Pour l’avocate générale Brigitte Angibaud, il n’y a pas de doute, la catastrophe du 9 août 2007 est bien due à la rupture du câble en plein vol. Elle a requis la condamnation des huit prévenus de l’affaire du crash d’Air Moorea en 2007. Des peines d’emprisonnement allant jusqu’à 3 ans, des amendes et une interdiction d’exercer pour tous.
« Dès l’arrivée de l’avion en Polynésie, la mort s’est mise au travail »
C’est l’avocate générale Brigitte Angibaud qui a ouvert l’audience d’appel de l’affaire Air Moorea lundi avec ses réquisitions. Elle a rappelé que le 9 août 2007, vingt personnes ont pris Air Moorea « en toute confiance, mais ce qui ne devait être qu’une parenthèse pour certains, un moyen de visiter la Polynésie pour d’autres, un moyen pratique dans le cadre de leur travail, a marqué, car ces 20 personnes ont eu rendez-vous avec la mort. Leur vie ne tenait qu’à quelques fils qui ont rompu. Le destin a frappé ces personnes, la mort aurait pu frapper n’importe quelles personnes car cela faisait des semaines, des mois, puisque dès l’arrivée de l’avion en Polynésie, la mort s’est mise au travail ».
Ces hommes qui comparaissent devant vous présentent le triste point commun d’avoir failli à leur mission et permis à des degrés divers, chacun a sa place, que peu à peu les fils qui reliaient chaque passager à la vie se rompe, que le câble se rompe à son tour et précipite ces 20 personnes dans l’abîme. C’est de cela dont il s’agit, de vie et de mort, de sang et de larmes derrière des débats techniques et juridiques souvent biaisés par la défense. La réalité est là dans sa nullité et sa cruauté car il s’agit de vies brisées, de destins brisés (…). Après s’être reconstruites, les familles restent encore suspendues à une décision de justice. Elles estiment, et c’est tout à leur honneur, que leur devoir de mémoire ne s’éteint ni avec la mort ni avec le temps. C’est pour cela qu’elles sont là aujourd’hui ».
« Ce show à l’américaine, de guest stars (…) pour se livrer à des micro-expertises »
C’est douloureux aussi pour les familles car il leur faut affronter des silences, les mensonges voire l’indifférence de ceux qui sont à l’origine de ce crash. (…). Les enjeux de ce procès expliquent sans doute, mais sans les excuser, ces débats surréalistes, ce show à l’américaine de guest stars, non pour dire ce qu’elles connaissaient des faits mais pour se livrer à des micro-expertises, pour distiller le doute sans grand souci de tolérance. Des guest stars qui ont poussé la conscience professionnelle jusqu’ à assurer le service après-vente et apporter les contributions à la communication des prévenus (…). Ces quelques mots que l’on lâche car on s’y sent obligé en espérant ne pas avoir trop dit. Ils expliquent également cet acte de non-agression entre prévenus. Ces enjeux expliquent sans doute l’espoir entretenu par les prévenus que (…) la justice va se montrer indulgente. Tous sont convaincus que de juge d’instruction en de juge d’instruction, de procureur en procureur et d’avocat en avocat toujours plus nombreux, la volonté de rendre justice va céder comme le câble l’a fait avant elle sous le poids juridique, sous le poids d’une certaine lassitude ».
« Ils tous sont inexcusables dans ce qui reste être une faillite collective »
Les prévenus se trompent, cette catastrophe reste cruellement d’actualité et est toujours présente dans le cœur et l’esprit des familles. Les émotions, la colère et la souffrance des parties civiles en attestent encore (…) Cette catastrophe reste dans l’histoire récente de la Polynésie comme une plaie mal refermée qui restera tant que justice ne sera pas rendue ». L’avocate générale rappelle ensuite qu’en Polynésie le transport aérien a une place à part puisqu’il régule les déplacements, il permet aux familles de se retrouver, « il fait partie intégrante de leur vie et chacun d’entre nous doit pouvoir confier sa famille aux compagnies aériennes qui les transportent (…). La moindre erreur peut rapidement avoir des conséquences catastrophiques ».
Brigitte Angibaud explique ensuite que ce sont les raisons pour lesquelles les compagnies aériennes sont encadrées par la réglementation, qu’elles doivent donc « s’organiser, former, recruter afin qu’aucun avion non navigable ne puisse décoller (…). C’est pour cette raison que Freddy Chanseau et tous sont inexcusables dans ce qui reste être une faillite collective. Tous tiennent dans la survenance de cette accident un rôle déterminant qu’ils auraient pu éviter s’ils avaient fait leur travail correctement ».
« Le principe business l’emporte (…), la priorité n’est pas à la sécurité aérienne »
L’avocate générale estime que le directeur général a une influence dans la compagnie Air Moorea, « c’est lui insuffle et définit les moyens, qui organise et chacun comprend très vite que (…) le principe business l’emporte et que la priorité n’est pas à la sécurité aérienne. On constate une direction technique qui fonctionne en mode dégradé à tous les niveaux internes à Air Moorea (…). La sécurité aérienne pour la navigabilité tel que le GSAC et le SEAC, deux autorités payées sur fonds publics pour tenir un rôle de vigie et pour assurer la sécurité de leurs concitoyens, abdiquent devant une partie de leurs devoirs de contrôle, la confiance alibi de la paresse est présente et elle leur sert de boussole, chacun dans son petit milieu de l’aéronautique ».
La catastrophe d’Air Moorea ne s’explique, selon Brigitte Angibaud « qu’à l’aune délétère d’un renoncement général en terme de service ». Elle est ensuite revenue sur l’atelier « sale, le manque de traçabilité, des outils faits maison » ou encore sur « l’ambiance délétère ponctuée de coups de gueule et de pression, un laisser-aller généralisé » ou encore « l’achat d’un avion dans un état improbable aux États-Unis (…). Ne nous y trompons pas, chacune de ces occasions manquées a sonné le glas de 20 personnes qui ont pris l’avion et scellé son destin ».
« La défaillance du pilote n’a pas sa place dans ce dossier »
L’avocate générale assure que « la défaillance du pilote n’a pas sa place dans ce dossier. Santurenne n’est pas cette caricature qu’on essaie d’imposer. Il n’est ni un dangereux dépressif qui se serait suicidé ainsi que cela a pu être soutenu (…). Il n’est pas cet incompétent impulsif ou incapable de redresser l’avion ». Elle a rappelé toutes les manœuvres mises en place par le pilote pour redresser l’avion. Brigitte Angibaud regrette que la défense tienne pour responsable le pilote « au mépris de toute dignité de cet homme qui a perdu la vie et ne peut se défendre ».
L’avocate générale considère qu’il existe une convergence d’analyses sur la rupture du câble en tant que cause de cette catastrophe alors que l’avion est en vol. « La rupture du câble est la cause certaine de cette catastrophe (…) et n’exclut pas la responsabilité des prévenus (…). La causalité directe et indirecte relève de vous (…). La faute caractérisée peut résulter d’une négligence et d’imprudence ».
L’avocate générale a ainsi requis a l’encontre de Freddy Chanseau, ex-directeur général d’Air Moorea, de Guy Yeung, ex-directeur du service d’État de l’Aviation civile (SEAC), de Andriamanonjisoa Ratzimbasafy, ex-chef du Groupement pour la sécurité de l’Aviation civile (GSAC), de Jacques Gobin, ex-directeur technique d’Air Moorea et de Stéphane Loisel, ex-responsable du bureau d’étude et de documentation d’Air Moorea, des peines de 2 à 3 ans de prison ferme, des amendes, ainsi que l’interdiction définitive d’exercer une activité d’encadrement ou de contrôle au sein d’une compagnie aérienne dans les domaines de la navigabilité ou de la maintenance aéronautique. « Ce prix à payer ne sera jamais à la hauteur du prix du sang que les victimes ont payé et du prix de la douleur des familles », a -t-elle dit.
À l’encontre de Jean-Pierre Tinomano, ex-responsable de production d’Air Moorea et Didier Quemeneur, ex-contrôleur de production et contrôleur qualité d’Air Moorea, elle a requis 18 mois à 2 ans de prison avec ou sans sursis, ainsi que l’interdiction d’exercer une profession de contrôle dans la navigabilité ou d’exploitation dans l’aérien.
À l’encontre d’Air Moorea en tant que personne morale, l’avocate générale a requis une amende de 24 millions de Fcfp d’amende et la publication dans les médias de tout ou partie de la décision de justice pendant une semaine aux frais des prévenus.
Nicolaz Fourreau estime que le réquisitoire de l’avocate générale Brigitte Angibaud a été « clair et qu’elle a détaillé toutes les fautes graves dans la maintenance depuis des années, dans le fonctionnement de l’entreprise, et surtout dans ce qu’a eu comme conséquences ».
A lire aussi: « Tous les prévenus sont (…) a l origine du plongeon de l avion » Me Rosenthal