Les familles des victimes se sont exprimées mercredi. Une épreuve très difficile et très éprouvante pour elles, à tel point que certaines d’entre elles n’ont pas osé s’exprimer. Beaucoup tentent depuis le 9 aout 2007 « de vivre voire survivre ». Certains se sont même « construit un véritable bunker anti émotion pour ne pas ressentir cette douleur, pour l’occulter tel un mécanisme d’autodéfense me permettant d’avancer telle une machine ». Les familles pointent d’ailleurs du doigt le manque de respect de certains témoins ou prévenus : « il y en a qui rigolaient ».
Après les témoins puis l’expert judiciaire, un temps a été donné aux familles pour qu’elles puissent s’exprimer. Une épreuve éprouvante et difficile pour ces dernières qui les a replongées une fois de plus « dans l’horreur ».
Ce crash a plongé 20 familles « dans l’horreur » – Claudia Lillini
« Une fois de plus vous, Air Moorea et ses soi-disant cadres, vous l’Aviation civile, vous le GSAC , vous avez tous mis en scène des scénarios honteux (…). Pour moi le pilote a tout mis en œuvre pour redresser l’avion. Vous nous prenez pour des chèvres. La certitude que j’ai, c’est que vous avez tous autant que vous êtes manqué à vos obligations, c’est de l’amateurisme (…). Je n’ai rien oublié, cela a été une longue attente et mon père a bien été tué et cela n’est pas été une probabilité (…). Quand on commet des erreurs on les assume et on est puni ».
« Nous tentons de vivre voire survivre » – Philippe Corre
Philippe Corre affirme que ce crash « devait arriver » au vu de ce que les familles ont entendu l’an dernier et ces derniers jours. « lLatelier était sale, pas rangé, il y avait des problèmes de fonctionnement, de suivi, ce n’était pas sérieux, il y avait des problèmes de maintenance, un manque de rigueur ». Philippe dit qu’ils ont été à l’écoute des conclusions de l’expert judiciaire, qui selon lui ne détient pas la stricte vérité « puisque beaucoup d’éléments sont encore au fond de l’eau ». Il assure que comme l’an dernier, la défense a été agressive vis-à-vis de l’expert judiciaire : « il gêne, c’est indéniable ». Il considère d’ailleurs que l’instruction est « trop longue, est-ce une recherche volontariste de nous pousser à l’épuisement par la défense en recherche de vice de procédure (…) ? Merci à la défense de nous faire subir ce traumatisme (…), les contre expertises mandatées par la défense par des témoins pseudo experts cherchant à brouiller la compréhension de tous par des pièces existantes, mais qu’en est-il des autres pièces toujours au fond de l’eau aujourd’hui ?». Philippe Corre dit que les familles sont remplies de colère : « Nous n’avons pas été respectés, nous avons été humiliés par l’apport de ces expertises et contre expertises (…) qui n’ont rien apporté de probant ». Il fait aussi état du comportement de certains témoins ou prévenus « souriants entre eux, après leur passage à la barre nous avons entendus des bravos, des sourires de complaisance, nous n’avons vu aucune compassion a notre égard pour la plupart d’entre eux (…). Vous avez vraiment touché le fond et vous continuez encore à creuser (…). Nous aurions pu rire (…) mais nous sommes restés sérieux face à la gravité des circonstances. Nous tentons de vivre voire survivre mais dans quelles conditions, troubles du sommeil, cancer déclaré, départ du territoire, aucune remise en question des prévenus (…) tous n’ont rien à se reprocher, c’est de la faute du pilote (…). Nous regrettons que le directeur général de Air Tahiti ne soit pas sur le banc des accusés ».
Joanna Coissac raconte que son défunt mari était quelqu’un de « consciencieux et quand il a été tué il avait un bon esprit de citoyen, c’est en travaillant consciencieusement qu’il a tué par des incompétents et des irresponsables (…). Je ne souhaiterais pas ces expériences à mes pires ennemis ». La partie civile, dit-elle, a découvert « des prévenus complètement irresponsables, sans foi, chacun rejetant la faute sur l’autre au lieu d’assumer, c’est insultant. Les témoins ont été rémunérés pour dire que ce n’est pas le câble et présentant les prévenus comme des victimes. Quelles valeurs va-t-on apprendre à nos enfants ? »
« Le procès c’est quelque chose qui m’est nécessaire pour passer à autre chose » – Christophe Moreau
Christophe Moreau a rappelé qu’en première instance il était surtout question de ressenti. « On s’était beaucoup livré et on a espéré que l’attitude des prévenus pourrait changer, et on voit que ce n’est pas le cas ». Ces jours derniers Christophe a été frappé par le fait qu’ « on parle peu des victimes, et les prévenus oublient qu’il y avait des personnes dans l’avion, et 20 sont mortes, et un minimum de respect… Un deuil c’est compliqué et le procès c’est quelque chose qui m’est nécessaire pour passer à autre chose ». Il s’étonne d’ailleurs qu’il n’y ait aucun élément de nouveau : « On a passé 10 jours à entendre les mêmes pseudo experts (…). Je découvre le fonctionnement d’un appel (…). Le terme accident, on l’utilise beaucoup (…). Un accident c’est quelque chose de bénin, alors que 20 personnes sont mortes, donc c’est une catastrophe ».
« Je tenais à verbaliser ces quelques mots comme pour achever une thérapie » – Marion Laurier
Marion Laurier explique que cela a été compliqué de rédiger ces mots car « c’est difficile d’être juste et impartiale quand la colère, l’incompréhension et le désarroi nous envahissent (…). Je tenais à verbaliser ces quelques mots comme pour achever une thérapie ». Elle rappelle qu’elle et sa mère ont perdu « leur pilier, le troisième pied de notre tabouret, comme se plaisait à dire mon père (…). Il ne m’est pas aisé de matérialiser ce fait irréversible, la disparition et la mort de notre équilibre familial (…). J’ai construit un véritable bunker anti émotion pour ne pas ressentir cette douleur, pour l’occulter tel un mécanisme d’autodéfense me permettant d’avancer telle une machine ». Elle affirme que les explications qui ont été données lors des débats ont été « nébuleuses et ubuesques ». Sa mère considère que les familles ont été spectateurs « d’une mascarade puérile ».
« C’est tellement facile d’enfoncer une personne qui n’est pas là pour se défendre » – la famille Santurenne
La famille du pilote déclare « par leur négligence inacceptable, ils nous ont privé de notre père et ont brisé les rêves qu’on avait en commun (…). Comment des prévenus qui se disent professionnels peuvent être amateurs dans leur profession (…)? Nous trouvons choquant que les témoins aient affirmé ne pas être au service des parties et se soient transformés en conseillers de la défense. Depuis deux semaines vous dénigrez par votre comportement désinvolte l’ensemble des parties civiles (…). Je vous rappelle qu’il y a 20 morts, 20 familles meurtries, il ne faut pas l’oublier, on est là pour vous le rappeler, pour respecter le schéma classique de toutes les compagnies aériennes lorsqu’il y a un crash, ‘ce n’est pas l’avion c’est le pilote’. C’est tellement facile d’enfoncer une personne qui n’est pas là pour se défendre ».
« Ils n’ont rien demandé, ils ont été condamnés à mort » – Martin Roland
« Depuis 12 ans, tous les jours, la nuit quand on se réveille, je me pose toujours les mêmes questions. Est-ce qu’elle a vu la mort arriver, est-elle décédée d’une crise cardiaque, a-t-elle agonisé ou elle s’est-elle noyée, ce sont toujours les mêmes questions et qui resteront certainement sans réponse (…). Ils n’ont rien demandé, ils ont été condamnés à mort (…). Ils sont morts, point final ,et tout cela par négligence (…). Au fond de nous et toute la Polynésie pense que c’est le câble. Je souhaite que les prévenus soient condamnés à la hauteur de leur responsabilité, quant à nous nous sommes condamnés à vivre. Mais je ne peux pas dire c’est bon ils sont condamnés, on va tourner la page, ce n’est pas possible ».
L’épouse de Roland Martin s’est aussi présentée a la barre et a lu une lettre écrite par le petit frère de Moetia Martin épouse Fourreau. Il écrit que son rêve a 6 ans déjà était d’être pilote et qu’il a tout fait pour l’être : « J’ai travaillé dur pour pouvoir y arriver et ce rêve a été détruit après l’accident. Il a été difficile pour moi de continuer, certains jours c’était très difficile (…). Certains pilotes ont remarqué que j’avais changé (…). En février 2019 je suis mal psychologiquement. Je ne peux plus faire semblant, je ne peux plus ignorer la peur qui me ronge. Je contacte mon chef une fois de plus et il accepte ma suspension et me donne des contacts, puis je suis suivi par un psychologue qui m’apprend que j’ai plusieurs troubles de stress post-traumatique aigu et malheureusement je ne peux pas pratiquer mon métier (…). Mon rêve est maintenant complètement détruit ».
« Si vous aviez fait votre travail consciencieusement, ces 20 personnes ne seraient pas mortes » – Hélène Rochette
« Cela fait 12 ans et encore une fois on parle de cet avion. Il n’y a que souffrance, je souffre (…) et ceux qui sont à l’origine de ce drame ne souffrent pas, alors qu’ils sont responsables. Si vous aviez fait votre travail consciencieusement, ces 20 personnes ne seraient pas mortes. Vous êtes payés pour bien faire votre travail et pourquoi vous avez négligé l’entretien de cet avion ? Maintenant, c’est à vous la justice de voir ».
Vendredi d’autres familles devraient s’exprimer, et la partie civile présentera sa plaidoirie.