ACTUS LOCALESÉCONOMIETOURISMETRANSPORTS Air Tahiti Nui : « Si l’État ne nous aide pas de façon massive, on disparaîtra », dit Michel Monvoisin La rédaction 2020-05-03 03 Mai 2020 La rédaction ©CP/Radio1 Nos confrères d’Outremers360° ont donné la parole à Michel Monvoisin, P-DG d’Air Tahiti Nui. La compagnie au tiare, dont les salaires, même baissés, feront rapidement fondre la trésorerie, est désormais dans une course contre la montre pour sa survie. Michel Monvoisin plaide pour une aide massive de l’État, au-delà du prêt garanti qui ne sert qu’à « payer des dettes futures. » On ne s’adapte pas, on subit. Si au moins on avait un peu de visibilité… J’ai 58 ans, j’ai connu le 11 septembre, j’ai connu 2008. On pense toujours avoir tout vu, mais cette crise-là, d’une telle violence et arrivée si rapidement, en quelques semaines, je n’avais jamais vu ça. La surprise passée, il faut vite être réactif, faire face. Mes premières pensées ont été pour les clients de la compagnie et pour les personnels, les 761 salariés de l’entreprise. Ils sont naturellement inquiets, ils voient que leur entreprise ne fait plus de chiffre d’affaires et il en sera ainsi tant qu’on ne saura rien de l’avenir. Avec les syndicats, le contact est constant. Mais si, en temps normal, les discussions existent et durent parfois, là, devant une crise si violente, elles ont été plus rapides. Certains suivent, d’autres pas, c’est la vie de toutes les entreprises. Car on en est là : l’inquiétude est générale. Nous sommes à l’arrêt. On ne vole plus que dans le cadre de la continuité territoriale pour laquelle nos vols sont subventionnés au prix d’équilibre par l’État. Mais notre activité commerciale est nulle. Nos avions sont neufs, mais neufs ou pas, ils ne volent plus. 2 sont entièrement payés, 2 autres sont en location. Notre loueur nous a bien fait quelques facilités, mais il ne peut pas effacer les loyers de 80 compagnies aériennes du monde entier. Et comme certaines feront faillite, il faudra bien qu’il replace ses avions dans un marché totalement bouleversé. Les compagnies ne volent plus, les avionneurs sont en crise, Boeing licencie, cet effet domino touche tout le secteur aérien, tout le monde est pénalisé. Aujourd’hui, nous sommes à 5 % de notre programme habituel, nos pertes sont supérieures à 50% et personne ne sait quand on pourra redécoller. La première urgence, c’est donc les salariés de l’entreprise. La seconde, c’est la trésorerie. Elle est solide, elle nous permet de vivre. Combien de temps ? Le temps qu’on vivra ! Juin ou plus tard, les dégâts ne seront pas les mêmes. Novembre, on n’existera plus. On est sur la réserve. D’où la nécessité vitale de protéger notre trésorerie pour assurer les charges fixes, très importantes dans le secteur aérien, et assurer une reprise cohérente quand ce sera possible. Dans l’immédiat, je dois assurer les salaires. Or, contrairement à ce qui se passe en métropole, ici, les pouvoirs publics n’assurent pas le financement du chômage partiel. Les salaires sont à la charge complète des entreprises. Nous avons demandé un prêt garanti par l’État, la procédure est en cours. Mais un emprunt, ça se rembourse, les intérêts en plus. On emprunte donc de l’argent pour payer des salariés qui ne travaillent plus, pour payer des dettes futures… On marche sur la tête ! Si l’État ne nous aide pas de façon massive, on disparaîtra. https://www.radio1.pf/cms/wp-content/uploads/2020/05/MICHEL-MONVOISIN-01.mp3 Parler de reprise ? Il faut savoir quand elle se fera, et dans quelles conditions. Quand ? Personne ne sait. On comprend bien pourquoi, mais aujourd’hui on nous dit : restez au sol, n’allez pas chercher des passagers qui sont autant de touristes. Si la Nouvelle-Zélande, par exemple, rouvre ses frontières, on pourrait y aller. Mais tant que les passagers en provenance d’Auckland ne pourront pas débarquer en Polynésie, c’est irréalisable. Los Angeles ? L’aéroport est ouvert. On pourrait y aller. On a pu ramener des Américains qui rentraient chez eux. Mais pour l’instant, c’est la Polynésie qui ne veut pas des Américains. Dans l’autre sens, en provenance d’Europe, tant que les États-Unis interdiront le séjour ou le transit des ressortissants de l’espace Schengen, ce sera un problème pour les gens qui arrivent de Paris. Des vols directs et sans escale pour la France métropolitaine ? On l’a fait. Mais avec 180 passagers au lieu de 300 sur nos vols habituels, donc à 50% de notre capacité, sans fret et avec une bonne météo ! Nos passagers ont apprécié d’éviter l’escale de Los Angeles. Mais je ne suis pas certain qu’ils accepteraient de payer leur billet à son vrai prix ! Il nous faudra donc trouver des options. Ce n’est pas évident. Une reprise, oui, mais dans quelles conditions va-t-on nous permettre de fonctionner. C’est à l’étude aujourd’hui. Mais si on nous dit qu’on n’autorisera qu’un siège sur deux, de suite, je dis non. Un avion n’est pas fait pour voler à 50% de sa capacité. La question est donc de savoir quelles conditions sanitaires s’imposeront pour accepter des passagers à bord. La réflexion est en cours. Aucune règle n’existe aujourd’hui, sauf les règles sécuritaires qui se sont imposées après le 11 septembre. Les masques ? Les gens s’y habitueront. Des tests ? Compliqués à gérer si on ne dispose des résultats que 7 ou 8 heures après. Des certificats médicaux ? À voir. La vraie question est ailleurs, c’est celle de l’incitation au voyage. Acceptera-t-on de voyager de cette façon, d’arriver non plus 3 heures, mais 5 heures avant le décollage, le temps d’effectuer les tests sanitaires et d’accomplir les formalités de sécurité ? Je suis attentif à ce qui se passe ailleurs, aux bonnes pratiques à mettre en œuvre à l’avenir, on s’adaptera. L’autre aspect de la reprise, c’est la cohérence nécessaire que l’on devra assurer avec toute la chaîne du tourisme en Polynésie. Le gouvernement, le ministre du tourisme, le GIE, le réceptif, les hôtels… Il nous faudra coordonner un retour progressif à l’activité et amorcer une action concertée pour les 2 ou 3 ans à venir. Il en va aussi de la place que la compagnie doit continuer de tenir dans le Pays. Elle fait corps avec le Pays. ATN est un outil créé par la Polynésie pour accompagner son développement, touristique d’abord, assurer l’autonomie de sa desserte et son désenclavement. On sait qu’en Polynésie, le tourisme représente jusqu’à 15% du PIB. C’est donc une industrie majeure pour le Pays, qui a besoin de sa compagnie, au même titre que la France a besoin de sa compagnie nationale. A juste titre, en cette période de crise, elle l’aide à hauteur de 7 milliards d’euros. Toutes les Collectivités d’Outre-mer ont leur compagnie, elles remplissent le même rôle essentiel de desserte, de désenclavement et de continuité territoriale, un rôle que jamais Air France ne pourra jouer. Si nous disparaissons, ce n’est pas Air France qui reliera Papeete à Narita ou Auckland ! La France, c’est l’Hexagone, c’est aussi l’Outre-mer. À ce titre, toutes les compagnies d’outre-mer ont vocation à durer et doivent recevoir le soutien de l’État. (Propos recueillis par Tenahe Faatau – Outremers360°) Cliquez pour partager sur Facebook(ouvre dans une nouvelle fenêtre)Cliquez pour partager sur Twitter(ouvre dans une nouvelle fenêtre)Cliquez pour partager sur LinkedIn(ouvre dans une nouvelle fenêtre)Cliquer pour imprimer(ouvre dans une nouvelle fenêtre)