ACTUS LOCALESPOLITIQUESOCIÉTÉ À Moruroa, l’État joue la transparence, mais ne rétablit pas la confiance Charlie Réné 2024-03-10 10 Mar 2024 Charlie Réné L’État et l’Armée avaient invité, ce samedi, à Moruroa, une délégation d’élus locaux et d’anciens travailleurs du CEP. Une opération pour rassurer sur la surveillance de l’atoll que les autorités, malgré des données toujours rassurantes sur le risque radioactif ou d’effondrement, n’ont pas l’intention de lever. Tant mieux, car parmi les élus Tavini, si on salue la démarche d’ouverture et de pédagogie, certains ne sont toujours pas prêts à « croire tout ce que l’État dit ». Ce qui ne les empêche pas de vouloir « avancer » sur d’autres sujets liés aux essais, notamment des sujets financiers. Lire aussi : Nucléaire : une nouvelle commission d’enquête à l’Assemblée nationale pour modifier la loi Morin Foule des grands jours à Mururoa ce samedi. Pas de celles de l’époque du Centre d’expérimentation du Pacifique, quand « Muru » accueillait plus de 4 000 personnes dans une base en forme de « petite ville ». Mais ces dernières années, l’atoll des Tuamotu, toujours classé terrain militaire comme son voisin de Fangataufa, n’accueille que très rarement des délégations d’une trentaine de personnes. Autour du haut-commissaire Éric Spitz et du contre-amiral Geoffroy d’Andigné, des cadres de l’État et de l’Armée, mais aussi, chose plus rare, des représentants du gouvernement. Son président, sa vice-présidente, et son ministre de la Santé sont accompagnés d’élus de l’assemblée de la Polynésie – Hinamoeura Morgant-Cross et Heinui Le Caill, pour qui ce déplacement était une première – et de parlementaires, avec les députés Mereana Reid-Arbelot et Steve Chailloux. S’ajoutent des invités issus d’associations représentant d’anciens travailleurs du CEP : Tamarii Moruroa, Moruroa e tatou, anciens combattants, et même le Sdiraf d’Émile Vernier. De quoi faire doubler, le temps d’une journée, la population de l’île. Tout est sous contrôle À Moruroa ne se trouvent en effet, à l’année, que 27 militaires, dont 9 « permanents » – cuistots, mécanos, infirmière – ainsi que deux techniciens de Vinci et un « recrutement local », qui œuvre comme conseiller du chef de détachement. Pour ces gardiens de l’île, les arrivées de Casa sont généralement synonymes de relève et de départ. Cette fois, il s’agissait plutôt de faire visiter, d’expliquer, de montrer… Et surtout de rassurer sur les mesures de surveillance de l’atoll. Surveillance radiologique, avec la mission Turbo, qui consiste à prélever chaque année jusqu’à 1 200 kilos d’échantillons organiques ou minéraux où seront recherchés les moindres radionucléides. Les scientifiques du Commissariat à l’énergie atomique, accompagnés de techniciens et plongeurs locaux, sont en opération en ce moment même à bord du Bougainville à Mururoa. Surveillance géomécanique aussi, grâce au système automatique de télésurveillance Telsite. Réparti tout autour de l’île, il mesure et transmet en direct les données sur les plus infimes mouvements de l’atoll dont la couronne corallienne a été fragilisée par les essais. Cette grande opération transparence est aussi passée par les installations de contrôle de l’air, là aussi en direct, ou par les puits de stockage des déchets radioactifs, qui atteignent les 1 200 mètres de profondeur. À chaque étape, des explications et des questions réponses menées par la cheffe du Département de suivi des centres d’expérimentations nucléaires, le médecin chef Anne-Marie Jalady. Et à chaque étape, le même message : tout est sous contrôle. C’est d’ailleurs ce que montraient les dernières données présentées dans la commission d’information ad hoc, réunie pour la dernière fois en novembre. Les niveaux de radiation artificielles dans l’eau, la terre, les poissons, le coco, le sable ? « Tout juste détectables », très loin des niveaux de radiation naturelle. Les mouvements de sol ? « Extrêmement faibles », rendant « très improbable » un glissement calcaire sous-marin et l’apparition d’un tsunami, quoiqu’il arrive prévisible « plusieurs semaines à l’avance ». La mise en puits des déchets ? Une technique « appuyée sur des mesures, et des études », et plus sains que les « dômes de béton » utilisés par les Américains aux îles Marshall. Ce qui n’empêchera pas les visiteurs d’enchaîner les questions, sur les techniques d’analyse des prélèvements, de stockage des déchets, sur les « océanisations » qui les ont précédés, ou tout simplement l’histoire du CEP. « En marche pour la réconciliation »… Et pour d’autres questions Rassurés, les élus ? Satisfaits de la démarche en tout cas. Hinamoeura Morgant-Cross, qui, avant de devenir Tavini à l’assemblée, s’est fait un nom dans la lutte anti-nucléaire, se dit même surprise par la transparence de l’État lors de ce déplacement. « On pouvait ramasser tout ce qu’on voulait ! s’étonne-t-elle, je n’ai pas eu un militaire qui m’a suivi partout, peut-être qu’ils ont rien à cacher ? » En tout cas, la membre de 193 et Moruroa e Tatou, se sent « un peu mieux » après cette journée : « D’avoir foulé cette île, ça m’a apaisé, j’ai l’impression d’être moins en colère, c’était un moment qui était fort, explique l’élue, qui décrit la période des essais comme un « traumatisme » qui a marqué sa famille comme le fenua dans sa chair. Après de là à dire que j’ai cru tout ce qu’ils ont dit, je peux pas, parce qu’on a eu des décennies de mensonges. Je veux y croire en tout cas, être en marche pour la réconciliation, parce que je pense qu’aujourd’hui ça ne sert à rien d’être dans la colère, il faut qu’on avance. » https://www.radio1.pf/cms/wp-content/uploads/2024/03/MORUROA-Hinamoeura.wav Et « on a besoin de l’État » ajoute-t-elle, notamment pour le financement de la Santé : « On a beaucoup de Polynésiens atteints de maladies radio-induites non reconnues, qui sont en train de mourir parce qu’on est à la préhistoire de la médecine en Polynésie. Je demande à l’État de nous aider, parce qu’on a pas la santé à la hauteur du préjudice qu’on a subi. » À ses côtés, Mereana Reid-Arbelot n’est, elle, « ni plus ni moins rassurée » qu’avant la visite. « C’est juste que j’ai des informations en plus, précise la députée. Peut-être pas toutes que toutes celles que je voulais avoir mais le travail va continuer. » Continuer notamment au sein de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale que son groupe parlementaire entend faire ouvrir sur la question des conséquences des essais et sur les besoins de réformes de la loi Morin. Moetai Brotherson, lui aussi, salue la démarche de l’État, et, sans remettre en cause la teneur des résultats de surveillance rassurants présentés chaque année, s’interroge sur les « marges d’erreur » de ces mesures : https://www.radio1.pf/cms/wp-content/uploads/2024/03/MORUROA-MOETAI-fiabilite.wav Le Haut-commissaire opposé à l’allègement du dispositif de surveillance Reste que sur les graphiques de risques, voilà de longues années que les courbes frisent les zéros. La surveillance de Moruroa est-elle une histoire sans fin ? « La règle générale, au niveau national, c’est que quand on a des sites pollués par la radioactivité, on continue une surveillance régulière, explique la médecin-chef Anne-Marie Jalady. Il n’y a pas de terme qui est précisé dans la règle, mais il peut y avoir des réflexions possibles sur la fréquence, la nature de la surveillance, c’est à voir. » Certains à Paris demandent effectivement à voir, surtout quant on sait que la seule mission Turbo mobilise jusqu’à 70 personnes, dont certains « quasiment à l’année ». « Ce sont des questions dont on parle chaque année », note le haut-commissaire Éric Spitz. Mais l’allègement du dispositif serait selon lui une mauvaise idée : https://www.radio1.pf/cms/wp-content/uploads/2024/03/MORUROA-HC.wav Après le départ de la délégation, samedi soir, « Muru » a donc repris un rythme que l’atoll devrait connaitre pour longtemps : entretien du matériel, sécurisation des sites pollués, assistances aux scientifiques de passage… Une vie hors de la Polynésie, puisque Moruroa et Fangataufa ne font partie d’aucune commune, ne sont du ressort d’aucune autorité locale, dont celle du Pays. « C’est un statut très particulier qui ne correspond pas aux décisions qui avaient été prises par la commission permanente à l’époque de la décision de la cession de Mururoa, rappelle Moetai Brotherson. Les deux atolls devaient être restitués à la Polynésie à l’issue des essais. Ça n’est toujours pas le cas, et ça va être difficile d’arriver à ça, mais ça reste une demande de la Polynésie. » Une demande qui n’a pas particulièrement été rappelée à l’État depuis le début de la mandature. De l’indemnisation des victimes aux conséquences environnementales des essais en passant par le remboursement de la CPS pour les maladies radio-induites – un sujet sur lequel le président appelle tous les parties à « ne pas camper sur ses positions » -, l’État et le Pays ont pour l’instant « des dossiers beaucoup plus importants à discuter. » Une cérémonie en l’hommage des travailleurs du CEP La visite est aussi passée par l’impressionnant poste d’enregistrement avancé, bunker au plus près des sites d’essais, et au pied duquel une stèle rend hommage à trois travailleurs civils du nucléaire, morts lors d’un accident de forage en 1965. La stèle, qui porte les noms de Albert Pedebernarde, Rataro Toae et Petero Teputahi, avait été rénovée en 2021 et c’était la première fois, depuis, que l’armée avait l’occasion d’y mener une cérémonie d’hommage. « C’était important pour nous que ça puisse se faire avec la présence des associations d’anciens travailleurs », note le contre-amiral Geoffroy d’Andigné, qui a pointé dans son discours que ces travaux, et les essais qui en ont résulté, ont permis à la France d’acquérir la capacité de dissuasion nucléaire. Et ont donc, « offert aux Français et aux Polynésiens, 70 ans de paix ». À la même tribune, le président Moetai Brotherson a insisté, entre autres, sur la « bombe socioéconomique » qu’a représenté la mise en service de ce site. « La Polynésie et son économie un peu artificielle aujourd’hui, c’est la résultante de l’installation du CEP », rappelle le président. 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