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Air Moorea : les hypothèses des experts

© Grégory Boissy

Rupture du câble de gouverne pour l’experte mandatée par le tribunal et défaillance humaine pour l’expert de la défense. Une troisième hypothèse émanant d’un ancien pilote de Air Moorea est même apparue jeudi relative à un problème de moteur. Ce qui a fait réagir l’avocate générale Brigitte Angibaud qui a affirmé « On est dans un contre-procès ».

Lors de la troisième journée du procès en appel relatif au crash du Twin-Otter de Air Moorea, on a assisté à une bataille entre les différentes hypothèses des experts qui se sont succédé. Rupture du câble de gouverne ou erreurs de pilotage, chacun a développé ses arguments.

L’expert judiciaire maintient l’hypothèse de la rupture du câble …

L’expert judiciaire Claudine Oosterlinck, pilote de ligne instructrice jusqu’en 2014, a procédé à plusieurs essais en vol et a retenu l’hypothèse de la rupture du câble en vol avec les scénarios suivants : la rupture du câble avant, pendant et après la rentrée des volets. Elle explique que de facto elle a éliminé le pilotage automatique puisque l’avion n’avait pas atteint les 400 pieds nécéssaire à la mise en place de ce système. « Nous sommes certains que ce n’est pas cela, de par nos essais en vol et en plus le pilote était respectueux des procédures » a-t-elle affirmé lors de la visioconférence établie entre Papeete et la métropole.

Concernant le pilote, elle assure d’abord que l’appareil est difficile à récupérer avec un seul pilote à bord. Et selon la spécialiste, « d’après l’écoute du CVR (Cockpit Voice Recorder, ndlr), il n’a rien fait d’anormal et a été surpris, voilà ce que j’ai pu tirer de l’expérience sur la machine, les essais en vol et le CVR (…). J’ai entendu une action sur les moteurs postérieurement au juron soit une augmentation de la puissance, donc le pilote avait remis les gaz ». Claudine Oosterlinck estime aussi que l’usage du système de gouverne appelé aussi le trim ne peut pas permettre une récupération de l’avion à 400 pieds. Elle assure que même si le pilote du Twin-Otter l’avait utilisé « ce n’est pas perceptible au VCR (…). Et de plus la réactivité d’un pilote est de 3 secondes et rajouté à cela l’effet de surprise du pilote donc 6 secondes ».

L’experte a affirmé qu’il y a trois moyens de tenter de remettre l’avion, actionner le trim, ressortir les volets et mettre de la puissance.

… et le témoin de la défense met en avant la défaillance humaine  

Le témoin de la défense Bernard Schmidt se présente aussi en tant qu’expert judiciaire en aéronautique. Il explique qu’il n’a « aucun avis personnel (…). Si j’étais arrivé au résultat que le câble avait cassé je l’aurais dit et peut-être que je ne serais pas venu aujourd’hui (…). Je démontre que le câble n’a pas cassé parce que s’il avait cassé cela ne se serait pas passé comme cela». À la barre il s’étonne que le pilote n’ait pas réagi : « c’est peut-être lui qui avait un problème (…). Il n’a pas fait ce qu’il aurait dû faire (…) il y a une perte de contrôle, il n’y a pas de panne de l’avion, l’avion est innocent, il y a un problème (…) et je l’impute au pilote ». Il assure que lorsqu’on est pilote on tente toujours de corriger une anomalie. Et enfin, pour le témoin de la défense le juron prononcé par le pilote avant l’impact est « un juron de dépit, c’est un juron où il se dit je n’y arrive pas (…) il a fait des trucs mais des demi-mesures(…). Moi j’aurai coupé les moteurs ou réduit ».

À la question de l’avocate générale Brigitte Angibaud, « estimez-vous être plus qualifié que l’expert judiciaire Claudine Oosterlinck qui a formé les pilotes et qui connait bien les Twin-Otter ? », il répond tout simplement ne pas avoir d’heures de vol en Twin-Otter et qu’il n’a pas non plus formé de pilotes.

« Ils émettent des hypothèses en fonction de leur impression, ce n’est même pas technique » Me Thierry Jacquet  

La partie civile s’est dite surprise par l’approche du témoin de la défense. « Vous reprenez l’analyse technique des autres alors que vous avez dit que dans le rapport du BEA il y à boire et à manger (…). Quelle est l’objectivité de votre analyse ? Votre approche n’est pas objective puisque vous avez exclu certains rapports ». Me Thierry Jacquet ne comprend d’ailleurs pas la présence de ces nouveaux témoins à la barre « ils sont cités à la dernière minute 12 ans après le crash. Personne n’a souhaité qu’ils se manifestent avant ce qui est assez surprenant. C’est surprenant aussi dans le respect du contradictoire ».

« On est dans un contre-procès » – l’avocate générale Brigitte Angibaud

Un ancien pilote d’Air Moorea, Fabrice Bodelle, est aussi intervenu jeudi après-midi. Il avait d’ailleurs été appelé par la défense en première instance. Il a lui aussi émis une hypothèse « Il s’est passé quelque chose, je ne peux pas dire ce qu’il s’est passé mais ce n’est pas un problème de commande ni un problème de pilotage, pour moi c’est un problème lié au moteur ». L’avocate générale lui a fait rappelé que lors de son audition il avait avancé que la rupture du câble était la cause de cet accident. Elle s’est énervée et a affirmé « vous êtes en train de vous livrer comme d’autres avant vous, a une micro-expertise de ce qui a été fait auparavant. Ca devient un peu compliqué quant un témoin fait une contre-expertise. C’est hallucinant, j’ai 37 ans d’expérience et la manière dont cela se passe je ne l’ai jamais vu » Elle a rappelé qu’il y  a eu 10 ans d’instruction et que ces dépositions n’ont jamais été débattues alors que l’échange d’informations aurait dû se faire, « et là, en appel, on nous apporte des éléments nouveaux au mépris de tous les principes (…)    et on est démuni, on n’est pas dans un débat. On est dans un contre-procès avec l’adhésion d’un certain nombre de gens qui ont accepté de se prêter à ce jeu ».

Les familles des victimes présentes dans la salle d’audience ont d’ailleurs applaudit cette intervention de l’avocate générale. Cécile Moreau, la directrice de l’ Association polyvalente d’actions socio-judiciaires (Apaj), dit que « les familles ne vivent pas toujours très bien ces incohérences ».

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