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Taxe, plastique, étiquetage : les industriels craignent « une spirale négative »

Des ventes en baisse de 15 à 20% sur les produits sucrés et des emplois menacés par la hausse de TVA, un projet d’étiquetage sur certains produits qui fait grincer des dents, et surtout l’application progressive d’une loi anti-plastique qui « ne tient pas la route ». Le président du Syndicat des industriels, Bruno Bellanger, fait le point sur ce début d’année.

Comment se portent les entreprises du Sipof en ce début d’année ?

C’est un peu comme la réplique célèbre du film La Haine, « jusqu’ici tout va bien ». Jusqu’à la fin d’année dernière tout allait bien, mais tout un pan de l’industrie polynésienne est dans le domaine de l’agroalimentaire, et notamment sur des produits un peu sucrés (glace et boissons) et donc va être maintenant fortement impacté par la hausse de la TVA au 1er janvier qui va passer sur ces produits de 5 à 11 %.

Quels en sont les premiers effets ?

C’est ce qu’on avait dit : -15 à -20%. Mais on est en janvier. Il y a toujours une baisse forte et nette lorsqu’on applique ce genre de modification fiscale, on espère juste que cette baisse ne va pas se maintenir à long terme, sinon ce sera catastrophique. J’avais déjà dit qu’il y avait un risque évident de perte d’emploi avec une telle hausse. Je déplore toujours les deux mêmes choses : le fait que ce soit la production locale qui supporte les deux-tiers de cette taxe, puisque la production est taxée à 1,6 milliards, alors que les importations ne le sont qu’à 800 millions. Alors que la production locale a quand même toute une partie de salariés en production qui cotisent à la CPS, ce qui n’est pas le cas pour les importations. Je déplore aussi que le gouvernement ne nous ait pas laissé le temps de nous adapter, de changer nos formules. Cette loi est passée en trois mois, et donc il n’était pas possible, quand vous travaillez sous licence, de dire à votre licencieur de trouver une formule avec un taux de sucre plus bas. Une fois de plus, la production locale est désavantagée alors que l’importation a la capacité de changer de produit très rapidement.

Vous évoquez une perte de -15 à -20%, combien d’emplois pourraient être menacés, et en combien de temps ?

C’est trop tôt pour le dire, mais il ne s’agit pas que d’emplois, il s’agit de sociétés complètes dont la pérennité même pourrait être atteinte. Le souci, c’est que nous avons besoin en Polynésie de créer beaucoup d’emplois. Sans emploi, il n’y a pas de cotisation CPS pour financer notre système social, retraite et maladie. Le gouvernement serait donc obligé d’augmenter les taxes pour financer l’augmentation des coûts CPS liés à une population qui vieillit. Donc nous sommes dans une spirale négative : on doit créer de l’emploi et toutes ces dispositions sont destructrices d’emploi. Je ne peux que le constater.

Toujours dans l’agroalimentaire, une loi souhaite faire apposer des macarons « trop gras », « trop sucré », « trop salé », ou « trop calorique ». Comment ce projet est-il perçu ?

Il est mal accueilli par les industriels locaux, car il va falloir jeter des étiquettes, en mettre d’autres… ça peut être intégré à l’emballage donc ça va coûter quelques dizaines de millions en outillage. Et il est très, très, mal accueilli par les importateurs qui eux, vont devoir sortir tous les produits, un à un, pour les réétiqueter, avec un affichage qui, à mon sens, ne va pas apporter plus que le nutri-score actuel. Une fois de plus, on essaye de faire comme dans des pays qui se basent sur des millions d’habitants et consommateurs, qui ont donc de vraies industries qui les rendent autonomes, et qui ne sont pas dépendant des importations comme l’est l’économie polynésienne. On va donc se retrouver avec un important surcoût d’étiquetage, pour un résultat dont je doute de l’efficacité par rapport à une politique de prévention massive, telle qu’elle était prévue il y a vingt ans par le gouvernement Flosse au moment de la mise en place de la TCP (taxe de consommation pour la prévention, ndlr).

Vous préconisez donc l’accentuation de la prévention ?

Il faudrait surtout faire de la prévention dans les écoles, chez les plus jeunes. La TCP a été mise en place il y a vingt ans. Il y a vingt ans ses recettes s’élevaient déjà à 1,8 milliard de francs qui finançaient l’Epap (Établissement public pour la prévention, dissous en 2010, ndlr), une communication de prévention a alors débuté et, ensuite ça a arrêté de communiquer et l’argent est passé directement au budget. Avant, le principe était que si la population avait faim, on « lui apprenait à pêcher ». Et finalement on s’est dit, non, on ne va pas lui apprendre à pêcher, mais « on va la nourrir »….. et donc les habitudes n’ont pas changé. Et on en est encore là aujourd’hui, on continue à vouloir mettre des taxes plutôt que d’apprendre à la population à « pêcher », à changer ses habitudes alimentaires. Voilà le paradoxe.

Les industriels sont aussi concernés par la loi anti-plastique à usage unique, qui déroule ses différentes mesures. La semaine dernière, la Diren évoquait des professionnels qui seraient « dans la passivité »…

Ce sont des discours de personnes qui sentent que le travail n’a pas été fait avec la rigueur nécessaire. D’un point de vue organisationnel, la concertation n’a pas eu lieu. Il y a eu une vague étude, au moment du Covid, qui a évoqué ce qu’il pourrait se passer. Entre une vague étude et une concertation, il y a une énorme marge de manœuvre. Je ne suis pas d’accord avec la Diren. Mon problème est que je parle en tant que président du Sipof, mais j’ai aussi une casquette de producteur de plastique en tant que DG de Plastiserd, qui me dessert dans ce sujet-là. On nous parle souvent de « lobby du plastique » mais ça n’a rien à voir. C’est juste du bon sens économique, technique et social.

Quels échanges avez-vous eu avec la Diren ?

Nous avons notamment échangé par courrier, et la Diren évoque le remplacement des couvercles en plastique (servant à couvrir les plats préparés, interdits au 1er juillet 2026, ndlr) par des couvercles en carton, avec un étiquetage clair et attractif, qui permettra de compenser la perte de visibilité du produit. Vous croyez vraiment que vous allez acheter une boîte de sushis, avec une photo de sushis ? Non, vous allez vouloir voir ce qu’il y a dedans. On essaye d’inventer des choses qui n’existent nulle part dans le monde. La visibilité du  produit, c’est une première question. La deuxième, c’est la protection contre l’oxydation. Une longe de thon qui ne sera pas protégée par un film, elle va s’oxyder en deux heures.

Toujours dans ce courrier, la Diren explique que la vente directement à l’étalage (plutôt que la vente dans des contenants plastiques ndlr) privilégie le service direct par les commerçants. Penses-t-on réellement que tous les petits traiteurs vont mettre quelqu’un à l’étalage ? Est ce que vous croyez qu’on peut transporter, en livraison, un produit alors qu’il n’est pas protégé ? Non, c’est impossible, si on veut recevoir un produit en bon état…. En fait, et c’est un paradoxe, la loi exempte tous les emballages qui ont un film de thermoscellage et une atmosphère protégée à l’intérieur de la barquette. C’est à dire qu’il faut pouvoir se payer une machine qui coûte à peu près deux millions, qui va vous permettre de thermosceller avec un couvercle transparent pour continuer à utiliser des barquettes plastiques et un film transparent. Cela veut dire que tous les importateurs vont pouvoir importer des barquettes et du film plastique, puisque leurs produits sont issus de tissus industriels avec de grosses machines. Quelques grosses sociétés industrielles de la place vont pouvoir le faire, ces gens là sont déjà équipés, vont pouvoir continuer à utiliser des barquettes. Mais par contre, tous les petits patentés qui ont une activité de traiteur à domicile vont être évincés du marché, ainsi que les services de livraison dont l’activité s’est fortement développée récemment.

 

On nous propose aussi d’utiliser des contenants réemployables. Quelle est la définition d’un contenant réemployable ? (Il sort un gobelet en plastique) Voilà la conclusion d’un travail de recherche récemment fait chez Plastiserd. Nous avons modifié les moules de gobelets que tout le monde connaît, pour les rendre réemployables. Ça veut dire qu’ils sont beaucoup plus solides qu’avant, on voit bien qu’ils ne cassent pas (il en fait la démonstration), et surtout ils passent au lave-vaisselle. Mais c’est ma définition du réemployable. Est-ce que c’est également celle de la Diren…. je ne sais pas.

Ça n’a été défini par personne ?

Non, pas du tout. Explorer des alternatives au plastique, on l’a déjà fait. Le monde entier l’a fait. Et si la France a fait demi-tour sur cette loi (saisi par des syndicats professionnels, le Conseil d’État a annulé le décret d’application de la loi de 2020 interdisant les emballages plastiques pour les fruits et légumes, ndlr) c’est qu’il n’y a, pour l’instant, aucune d’alternative viable économiquement et socialement.

Vous évoquez le manque de concertation, mais les industriels n’ont-ils pas été auditionnés par le Cesec, lequel s’est prononcé en faveur de la loi ?

Nous y sommes allés, mais on nous considère toujours comme le lobby des matières plastiques. Et pourtant, ce n’est pas Plastiserd et ses barquettes qui vont souffrir. C’est surtout le pêcheur avec sa longe de thon dans le film, le petit traiteur à domicile, le livreurs de ces produits….Aucune approche économique et sociale n’a été faite. Quand je vois le courrier de la Diren qu’a reçu le Syndicat des industriels, je me demande si elle n’a pas été écrite avec de l’IA. J’aimerai qu’elle soit révisée avec de l’IR, de l’intelligence réelle. Les pouvoirs publics imposent trop de règles, de normes et de contraintes à une activité économique déjà difficile. Je ne comprends pas qu’il n’y ait pas plus de concertation.

À court terme, c’est d’abord l’interdiction de la vaisselle jetable en plastique ou en aluminium, qui va entrer en vigueur en juillet 2025…

Les verres, les assiettes, les couverts, cela a été anticipé, accepté et même poussé depuis longtemps. Il y a quelques années, un groupe de grandes surfaces a décidé de retirer ces articles de ses rayons, et Plastiserd en tant que producteurs, nous avons déjà proposé au gouvernement de l’époque de ne plus produire, en contrepartie d’une interdiction de l’importation. Les conséquences économiques n’existaient qu’au niveau de Plastiserd et je m’étais engagé à retrouver des emplois aux gens concernés à l’intérieur du groupe, ce qui a été fait. Donc ça ne me dérange pas, mais, cela dérange beaucoup plus ceux qui font de la restauration rapide et les roulottes… qui doivent s’adapter avec ça….et rapidement .

Il y a certaines solutions qui existent…

Attention aux fausses solutions. Attention, par exemple, aux produits que l’ont dit compostables : quand on parle de compostable, on parle de la fameuse norme NF 13 342… qui ne s’applique pas ici, car il n’y a pas de composteur industriel, pas plus qu’en Nouvelle-Zélande d’ailleurs. Attention aussi, aux bioplastiques, qui restent des plastiques à 100 % même si le carbone qui y est intégré est d’origine végétale et non fossile. Attention au langage dans le recyclage des matières plastiques. Attention au remplacement par du carton avec du film plastique : il faut savoir qu’il n’y aucun carton, aucune barquette, qui n’a pas un film plastique pour empêcher le gras, la sauce, le jus…de passer à travers. Même quand vous achetez du jambon, il y a un film plastique sur la feuille qui sert à l’emballer. Et tout ça va être interdit. Si vous lisez le texte, l’emballage de yaourt ne pourra plus exister. Le souhait du gouvernement est il de pousser tous les Polynésiens à acheter une yaourtière ? Rien ne tient la route. Je suis un peu fiu de redire cela, mais l’avenir me donnera raison.

Avez vous bon espoir de rediscuter ?

De notre côté il y a toujours des ouvertures, mais pour l’instant du côté de la Diren, c’est portes closes, les industriels n’ont qu’à s’adapter….

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