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A Nice, le soir de fête tourne au carnage

Nice (AFP) – Le bouquet final du feu d’artifice du 14 juillet illumine d’une lueur dorée la Promenade des Anglais de Nice. Les passants flânent, s’apprêtent pour certains à rentrer chez eux, quand le carnage commence : au volant d’un camion, Mohamed Lahouaiej Bouhlel, 31 ans, fauche des centaines de personnes et en tue 84, dont 10 enfants. 

Les festivités du 14-Juillet débutent vers 22H00 sous un ciel menaçant. Au loin des éclairs s’abattent au-dessus de la mer, striant le ciel gris.

Une foule dense de 30.000 personnes se prélasse sur les galets des plages et tout au long de la « Prom », célèbre avenue de bord de mer à la courbe si parfaite. Ils savourent en famille la fraîcheur estivale du soir après une journée torride. Des touristes sont agglutinés aux fenêtres des grands hôtels du front de mer pour le spectacle.

La fin du feu d’artifice est ponctuée par des applaudissements et la foule commence à se disperser.

Au niveau de l’hôpîtal pour enfants Lenval, un camion blanc de 19 tonnes –qui va parcourir environ deux kilomètres– vient de débouler, fauchant sur le trottoir ses premières victimes. Arrivé quelques instants plus tard devant les barrières qui délimitent le tronçon piétonnier de l’artère en cette soirée de fête, il contourne un barrage de police en empruntant le large trottoir de bord de mer. Il fonce alors à 90 km/h au milieu de la foule, durant 45 secondes interminables.

– Accroché à la portière –

Robert Holloway, un ex-journaliste de l’AFP, remonte alors de la plage avec son épouse: « Tout à coup, à une cinquantaine de mètres, le camion a semblé surgir de nulle part, comme cabré au-dessus des têtes. Tous phares allumés, il oscillait et slalomait d’un bord à l’autre de la promenade. Dans un vacarme de métal hurlant, il a défoncé des sièges, un parking à bicyclettes et la rambarde surplombant la plage. »

« Le camion nous a dépassés dans un grand bruit. J’ai levé le bras pour me protéger le visage d’une pluie de morceaux de verre et de plastique », raconte-t-il.

L’un  des héros de la nuit s’accroche alors à la portière – côté conducteur – du véhicule pour tenter d’arrêter sa course: « C’est instinctif », assure Alexandre, un grutier de 31 ans. Il croise alors le regard de Mohamed Lahouaiej Bouhlel. « Il était en train de chercher quelque chose… C’était son calibre. » Le tueur braque son pistolet 7,65 sur le jeune homme, qui lâche prise.

Il est frôlé par un deux-roues. Son pilote a lui aussi tenté d’ouvrir la portière avant de chuter et de passer sous les roues du camion, selon un journaliste allemand qui a filmé la scène avec son téléphone.

« A un endroit, il y avait quelqu’un qui vendait des bonbons, le camion a évité une pergola, est remonté sur le trottoir pour le viser, il savait très bien maîtriser le camion, il faisait des zigzags » pour viser les passants, raconte Alexandre.

John, un Sud-africain, est frappé par son calme dans l’habitacle: « C’est presque comme s’il jouait à un jeu vidéo. Il était juste concentré sur sa tâche: essayer d’écraser le plus de monde possible. »

« J’ai vu le camion qui fonçait et des corps qui voltigeaient. On voyait qu’il voulait faire le maximum de victimes », se souvient Najate, une Niçoise. « Il roulait vite. C’était horrible. J’ai vu un père avec son fils de deux ans dans les bras. Le petit était mort. »

« Les gens sont devenus fous », raconte aussi Laroussi, un touriste tunisien qui a vu le camion débouler, puis a posé son regard sur « un petit coupé en deux », sa poussette intacte.

Les enquêteurs révèleront quelques jours plus tard que le tueur, un chauffeur-livreur tunisien au passé violent et dépressif, père de trois enfants, apparemment radicalisé récemment et résidant à Nice depuis une dizaine d’années, a méticuleusement préparé son acte.

Une équipe de la « brigade spécialisée de terrain » de la police – une femme et deux hommes – remonte alors en courant la Promenade des Anglais. Le camion blanc est déjà arrêté. Un inconnu monte alors sur le cale-pied côté conducteur du véhicule, cherchant à intervenir avant d’être intercepté par des policiers.

Mohamed Lahouaiej Bouhlel commence à tirer avec une arme de poing sur la brigade. Un policier, à 15 mètres environ, tire une première fois en visant la tête, car « c’est la seule chose » qu’il voit. Le chauffeur se baisse et réapparaît. Le policier tire à nouveau, tout comme ses deux collègues, dissimulés derrière des palmiers.

–  »J’ai nagé longtemps » –

Puis Lahouaiej Bouhlel dirige son arme vers eux. Le policier fait de nouveau feu à deux reprises, avant de voir « sa tête tomber en arrière sur le montant de la fenêtre ».

Pendant ce temps, la foule se précipite dans des restaurants ou s’entasse dans des chambres d’hôtel. Un jeune serveur de la « Prom » se voit confier un bébé mort par une maman tentant de mettre à l’abri ses deux autres enfants.

Amandine rêvasse sous les étoiles sur la plage en contrebas du Palais de la Méditerranée, un luxueux complexe hôtelier, là où le camion a fini sa course, lorsqu’elle entend des coups de feu.

« J’ai eu l’impression qu’on nous tirait dessus. On a commencé à courir le long de la mer dans une direction. D’autres détonations ont retenti et la foule a couru dans l’autre sens. Il ne fallait pas tomber à terre, sinon on se faisait piétiner. J’avais l’impression d’être encerclée, j’ai enlevé mes chaussures et j’ai plongé dans la mer. J’ai nagé longtemps, j’étais épuisée lorsqu’un bateau de secours est venu me chercher », raconte-t-elle.

Dans la panique, « des centaines de personnes fuient la Promenade, témoigne Valéry Hache, un photographe de l’AFP arrivé très rapidement sur place. « Ce sont des terroristes! Ils tirent! », hurlent certains. « J’aperçois un grand camion, le pare-brise criblé d’impacts de balles, entouré de policiers (…) Il y a des corps partout, couverts de draps, blancs et bleus », se souvient le photographe.

Comme d’autres anonymes, une touriste suédoise a jeté des draps par la fenêtre pour couvrir des corps. Dans les hôpitaux où arrivent des blessés polytraumatisés, c’est le chaos et les médecins enchaînent les opérations.

De multiples rumeurs courent dans la ville, comme celle d’une prise d’otages, des mouvements de panique se répètent.

Quelques heures plus tard, la ville si festive est quasi déserte, patrouillée par des militaires lourdement armés, dans un silence lugubre.

© Harp_detectives / Twitter/AFP/Archives – Une photo tirée d’une vidéo du compte Twitter de harp_detectives montre des gens s’enfuyant sur la promenade des Anglais, à Nice le 14 juillet 2016