Paris (AFP) – Elle a peut-être été « abusée » dans l’affaire Tapie, mais n’a jamais été « négligente »: l’ex-ministre et actuelle directrice générale du Fonds monétaire international (FMI) Christine Lagarde s’est défendue pied à pied lundi devant la Cour de justice de la République (CJR).
« Ai-je été abusée? Avons-nous été plusieurs à être abusés? Si oui, par qui? Nous le saurons peut-être un jour, moi je souhaite le savoir. Ai-je été négligente? Non. » D’emblée, Mme Lagarde, 60 ans, tailleur sombre et foulard coloré, donne le ton.
Elle ne cite pas de noms, mais pas question pour l’ex-ministre de l’Economie de payer seule pour l’un des grands scandales financiers ayant eu lieu pendant la présidence de Nicolas Sarkozy, celui de l’arbitrage Tapie.
En 2008, l’homme d’affaires gagne plus de 400 millions d’euros via une procédure d’arbitrage, soldant un vieux contentieux avec l’ancienne banque publique Crédit Lyonnais à propos de la revente dans les années 90 du groupe Adidas. Au civil, l’arbitrage a été annulé en 2015 pour « fraude », avec obligation pour M. Tapie de rembourser.
Patronne de Bercy de 2007 à 2011, Mme Lagarde a selon les magistrats instructeurs fait preuve de « négligence » ayant permis ce « détournement » d’argent public: d’abord en abandonnant la voie judiciaire classique pour l’arbitrage; ensuite en acceptant sans broncher une sentence désastreuse pour les contribuables.
C’est à la CJR, juridiction hybride composée de magistrats professionnels et de parlementaires, de dire si l’ancienne ministre est coupable de ce délit de négligence commis « dans l’exercice de ses fonctions ». Il est passible d’une peine allant jusqu’à un an de prison et de 15.000 euros d’amende.
« J’ai agi en conscience et en confiance avec pour seul objectif l’intérêt général », dit la directrice générale du FMI, reconduite à son poste l’été dernier.
La Cour vient d’évacuer une demande de report du procès faite par sa défense, et Christine Lagarde, qui a subi sans ciller les flashes des photographes pendant de longues minutes au début de l’audience, veut maintenant en découdre. Lorsque la présidente Martine Ract Madoux propose une pause, après deux heures d’interrogatoire serré, elle refuse.
– A Bercy, on ne lui dit pas tout –
Mme Lagarde se décrit en ministre préoccupée par les grandes questions « macroéconomiques », voyageant sans cesse, confrontée aux signes avant-coureurs de la crise financière, à la tête d’un ministère « gigantesque » – les Finances, l’Economie et l’Emploi.
Si « cette histoire d’arbitrage n’est pas une priorité », l’avocate ayant exercé dans un prestigieux cabinet anglo-saxon trouve que « ça vaut la peine d’explorer » cette voie pour mettre fin au contentieux judiciaire avec Bernard Tapie, aussi tentaculaire – neuf procédures parallèles – que coûteux – 32 millions d’euros d’honoraires d’avocats par an pour l’Etat.
Pourquoi ne tient-elle pas compte des avis de l’Agence des participations de l’Etat, très hostile à tout arbitrage? C’est qu’elle reçoit « 8.000 à 9.000 notes par an »: c’est son équipe, qu’elle a pris « telle qu’elle était » en arrivant au ministère, qui fait le tri.
Mme Lagarde assure qu’à Bercy, ce paquebot au « code » particulier, avec ses hauts fonctionnaires parfois aussi puissants que les ministres, on ne lui dit pas tout. Par exemple, on lui aurait caché une nouvelle rédaction du compromis d’arbitrage, ouvrant la voie à la reconnaissance d’un « préjudice moral » de Bernard Tapie, formule qui fera scandale.
Elle dit n’avoir pas été informée non plus de certaines réunions se tenant à l’Elysée, en présence de son directeur de cabinet Stéphane Richard, lequel travaille « en symbiose » avec la présidence de la République.
M. Richard, aujourd’hui PDG d’Orange, mais aussi Jean-François Rocchi et Bernard Scemama, chargés à l’époque de liquider une partie des actifs du Crédit Lyonnais, sont convoqués mercredi comme témoins.
Tous étaient sous l’autorité de Mme Lagarde. Tous sont mis en examen, avec d’autres dont Bernard Tapie, dans le volet non-ministériel de l’enquête, toujours ouvert.
Ces trois hommes pourraient donc témoigner sans prêter serment, pour ne pas nuire à leur propre défense. Le procès doit durer jusqu’au 20 décembre, la décision sera rendue dès la clôture des débats.
© AFP Martin BUREAU
Christine Lagarde le 12 décembre 2016, avant son audience de la Cour de Justice de la République, à Paris