Malgré ses 15 ans de recul au fenua, la technologie de climatisation à l’eau de mer profonde peine à percer au niveau mondial. Pour l’y aider, l’université a lancé, en partenariat avec l’hôtel The Brando, une étude qui vise à démontrer scientifiquement son efficacité à Tetiaroa. Les premières données confirment que le Swac offre une efficacité énergétique de 5 à 20 fois supérieure à d’autres solutions de refroidissement.
L’idée aurait été soufflée par Marlon Brando lui-même à Dick Bailey au tournant des années 2000. Le patron de Tahiti Beachcomber SA, qui discutait déjà du rachat de Tetiaroa, savait la question énergétique particulièrement cruciale pour mener à bien son projet d’hôtel de luxe « écoresponsable » sur l’atoll. L’acteur, plutôt en pointe sur la question, avait de son côté entendu parler d’une technologie naissante, expérimentée à petite échelle par une équipe hawaïenne. Le Swac, car c’est de lui qu’il s’agit, TBSA fera plus que s’y intéresser. En mars 2006, son InterContinental Bora Bora sera le premier établissement au monde à s’en équiper, remplaçant les systèmes de refroidissement classique, très énergivores, par un circuit de climatisation refroidi par de l’eau de mer puisée en grande profondeur. Un pari un temps gagnant – l’équipement, amorti en 7 ans, réduit la facture électrique de l’hôtel de plus de moitié, avant de casser en 2016 – et un test grandeur nature pour le futur Swac du Brando à Tetiaroa, qui sera lancé en 2014.
Mais malgré ces 15 ans de recul, et une satisfaction affichée par l’hôtelier, le concept est resté presque confidentiel dans le monde. Des projets, expérimentaux ou commerciaux, ont été évoqués dans certains pays, comme à La Réunion, mais le seul Swac réellement en projet aujourd’hui est celui qui doit équiper l’hôpital de Taaone avant la fin de l’année. Pourquoi si peu de succès ? « Ça représente un gros investissement », répond Bruno Chevallereau, responsable de projet à TBSA. 700 millions pour le premier Swac à Bora, environ un milliard pour celui de Tetiaroa… Un coût compensé, sur le long terme, par les économies d’électricité ou de combustible, mais, comme l’a compris l’Université de la Polynésie française, le manque de données publiques n’encouragent pas les promoteurs à se projeter. Aucune publication scientifique sur les Swac, quasiment aucune place dans les débats mondiaux sur l’énergie ou l’environnement. Pour y remédier, l’UPF a présenté ce matin le projet Copswac, mené à Tetiaroa en partenariat avec le Brando. Le but : démontrer « de manière officielle, rigoureuse et indépendante » les performances énergétiques de cette technologie. Et « porter le message à la communauté scientifique et aux décideurs » comme l’explique Franck Lucas, enseignant-chercheur en génie des procédés.
5 à 20 fois plus performant
Ausculter le Swac, le spécialiste des énergies renouvelables en rêvait « depuis au moins 10 ans ». Il aura fallu du temps pour réunir les autorisations et financements pour le projet. Puis pour « instrumenter » le local technique de l’hôtel – ou plutôt de Électricité de Tetiaroa, « EDT » – où l’eau de mer glacée (4°C) puisée à 900 mètres de fond vient rafraichir, sans s’y mêler, le circuit d’eau qui transporte le froid dans chaque chambre, bâtiment collectif ou administratif de l’île. Au total une trentaine de capteurs, représentant un investissement d’environ 10 millions de Francs, mesurent depuis février la température, la pression ou le débit dans le système hydraulique, et la puissance ou l’intensité électrique dans le réseau de pompes qui le met en mouvement. « Toutes ces données sont transportées dans le local de commande où on a un affichage en temps réel, et collectées à distance par l’université », reprend le spécialiste. Et les premières données, relevées manuellement depuis l’année dernière, confirment tout le potentiel du Swac. La plupart des autres procédés de production de « froid de confort », permettent d’obtenir 5 watts de froid pour 1 Watt d’électricité injecté dans le système. Avec un Swac ce coefficient de performance énergétique atteint 20 à 100. « C’est un saut de performance considérable et qu’il est important de valoriser », appuie le responsable du projet.
L’étude devrait aussi permettre d’identifier des pistes d’optimisation des Swac et d’étudier des variantes, adaptables à d’autres situations géographiques ou bathymétrique, comme des systèmes hybrides ou permettant un stockage du froid. Des modèles d’aide à la conception pourraient au passage être développés. Le cap est toujours le même : diffuser au maximum cette technologie, qui « répond à un problème mondial », et pourquoi pas placer la Polynésie au centre de son rayonnement.
Les besoins en climatisation pourraient tripler
Le problème mondial, c’est que la gourmandise des climatiseurs semble sans limite. Comme le rappelle Franck Lucas, l’agence internationale de l’énergie prévoit, sans changement technologique, un triplement de la consommation énergétique liée au refroidissement de confort d’ici 2050. « La situation pourrait être bien pire dans les climats tropicaux », pesant au passage sur la stabilité des réseaux électriques et rendant les territoires plus dépendants énergétiquement. Même les scénarios les plus favorables, qui tablent sur une hausse plus modérée de la consommation à condition d’une optimisation des technologies, ne prennent pas en compte les possibilités qu’offrent les Swac. Au fenua, « on est en premier lieu concernés, on a des démonstrateurs en activité extrêmement intéressants d’un point de vue scientifique, reprend le chercheur. On est en position pour aider à solutionner un problème qui est inquiétant au niveau mondial ».
Du côté de Tahiti Beachcomber, le partenariat est sans surprise très bien reçu. D’abord parce qu’il met en relief l’engagement environnemental du groupe. Malgré les déboires du Swac de Bora bora, qui devrait être de nouveau en marche l’année prochaine, Dick Bailey aurait le « secret espoir de voir les Swac se multiplier » et ainsi voir ses hôtels conforter leur statut de « pionnier ». Mais aussi parce que l’étude et les discussions avec les scientifiques de l’UPF vont permettre rapidement d’améliorer les performances des tuyaux déjà déployés en Polynésie. « C’est extrêmement intéressant pour nous, explique Bruno Chevallereau. Ça va nous amener à certains réglages qui vont nous permettre de gagner quelques kilowatts ».
Les premières publications scientifiques du projet Copswac devraient être diffusées courant 2022, après un cycle saisonnier complet de mesures à Tetiaroa. D’ici là, un troisième Swac, celui de l’hôpital de Taaone sera en activité, et lui aussi équipé d’instruments de mesure.