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À Tureia, l’État « essaie de rattraper le temps perdu »

Après les Gambier jeudi la délégation menée par Éric Spitz s’est arrêtée a Tureia ce vendredi. Un atoll au plus près des sites d’essais où la population estime avoir eu « les maladies mais pas les milliards » du nucléaire. Les discussions sur la radioactivité ou le risque « d’effondrement » à Moruroa n’ont pas fait perdre tout scepticisme sur la parole de l’État. Mais le haut-commissaire a assuré, dans la lignée des engagements d’Emmanuel Macron, vouloir « regarder ce passé dans les yeux » autant « qu’aller de l’avant » sur le développement.

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Même délégation, même mission, mais autre ambiance ce vendredi pour Éric Spitz. Pour son premier déplacement officiel dans les îles, le nouveau haut-commissaire avait choisi d’aller au plus près des anciens sites d’essais, accompagné de scientifiques, militaires et hauts fonctionnaires de l’État. Tous avaient participé mercredi à la commission d’information sur les conséquences du nucléaire à Papeete. Et comme aux Gambier la veille, il s’agissait de présenter, vendredi à Tureia, les dernières données disponibles sur les risques laissés par les essais. La radioactivité, bien sûr, avec les traces de radionucléides dans le poisson, les bénitiers ou l’eau de coco qui seraient aujourd’hui soit nulles soit bien trop faibles pour avoir des conséquences sanitaires. Mais sur ce sont surtout les mesures géomécaniques qui intéressent l’atoll situé à une centaine de kilomètres seulement au nord de Moruroa. Sur place des dizaines d’instruments scrutent les mouvements du sol sous-marin observés depuis les explosions des essais, comme le rappelle, entre deux films en français et en tahitien, le Dr Marie-Pascale Petit, chef du département de suivi des centres d’expérimentation. Des mouvements qui s’atténuent petit à petit, laissant une probabilité « aujourd’hui très faible » de glissement d’une plaque de sédiments, qui pourrait engendrer un « train de vagues », « prévisible » et quoiqu’il arrive « de plus faible ampleur que les grosses houles que Tureia a déjà connu ».

Tureia « l’oubliée », reste sceptique

A Rikitea la veille, certains s’interrogeaient à haute voix sur ces déclarations rassurantes. A Tureia, le doute est plus généralisé : quand certains estiment que « s’il n’y avait pas de risque, il n’aurait pas toute cette technologie sur place pour surveiller », d’autres rappellent que les estimations de taille de vagues « n’ont fait que changer d’année en année ». La question de fond reste la même : croire ou ne pas croire la parole de l’État. « On va pas cacher qu’on reste sceptiques », résume la tavana de l’île, Tevahine Brander, qui rappelle la phrase d’un des jeunes de la commune : « Cette honnêteté, cette parole que vous donnez, c’était la même il y a 30, 40 ou 50 ans » . « Penser à l’avenir, sans rien oublier », voilà le message de la jeune élue, qui, au fil de la discussion publique, est à la même table que l’État pour parler à la population, ou sur les chaises du gymnase pour faire bloc avec ses administrés. Si l’accueil a été chaleureux à Tureia – danses, chants, grand ma’a et tifaifai de bienvenue – la mairesse avait donné le ton dès la cérémonie d’arrivée : Tureia est la grande « oubliée » des essais et l’État doit prendre « toutes ses responsabilités ».

Au delà des chiffres, ce sont donc des engagements qu’Éric Spitz a amené sur l’atoll, où de nombreuses familles se disent propriétaires terriens légitimes de Moruroa et Fangataufa. Des engagements sur la concrétisation des indemnisations d’abord. Elles sont plutôt rares sur l’île de 300 habitants en comparaison au nombre de décès et de maladies effarant mis en avant par les habitants : « les matahiapo, chez nous, tu peux les compter sur le bout des doigts », pointe la tavana. La mission du Civen promise par Emmanuel Macron et hébergée au Haussariat doit venir « faire du porte-à-porte » et aider à remplir les dossiers avant janvier. Des engagements aussi sur la mémoire et l’histoire, en mettant en avant encore une fois le livre à paraître, qui doit vulgariser les rapports et documents déclassifiés qui « font toute la lumière » sur la période, « y compris ses pages les plus sombres ». Quant au blockhaus de Tureia, l’Etat propose toujours un démantèlement pour des raisons de sécurité. L’idée avait provoqué par le passé une levée de boucliers d’une partie des propriétaires du terrain et surtout du Tavini qui l’accusait de vouloir « effacer la mémoire » des essais. Vendredi les discussions ont repris avec la famille, avant tout sur la question des 60 ans de loyer « impayés » – la dernière proposition, un versement de 12 millions de francs, n’avait pas été acceptée – mais en promettant aussi que l’endroit soit marqué par des aménagements qui reviendraient sur l’histoire du site et sur les conséquences des essais. « On rattrape le temps perdu », résume le haussaire. A l’entendre, la rupture de confiance avec la population, c’était « il y a une dizaine d’années parce que l’État a persisté dans un certain nombre d’argumentaires ». « Mais depuis le passage du président Macron les choses sont claires. Sur les indemnisations, sur le « aller-vers », sur la transparence et l’ouverture des archives… En 15 mois on a beaucoup avancé« .

L’État appelé à court-circuiter Papeete

Pas de quoi faire tomber Tureia de l’oubli, estiment toutefois les élus et habitants. Car, comme le rappelle un employé de la mairie – pourvoyeur quasi-exclusif d’emplois sur place -, des essais, l’atoll en a eu « les maladies, mais pas les milliards », réservés à Tahiti, ou même Hao ou Rikitea. L’engagement le plus attendu du haussaire, clairement demandé par Tevahine Brander, c’est donc celui  d’avoir une « attention très spéciale » à Tureia. Et pourquoi pas accorder des fonds « sans passer par le Pays », qui « reçoit mais ne distribue pas à tout le monde », comme le dénonce un coprahculteur. L’État, jugé « trop soucieux de la répartition des compétences », est directement appelé à court-circuiter Papeete. Sans surprise, Éric Spitz n’avalise pas. Il rappelle que la politique du Pays en matière de développement des îles se joue avant tout dans les urnes, aux territoriales… Mais que tous les partis « partagent » un attachement au fonctionnement actuel de l’implication du Pays dans l’essentiel des projets financés par l’État. « Il y a peut-être des discussions à avoir », sur certains mécanismes précis, reconnait le haut-commissaire. Son engagement, c’est avant de « ne pas vous dire qu’il n’y pas d’argent si vous venez nous voir avec des projets ». Eau potable et autres compétences communales « non exercées », logement ou développement de l’activité issue des cocoteraies… C’est surtout sur la connexion au reste du monde que Tureia, « en terminus » des dessertes maritimes, et qui n’accueille parfois « pas de vols d’Air Tahiti pendant plus d’un mois », veut travailler. Là encore, des dossiers gérés par le Pays ou par des sociétés privées, mais sur lesquels le haussaire, qui a parlé pendant les débats, et toujours en écho au président de la République d’une « dette envers vous, envers la Polynésie », peut « avoir une influence ». « À l’arrivée on est d’accord : il faut regarder notre passé droit dans les yeux, mais avant tout regarder devant, résume le représentant de l’État en fin de visite. Je sais qu’il y a du chemin à parcourir parce que les cicatrices ne se referment pas en deux minutes, mais on a, je crois, fait un pas l’un vers l’autre ».

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