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À Rangiroa, les requins-marteaux au centre d’un ambitieux projet de conservation


Mieux connaitre le grand requin-marteau pour le sauver de l’extinction. C’est l’idée de la Mokarran Protection Society, lancée en 2019 à Rangiroa, qui a noué un partenariat avec l’équipe Gombessa connue pour ses expéditions sous-marines. L’objectif : accumuler, grâce à de nouveaux outils technologiques, un maximum de données sur ce migrateur encore très méconnu, qui devrait bientôt faire l’objet d’un documentaire de Laurent Ballesta.

« Le compte à rebours est lancé ». Pour Jean-Marie Jeandel, aucun doute, la protection du grand requin-marteau est une affaire « d’urgence ». Il faut dire que du Sphyrna mokarran, on ne sait que très peu de choses, si ce n’est que l’espèce est menacée. En « danger critique d’extinction », juge même l’UICN, autorité en matière de biodiversité, qui pointe le rôle du commerce d’ailerons – celui des grands marteaux est particulièrement recherché en Asie – dans le déclin des populations. « 80% de ces requins ont été exterminés et si on ne fait rien, dans 15 ou 20 ans, il n’y en aura plus », reprend le plongeur, qui explore les passes de Rangiroa depuis plus d’une décennie. Celle de Tiputa est un des rares sites mondiaux – si ce n’est le seul – où il est possible d’observer des grands requins-marteaux en plongée, sans les modifications comportementales qu’impliquent le feeding, très pratiqué dans d’autres « spots » des Bahamas.

Un bénévole de Mokarran équipé de la « platine » laser permettant la mesure des requins. ©MPS

Une passion transformée en mission

D’une passion – « on se tirait la bourre avec d’autres moniteurs sur les observations » – le grand marteau est devenu une mission pour Jean-Marie dont le collectif a été formalisé en 2019 sous le nom de Mokarran Protection Society. Une association locale mais qui compte bien faire de la préservation des marteaux de Polynésie un enjeu international. L’idée : récolter en plongée un maximum de données sur ces requins, particulièrement visibles entre décembre et mars à Rangiroa. Et rassembler des compétences, des moyens et des partenariats pour faire en sorte que ces informations se transforment à court terme en actions de conservation. « On essaie d’aller vite et on veut que ça serve à quelque chose », insiste son président.

Pas question de plonger sans cap. L’association, qui malgré son fonctionnement bénévole a réussi a attirer des professionnels expérimentés (biologie, informatique, graphisme…) a d’abord dressé un état des lieux des connaissances sur le Mokarran. Que vient-il faire à Tiputa ? Où s’alimente-il, se reproduit-il ? Jusqu’où pousse-il sa migration ? Peu de réponses. Si des études ont été menées aux Bahamas, aux États-Unis ou en Australie, « quasiment rien n’a été écrit » au fenua, où l’espèce, comme tous les requins, est toutefois protégée. « C’est une chance incroyable pour eux de pouvoir évoluer en sécurité dans nos eaux, relève Jean-Marie. Et c’est une chance incroyable pour nous de pouvoir l’observer ici dans de telles conditions ».

Une partie de l’équipe de la Mokarran Protection Society, qui est aussi active dans la sensibilisation, notamment auprès des scolaires. ©C.R.

Mesures au laser

Pour exploiter cette chance Mokarran a développé un protocole scientifique qui permet de différencier des individus sans les troubler. À l’aide d’une « platine » équipée d’un appareil photo et de deux lasers qui projettent une échelle lumineuse sur la peau des animaux, ils peuvent même être mesurés. Les campagnes, commencées en décembre 2019, ont déjà permis de battre en brèche certains « on-dit ». « On pensait par exemple depuis longtemps qu’une dizaine de requins-marteaux fréquentent la passe de Tiputa d’année en année, pointe Claire-Marie, biologiste qui a rejoint l’association il y a quelques mois. Mais l’année dernière au moins 29 individus différents ont été identifiés, cette année on en est à une trentaine, avec un taux de réobservation relativement faible ». Ces estimations de population sont un « minimum » : « on a besoin de marques spéciales sur les individus pour les identifier avec certitude », insiste la scientifique. Étant donné les conditions d’observation, souvent entre 40 et 70 mètres de profondeur, dans une visibilité « pas toujours idéale », « on rencontre beaucoup de requins qu’on ne peut pas identifier ».

À ces plongées longues et profondes, répétées quotidiennement pendant toute la saison, s’ajoutent les observations remontées par les clubs de plongées de Rangi. Mais Mokarran veut aller plus loin et d’autres sont prêts à l’y aider. Ces derniers jours, on pouvait ainsi croiser aux abords de la passe de Tiputa l’équipe des expéditions Gombessa, recycleur sur le dos. Une équipe menée par Laurent Ballesta, qui multiplie les opérations mêlant mystères scientifiques et prises d’images rares. Après les coelacanthes d’Afrique du Sud, les mérous et requins de Fakarava, les profondeurs de l’Antarctique ou de la Méditerranée, c’est aux grands requins-marteaux du fenua que le photographe sous-marin veut s’intéresser.

Réseau de surveillance acoustique

Avec les plongeurs de Mokarran, l’équipe de Gombessa partage des expériences, une passion et des mécènes communs. Mais leurs compétences sont surtout « très complémentaires », explique Antonin Guibert, partenaire de route de Laurent Ballesta depuis une quinzaine d’années et membre de Mokarran depuis 2019. Quand l’association locale apporte une expérience et un réseau implanté, l’équipe international dispose de moyens, de matériel et de techniques adaptés à des plongées très « engagées », ainsi que de partenariats scientifiques très développés… Avec ce projet commun, baptisé « Tamataroa », il s’agit de mettre des techniques avancées au service de la connaissance et la protection des grands requins-marteaux. Génétique, prélèvement de tissus pour analyser l’alimentation, poses de balises, travail avec des chercheurs français, australiens, américains et bien sûr polynésiens… « On a des propositions, mais rien ne se fera sans l’accord des autorités, reprend Antonin Guibert. On est ici pour vérifier la faisabilité technique mais aussi politique de notre protocole scientifique ».

Un protocole qui doit surmonter de nombreux défis : le Sphyrna mokarran est non seulement protégé, mais aussi très sensible au stress, qui rend les captures bien trop dangereuses. La pose de GPS est possible « en milieu naturel et sans contrainte » mais la profondeur à laquelle évoluent ces requins complique la récolte de données. Parmi les solutions proposées, la pose de balises acoustiques, pas plus grandes qu’une pile qui peuvent être placées au puhi puhi. Ces dernières émettent un son inaudible par l’homme ou les animaux marins mais qui peut être capté par des récepteurs, « pas plus gros qu’une bouteille d’eau » placés à l’entrée des passes. Le projet Tamatarao propose d’équiper une quinzaine d’atolls des Tuamotu de l’Ouest de ces réseaux acoustiques déjà développés un peu partout dans le monde. « L’objectif c’est de mettre en place ce réseau et de le laisser, continue le biologiste. Il sera accessible à tous, et il est compatible avec d’autres réseaux à l’international : si un requin marqué en Polynésie vient à migrer en Australie, il pourra être détecté. Et inversement, un animal marqué ailleurs dans le monde pourra être détecté ici en Polynésie ». Si les discussions avancent au niveau local – avec la Diren, mais aussi avec les aurorités ou les pêcheurs des Tuamotu – ce réseau pourrait être actif dès l’année prochaine.

Les expéditions Gombessa choisissent généralement des sujets qui allient mystères scientifiques, plongées engagées et promesses d’images. ©Gombessa

 

Rapporter ses observations pour aider à protéger les marteaux

La Mokarran Protection Society a aussi lancé une grande enquête auprès de la population de Rangiroa et de Tikehau. « La population a une très bonne connaissance du lagon et bon nombre d’habitants ont déjà côtoyé le requin-marteau » note Thibault, un autre biologiste de l’association. Près de 75 interviews ont déjà été réalisées, permettant de récolter des informations sur les comportements, les interactions, la taille et la morphologie des individus rencontrés. Il s’agit d’orienter les recherches mais aussi d’essayer de comprendre la biologie encore très mystérieuse du requin-marteau. « Par exemple, il n’y jamais eu de nurserie d’identifiées en Polynésie ou dans le monde, reprend le spécialiste. Les premiers résultats, encore en traitement, confirment en tout cas les comportements généraux observés chez les marteaux : moins curieux que d’autres requins comme les gris, ils se laissent toutefois approcher aux abords des passes… Et ne sont absolument pas agressifs. « Il n’y a aucune attaque de marteau recensée sur l’homme » rappelle le biologiste.

Les plongeurs, pêcheurs ou plaisanciers peuvent eux aussi participer à cet effort de récolte de données dans toute la Polynésie. Il suffit de transmettre à la Mokarran Society ses observations détaillées – surtout celles qui ont lieu ailleurs qu’à la passe de Tiputa – et éventuellement des photos ou vidéos qui peuvent permettre d’identifier des individus. Par le passé, des rencontres ont été rapportées, via l’Observatoire des requins de Polynésie à Ahe, Fakarava, Makemo, Hao, Tahanea ou même à Tahiti.

 

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