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Balayage laser depuis le ciel et intelligence artificielle… Le Lidar veut révéler son potentiel


Depuis septembre, la société polynésienne Pacific Sud Survey opère un Lidar aéroporté. Cet instrument de pointe, unique dans la région et pour la première fois basé au fenua, permet, grâce à l’analyse d’ondes lumineuses, de cartographier avec précision, puis de modeler en 3D les zones survolées. Les responsables du projet entrainent une IA à interpréter les énormes volumes de données récoltées. Et interpellent sur le potentiel de cette technologie en matière d’urbanisme, de développement agricole, de gestions des ressources en eau ou en énergie,  de prévision des changements climatiques, d’étude des sites archéologiques, et même aides aux secours en cas de catastrophe.

Depuis le sol, impossible de le distinguer, ce boîtier blanc de 25 kilos, fixé sous l’aile d’un Cessna. Lui voit tout, ou presque, même quand le monomoteur vole à 1000 mètres d’altitude au-dessus du fenua. Il faut dire que le boitier en question grouille de technologie. Il abrite un appareil photo à très haute définition, capable de distinguer des éléments de cinq centimètres au sol, mais surtout un Lidar, pour Light Detection And Ranging. Un instrument qui émet et capte plusieurs millions d’impulsions lumineuses par seconde pour acquérir de grandes quantités de données géospatiales.

Modélisation 3D à 200 km/h

Sous l’aile du petit avion, ce « Lidar aéroporté » permet ainsi cartographier, à 200 km/h, les terrains, les infrastructures ou la végétation survolés, puis après traitement, de les modéliser en 3D, même quand les arbres obstruent la vue. Ce balayage laser et photographique depuis le ciel – les deux technologies se complètent, la caméra permettant de « coloriser » le nuages de points produit par le Lidar -, c’est une grande nouveauté au fenua. Elle est exploitée depuis septembre par Pacific Sud Survey, société spécialisée dans la cartographie, la topographie ou l’hydrographie, qui avait commandé cet instrument de pointe – produits sur-mesure – plusieurs mois auparavant. Olivier Saumet y voit un potentiel « presque infini ». « On va toucher le monde de l’archéologie, de l’énergie, de la cartographie urbaine, des infrastructures, de la topographie, de l’agriculture, de la gestion forestière, liste le cogérant et fondateur de la société. Et que sais-je ? Demain il y a sûrement des gens qui vont s’approprier ces données et qui vont encore trouver des intérêts et des applicatifs pour les données géospatiales ».

Si ce Lidar aéroporté est unique dans la région – entre les États-Unis et l’Australie, la Polynésie est aujourd’hui le seul territoire du Pacifique équipé d’une telle technologie – il a déjà fait ses preuves ailleurs. Les cartes 3D produites ont servi, entre autres, à évaluer le potentiel hydroélectrique de vallées d’Europe centrale, à retrouver l’emplacement d’anciennes cités maya au Guatemala, à guider des véhicules autonomes dans de grandes mégapoles américaines, à créer des environnements virtuels basés sur le monde réel ou à évaluer les risques présentés par des coulées de lave en Sicile…

Une cité Maya redécouverte grâce au Lidar ©National Geographic

Valorisation agricole, développement du renouvelable, gestion Unesco et catastrophes naturelles

En Polynésie, aussi les possibilités sont nombreuses, pointe Olivier Saumet, du côté du privé, mais surtout des autorités publiques. Le Cessna et son oeil laser pourraient notamment servir à mieux à gérer l’urbanisation tout autour de la Polynésie, à aménager des zones agricoles, en détectant des anciennes pistes ou des sites de cultures favorables, à développer le potentiel photovoltaïque en « scannant » les toits de la zone urbaine, à mieux connaitre les bassins versants de Tahiti, à prévoir les conséquences du changement climatique en connaissant davantage les traits de côtes des atolls, à mieux gérer les sites classés à l’Unesco, notamment les Marquises, en dressant un état des lieux complets de leurs zones naturels et leurs sites archéologiques… « Il y aussi une manière plus exceptionnelle de l’utiliser, en post-catastrophe, ou en tout cas en post-évènement d’ampleur, complète le responsable. On va pouvoir dans la même journée, collecter les données, les interpréter et par exemple fournir aux secours les accès qui sont encore praticables, évaluer les dégâts, faire de la recherche de personnes isolées… On a les moyens d’aider et d’apporter du soutien aux secours en cas d’évènements dramatiques ».

Ce genre d’opérations particulières pourraient être menées au travers des « réquisitions » par les autorités du matériel et de ces opérateurs dans les situation de crise. Qu’elles aient lieu au fenua ou ailleurs : facilement transportable dans la région, l’équipement peut être adapté à de nombreux avions et donc potentiellement utilisé dans le cadre de missions d’assistance humanitaires.

Une IA « entrainée » à comprendre les paysages tropicaux

Mais ce n’est pas tout d’acquérir des données par gros paquets – plus de 150 Gigaoctets a chaque vol -, encore faut-il les traiter efficacement. Vu les volumes en jeu, des outils informatiques spécifiques sont nécessaires et Pacific Sud Survey a utilisé depuis septembre, différents algorithmiques développés dans d’autres territoires. Sauf que tous ne s’adaptent pas bien au fenua. « On a une topographie très particulière, en tout cas sur les îles hautes, avec un relief très accidenté, une végétation très dense donc on est vraiment sur des contraintes extrêmes pour la cartographie au sens large, reprend Olivier Saumet. Donc l’idée c’est d’adapter un modèle pour qu’il soit propice à nos territoires, insulaires et tropicaux. Donc on va entraîner une intelligence artificielle, pour qu’elle puisse reconnaitre et classifier les données. On va partir de la route, du sol, de l’habitation, de la végétation, du poteau électrique, du panneau solaire… L’idée c’est de pouvoir classifier toutes ces données, qu’elles puissent être interprétées et que chaque personne puissent y trouver l’intérêt pour son besoin ». 

Les premiers résultats de l’entrainement de cette IA sont jugés très encourageants – voire même « assez fous » par les responsables du projets, qui annonçaient courant décembre pouvoir analyser, après un survol de 45 minutes, une « tuile » de 10 kilomètres carrés en « environ 2h30, avec un taux de réussite supérieur à 95% ». Si Pacific sud survey est déjà « plus qu’opérationnel » dans l’utilisation de son Lidar aéroporté, la société veut « pousser le plus loin possible » les capacités de son instrument. Et doit pour ça accueillir, pour ces six prochains mois, un futur ingénieur topographique polynésien, qui après une formation à Strasbourg, va travailler sur ce modèle d’IA en tant que projet de fin d’étude. Plusieurs autres territoires ultramarins ont déjà manifesté leur intérêt pour ces travaux.

Grande campagne et « open source »

Déjà missionné par deux privés, la technologie attend impatiemment de trouver son utilité auprès des collectivités, et ses exploitants, qui ont déjà trouvé une oreille intéressée du côté de la Présidence ou de l’Équipement, guettent les appels d’offres publics. Mais plus que des missions ponctuelles, c’est une campagne d’acquisition de données à grande échelle qu’ils visent à terme, avec si possible en bout de chaine une publication des résultats en « open source ». « Le coût opérationnel, qui peut être assez élevé sur de petites surfaces, vient à chuter de manière drastique quand on fait de grandes surfaces. Comme nous on sait que cette technologie va dans le sens de l’intérêt général, on aimerait que les moyens soient mutualisés, au niveau des pouvoirs publics, pour que l’acquisition ne se fasse pas au coup par coup, mais que les surfaces soient ajoutées aux surfaces. Et surtout qu’une fois que la donnée est collectée, qu’elle soit mise à disposition du plus grand nombre, pour que chacun se l’approprie ».

 

Quito Braun-Ortega « mécène » d’une technologie « au service de la Polynésie » 

Créé en 2020, Pacific Sud survey a tout de suite promu les techniques innovantes de mesures. En milieu marin, la petite entreprise utilise des instruments acoustiques pour étudier le relief des profondeurs. Elle est aussi active à terre, où un Lidar sur trépied lui permet de créer des « jumeaux numériques » de certains sites, bâtiments, ou équipements. Les utilisations sont déjà larges, en matière de patrimoine (à la Saintonge d’Arue, par exemple), d’industrie, de transports (scan partiel du Paul Gauguin avant sa grande rénovation), ou d’infrastructures (l’entreprise a par exemple réalisé un état des lieux de la passerelle piétonne de Vaitavere il y a quelques mois). En 2022, Olivier Saumet fait décoller un pôle aérien, avec des techniques de photogrammétrie, déjà très utiles pour la topographie ou les diagnostics en tout genre. L’acquisition d’un Lidar était alors un rêve pour la jeune société, qui a pu s’appuyer sur un investisseur providentiel pour le réaliser. Quito Braun-Ortega, très intéressé par la technologie pour cartographier et étudier son vaste domaine Vaiurua de la Presqu’île, a accepté de financer l’investissement « sans exigences de rentabilité ». Ce qui donne à Pacific Sud Survey des marges de manœuvre et du temps pour développer son modèle de traitement de données et pour convaincre les autorités de l’intérêt de la technologie. L’homme d’affaire, qualifié en l’occurrence de « mécène », est au passage devenu un des associés du projet, en même temps que Stéphane Chantre, patron de l’école de pilotage C3P, propriétaire du Cessna utilisé. L’instrument a coûté 60 millions de francs, « hors transport, assurance, logiciel, ordinateur, formation et exploitation de l’avion », précise Olivier Saumet. À l’entendre, le Lidar aéroporté doit bien trouver des contrats pour couvrir ses coûts de fonctionnement mais il a été importé « pour être au service de la Polynésie ».

 

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1 Commentaire

  1. Jeannot Cicutta
    13 janvier 2025 à 11h12 — Répondre

    Ce LIDAR est aussi exceptionnel pour le passé de notre fenua : Je suis allé entre autres au temples d’ANGKOR et là, le LIDAR a mis en évidence des zones habitées de l’époque, bien plus vaste que les connaissances que nous avions. Ici, cela pourrait permettre de mettre en évidence de nombreux sites où vivaient les polynésiens particulièrement à l’intérieur des îles hautes, et bien évidemment des MARAE et autres structures culturelles.

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