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Affaire du mariage : Tearii Alpha se désigne « seul fautif », le procureur charge aussi Édouard Fritch

Le procureur a requis les peines d’amende maximum dans le procès du mariage de Tearii Alpha : 356 000 francs d’amendes cumulées pour Édouard Fritch, qui a parlé d’un « procès politique », 535 000 francs pour l’ancien vice-président, qui s’est désigné comme « seul organisateur » de la journée, et autant pour une des co-gérantes du restaurant Le Gauguin. La décision du tribunal de police est attendue pour le 2 juin.

Huit mois après la très polémique fête de mariage de Tearii Alpha, l’ancien vice-président – et toujours ministre et tavana de Teva i Uta – comparaissait ce jeudi matin devant le tribunal de police. Convoquée à ses côtés, la co-gérante du restaurant Le Gauguin Géraldine Gowen, et un seul des plus de 400 convives de la journée : le président Édouard Fritch. Pour chacun des trois prévenus, une liste plus ou moins longue d’infractions à la règlementation sanitaire en vigueur ce 5 août 2021, que le juge, puis le procureur, se sont employés à repréciser. Quelques jours plus tôt, le 30 juillet, au vu de l’explosion du nombre de cas de Covid dans le Pays et – déjà – l’afflux de patients à l’hôpital, Le Haut-commissariat avait durci les règles sanitaires. Parmi les nouvelles mesures – dûment discutées avec le Pays, comme l’a confirmé son président – l’interdiction des évènements festifs dans les établissements recevant du public, un protocole et une jauge stricte dans les restaurants, la limitation à 20 personnes des rassemblements sur la voie publique et à 500 pour tout type d’événement.

« Ça a complètement dérapé »

De quoi remettre en cause les plans de mariage du vice-président d’alors, qui demande le 1er août une dérogation officielle du Haut-commissaire pour maintenir sa fête de mariage du 5 août sur le motu Ovini. 520 personnes sont alors invitées dans des conditions qui ne permettent pas d’assurer la distanciation sociale. La dérogation est donc refusée, mais Dominique Sorain précise en fin de courrier qu’un repas dans un restaurant, dans le respect du protocole sanitaire en vigueur, restait possible. « Il a fermé la porte, mais il lui a montré la fenêtre », ironise Me Stanley Cros, avocat de Géraldine Gowen. La co-gérante n’était pas présente à la fête, « n’avait pas été consultée » sur sa tenue et aurait même exprimé ses plus grandes réserves une fois qu’elle en a eu vent. Mais son père, propriétaire des lieux mais pas co-gérant, avait en revanche répondu positivement à la demande du ministre, qui cherchait un lieu de repli pour l’après cérémonie religieuse.

La famille Gowen mettra même le restaurant à sa disposition gracieusement, avec quelques employés pour mettre en place les tables, l’élu s’occupant de l’essentiel de l’organisation avec « ses propres équipes » en service et à la cuisine. « Ce sont des personnes de l’ancienne génération, qui ont un profond respect pour les institutions, reprend Stanley Cross. Quand ils voient arriver le premier magistrat de la commune, c’est difficile de dire non ». L’avocat, proche du Tavini, n’est pas tendre avec Tearii Alpha – « sa fête a complètement dérapé » – mais il renvoie surtout la balle vers le Haut-commissaire Dominique Sorain. « S’il était resté sur sa position, et au regard des textes qu’il avait lui-même signés et publiés, jamais ce mariage n’aurait eu lieu ».

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Des entorses à la règlementation qui ont « démobilisé la population »

Mais la fête a bien eu lieu, comme l’ont confirmé aux enquêteurs les nombreux interrogatoires, le reportage mené sur place par Tahiti-Infos, et surtout les dizaines de photos et vidéos postées par les convives – et souvent en mode « public » – pendant la cérémonie. De quoi « établir sans doute » que plusieurs infractions sont constituées, relève le procureur. Alors que les tables étaient encore bien ordonnées et limitées à six personnes lors du passage des gendarmes, les convives « se lèvent, se mélangent s’embrassent », les masques tombent. Le protocole et les risques sanitaires sont oubliées au son des l’orchestre – « une surprise », « une arrivée spontanée » assure Tearii Alpha – qui accueillera au cours de l’après-midi Édouard Fritch ou Michel Buillard, qui ont offert au public des clichés très partagés. Le ministère public dénonce plus largement le manque d’organisation du repas, coupable au vu du contexte sanitaire mais surtout de la fonction du marié et de plusieurs des invités. « Ils connaissaient parfaitement les règles », reprend le procureur. Le mariage n’aurait « pas causé de clusters » d’après les enquêteurs, mais les entorses aux règles sanitaires « ont démobilisé la population » en pleine vague de variant Delta.

Un « procès politique » pour Édouard Fritch

Pas d’avocat pour Édouard Fritch et Tearii Alpha qui se sont défendus eux-mêmes à la barre du tribunal. Et pour l’actuel ministre de l’Agriculture, la défense est minimale : il reconnait l’essentiel des faits, explique « n’avoir pu maitriser le comportement de chacun », et assure n’avoir voulu ouvrir « ni un bal ni un dancing ». Mais surtout il se désigne à plusieurs reprises comme « le seul organisateur » et le « seul fautif » de la fête. L’élu demandera même directement au juge de « relaxer » les gérants du restaurant comme Édouard Fritch – « simple invité qui n’était pas obligé d’être là ». Rien ne l’obligeait non plus à prendre une guitare pour participer à l’orchestre, mais le président, qui adopte une ligne plus défensive que son ministre, dit s’être laissé emporté par la « passion pour la musique ». Comme lors de sa vidéo d’excuse du 9 août, il reconnait un « comportement imprudent », du « laxisme » et du « laisser-aller », mais consacre l’essentiel de son intervention à relativiser les faits : « les gestes barrières ont été respectés avec le service à table », le seuil de 500 personnes pour les événements aussi, « je suis arrivé avec un masque » – avant « peut-être de l’enlever à un moment »… Il assure qu’il était alors convaincu de la légalité de l’événement, qu’il faut analyser « humainement ». Car à l’entendre, sa présence à la barre fait de l’audience « un procès politique ».

Pas de quoi faire douter le procureur, qui compte six contraventions pour le marié, soit, au tarif maximal des amendes, 535 000 francs, quatre pour le président (356 000 francs) et 6 pour la co-gérante de l’établissement. Le juge, unique au tribunal de police, a mis l’affaire en délibéré : il rendra sa décision le 2 juin prochain, soit 10 mois après les faits.