Beaucoup de pétitionnaires, mais peu de surprises, ce lundi à New-York, lors de la réunion de la quatrième commission des Nations-Unis. Moetai Brotherson a appelé l’État et l’ONU à mettre en place une « feuille de route », un « programme de travail détaillé » pour la décolonisation, et répété la demande d’envoi d’une mission internationale dans le pays. L’ambassadeur français, confirmant l’abandon de la politique de la chaise vide, lui a répondu… Mais seulement pour réaffirmer la ligne de Paris, soutenue par les quelques représentants autonomistes présents : la priorité, c’est le développement du fenua.
Une décolonisation qui serait « un exemple pour le monde ». Voilà ce qu’a demandé Moetai Brotherson, au siège des Nations-Unies, ce lundi. Le président polynésien faisait partie de la grosse vingtaine d’intervenants polynésiens lors de la réunion de la quatrième commission de l’ONU, où sont passés en revue tous les ans les 17 territoires « non-autonomes » listés par l’institution internationale.
Pour cette deuxième apparition en tant que chef du gouvernement, l’ancien député, habitué du rendez-vous new-yorkais, a commencé par saluer les avancées obtenues l’année précédente : la France après une décennie de politique de la chaise vide sur le dossier onusien de la Polynésie, a « entamé un dialogue » au sujet de la décolonisation. Le président veut maintenant lui donner du corps : « Je réaffirme le plein appui de mon gouvernement à une décolonisation transparente, pleine et entière, pacifique avec la France et sous le contrôle des Nations-Unies ».
Ne pas « sous-estimer la détermination de ceux qui aspirent à la souveraineté lorsqu’ils sont confrontés à un cul-de-sac politique »
Un processus qui selon lui s’intègre parfaitement dans les valeurs de l’Organisation Mondiale de la Francophonie, que la Polynésie vient de rejoindre en tant que membre observateur. « Une étape importante pour nous et un pas de plus dans l’ouverture au monde francophone et vers un engagement partagé autour des valeurs de paix, de solidarité et de démocratie, a décrit Moetai Brotherson, basculant momentanément de l’anglais au français dans son discours. En tant que membre observateur de l’OIF nous souhaitons être les porte-parole d’une francophonie décoloniale guidée par ces valeurs. (…) Oui, une décolonisation exemplaire, menée dans un esprit de collaboration, dans un respect mutuel et dans la paix est possible. Nous somme prêts à co-construire ce programme de travail qui nous mènera, avec la France et sous l’égide des Nations-Unies, vers l’auto-détermination de manière pacifique et démocratique ».
Un « programme de travail », « coconstruit » et « détaillé » c’est d’ailleurs la demande forte formulée par le président du pays ce lundi. Il a exhorté l’ONU d’inscrire dans sa résolution annuelle sur le dossier polynésien, votée en assemblée générale et qui est souvent un copié-collé de celle de l’année précédente, cette demande de « feuille de route » qui engagerait à la fois la « puissance administrante » et l’organisation inter-étatique sur un « calendrier » de discussions et des « jalons ».
Moetai Brotherson a aussi, une nouvelle fois, exhorté l’ONU et Paris d’envisager une mission de visite en Polynésie, comme celle qui s’était tenu aux îles Vierge britannique en août et qui, comme l’ont noté plusieurs représentants Tavini, a aussi été demandée, en son temps, par Édouard Fritch. Le président a fini par un message et un parallèle à la Nouvelle-Calédonie, en proie à des tensions et violences depuis plus bientôt cinq mois. « Nous ne devrions jamais sous-estimer la détermination de ceux qui aspirent à la souveraineté lorsqu’ils sont confrontés à un cul-de-sac politique » a-t-il lancé comme un avertissement, tout en répétant son appel à trouver des « solutions pacifiques » dans toute la région.
« Pas de processus entre l’État et le territoire polynésien qui réserve un rôle aux Nations-Unis »
Nicolas de Rivière, représentant permanent de la France à l’ONU a immédiatement pris la parole après Moetai Brotherson, là où ses prédécesseurs et lui-même faisaient le choix, depuis la réinscription de 2013 et jusqu’en 2023, de ne pas participer ou même siéger pendant les débats sur la Polynésie. La confirmation d’un « changement de méthode », mais qui « n’emporte pas de changement de ligne » de Paris, a insisté l’ambassadeur : « Il n’existe pas de processus entre l’État et le territoire polynésien qui réserve un rôle aux Nations-Unis ».
Le diplomate a ensuite entrepris de rappeler le montant des transferts de fonds de l’État vers le fenua, « environ 2 milliards d’euros, soit 30% du PIB » local, la nature de « l’autonomie très poussé, qui permet aux Polynésiens d’exprimer leurs ambitions dans le respect de leurs particularités » et le travail « d’accompagnement » de l’État « auprès du gouvernement local » pour « examiner les ambitieux projets de développement de son territoire et accompagner leurs mises en œuvre ».
Une réponse jugée, sur Facebook, « pas à la hauteur des enjeux » par Moetai Brotherson qui se dit « sidéré » par cette « myopie diplomatique ». Les autres pétitionnaires indépendantistes – 17 représentants du Tavini, des envoyés de l’Église protestante maohi et de diverses associations qui y sont pour beaucoup liées – n’en penseront pas moins. D’autant que certains d’entre eux, et notamment Tony Géros, n’ont pas salué avec autant d’enthousiasme que le président du Pays la transition française depuis le silence vers le refus audible d’un processus onusien.
« Le traumatisme de la colonisation n’est qu’un murmure du passé »
Les représentants autonomistes, beaucoup moins nombreux à New York ce lundi, ont, eux, argumenté dans le même sens que l’ambassadeur de France, en assurant que la population polynésienne était beaucoup plus attentive à l’avenir économique et sociale qu’à l’avenir institutionnel. L’élue Tapura Tepuaraurii Teriitahi a ainsi noté, à l’inverse de ce qu’avait fait le Tavini après les territoriales de 2023, que les résultats des élections législatives démontrait l’attachement des Polynésiens à la France. La tavana de Hao Yseult Butcher à appeler l’ONU à ne pas cautionner « ceux qui veulent créer le chaos et la division », le sénateur Teva Rohfritch a souhaité que la commission « ne se laisse pas convaincre à la seule jauge du nombre pétitionnaires » indépendantistes présents dans la salle.
Quant à Moerani Frebault, dont c’était la première intervention à l’ONU, il a assuré que « le traumatisme de la colonisation que certains continuent d’invoquer n’est qu’un murmure du passé », et que les promesses d’action sur la vie chère qui ont porté le Tavini au pouvoir ont, 15 mois plus tard, « révélé leur fragilité ».