendu les recommandations de la CTC pour lancer un nouveau chantier de préparation d’un schéma directeur pour les dix prochaines années. Assises de la jeunesse en décembre 2023, tournées dans les îles, commande à un cabinet privé d’une étude de contexte – qui reste toujours incomplète par manque de données dans certains secteurs -, rencontres thématiques avec des représentants de jeunes et des « acteurs du terrain »… Le tout sous le contrôle d’une « commission de cadrage ».

La dernière réunion de cette instance, le 4 octobre, a été l’occasion d’étudier un projet de schéma « quasi final », qui ne doit plus recevoir que quelques modifications « de forme ». Suivront les présentations en Conseil des ministres, à la fin du mois, au Cesec avant la fin de l’année, puis à l’assemblée, début 2025. Un calendrier qui rentre dans celui de la CTC : la chambre demande des orientations stratégiques validées « au plus tard en 2025 ».

Dispositifs pas assez spécifiques…

Au ministère, on l’assure, ce schéma directeur, qui doit être doublé d’un programme d’action, s’inscrit « dans la lignée » des recommandations des magistrats. Par exemple avec la création d’un Centre d’information et d’orientation des jeunes et d’un « Pass jeune », qui vont permettre, comme le demande le rapport, de faciliter l’accès aux dispositifs d’aide, très variés, peu connus, et parfois pas pleinement utilisés. La CTC insiste aussi sur la nécessité d’un politique « interministérielle ». « Interservices », complète-t-on même côté de l’exécutif. Un comité de pilotage du schéma directeur, rassemblant les ministres des Sports, de l’Éducation, du Travail, de la Santé ou de la Culture, doit permettre d’assurer cette coordination et d’orienter les actions vers le bon porteur. Le rapport ne commente en revanche pas le projet de création d’une Direction de la Jeunesse par scission de la DJS, présenté tout récemment, et en cours de négociation dans l’administration.

Ce qui importe pour la chambre, quel que soit leur porteur, c’est que la jeunesse ait accès à des dispositifs « spécifiques ». Notamment en matière d’emploi. Les dernières enquêtes montrent une aggravation du chômage des 15 – 25 ans (12% en comptant le « halo » du chômage d’après les chiffres 2023), actuellement en « concurrences avec d’autres tranches d’âge » sur la « plupart des dispositifs » d’aide. Au passage, et alors que la majorité Tavini a récemment développé un discours hostile au RSMA à l’assemblée, le rapport met en avant ses excellents résultats : 91% d’insertion professionnelle pour les volontaires stagiaires, et même 93% pour les volontaires techniciens.

… et politiques mal évaluées

Le document interpelle aussi sur le manque de clarté des finances consacrées aux politiques jeunesse. « Malgré un travail long et fastidieux de ‘réparage’, la chambre, aux termes de son instruction, n’est pas en mesure de présenter une consolidation fiable de l’ensemble des données financières récoltées, trop disparates et partielles », écrivent les magistrats. Ce qui ne les empêche pas de détailler les importantes interventions de l’État dans le secteur, au travers d’une convention spécifique, d’aides ciblées et bien sûr de l’imposant budget de l’Éducation, et les différents postes de dépenses du Pays.

En l’absence de structures polynésiennes réellement dédiées à la jeunesse, une bonne partie de ces politiques passent par des subventions aux associations : 600 millions de francs de crédits sur 5 ans en comptant les aides aux investissements – pas toujours concrétisées par les associations -, les contrats de prestations et les accords sur le long terme. Pour la CTC ce système doit évoluer. D’abord avec une meilleure traçabilité des dépenses consacrées à la jeunesse – le pays s’est engagé à dresser un bilan annuel dans son rapport de performance adressé à l’assemblée. Ensuite par une évaluation de l’efficacité de chacune de ces dépenses. Pour avoir de la donnée, le schéma directeur en préparation prévoit la création d’un observatoire permanent de la jeunesse.

« Une partie de la jeunesse en danger »

Si la CTC, à plusieurs reprises, insiste sur la nécessité de concrétiser « rapidement » cette feuille de route, c’est que toutes les études disponibles dépeignent une dégradation inquiétante de la situation des quelques 40 000 15-25 ans Polynésiens – un chiffre qui a baissé, avec la fécondité, de près de 8 % en deux décennies. « Une partie de la jeunesse polynésienne est en grande difficulté », « en danger », même. Croisant les études et rapports, la CTC interpelle sur les chiffres du décrochage scolaire, de la précarité des jeunes, dont les attentes se concentrent surtout sur les « besoins primaires » –  se nourrir, s’habiller, disposer d’un logement décent, se déplacer -, insiste sur la fréquence du mal-être social ou familial qui aboutit à une augmentation des tentatives de suicides chez les jeunes.

Sur les chiffres de la délinquance, aussi, qui, s’ils n’ont pas été dévoilés au public par le Haut-commissariat cette année, sont parvenus jusqu’à la CTC. Difficile d’isoler les 15 – 25 ans, mais les magistrats retiennent que 256 mineurs ont été mis en cause pour des atteintes aux biens en 2023, 159 pour des troubles de l’ordre public, 200 pour violences, un chiffre en hausse. Dans ce contexte, l’absence, depuis 2022, de réunion du Conseil de prévention de la délinquance, et donc d’examen des statistiques annuelles, « interroge » la chambre, qui appelle à y « remédier au plus tôt ».

Et puis il y a bien sûr le problème des addictions : la tendance va dans le mauvais sens sur la consommation de paka ou d’alcool, les expérimentations d’ice se font de plus en plus tôt. Face à ces phénomènes, les systèmes de signalement et de suivi existent, partant bien souvent du milieu scolaire. Mais « aucune structure hospitalière n’est dédiée au sevrage en Polynésie » rappelle le rapport. Pour les jeunes comme pour les moins jeunes, l’ouverture du Pôle de santé mentale est attendu avec impatience.

 

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