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Air Tahiti Nui : un nouvel actionnaire « demandera à choisir lui-même le PDG »


Au lendemain de son dernier CA et à quelques jours de son départ, Michel Monvoisin revient sur son bilan, son éviction, la situation d’ATN et surtout les défis qui attendent son successeur Philippe Marie. Le PDG sortant met en garde contre des coupes de personnel, des suppressions de lignes ou contre une trop coûteuse montée en gamme. À l’entendre les déficits d’ATN – 3 milliards de pertes supplémentaires sont prévus cette année – doivent surtout être résorbés par un changement de stratégie du Pays. La recherche d’un nouveau partenaire privé, en revanche, lui semble être une bonne idée, mais n’aboutira que si le politique est prêt à perdre son contrôle de la gouvernance de la compagnie.

Pas encore dans les cartons, mais déjà les colliers au cou, Michel Monvoisin. Le PDG d’ATN, qui, tenait ce mardi son dernier conseil d’administration avant la prise de fonction de son successeur, Philippe Marie, le 1er juillet, a eu le droit à son retour de la présidence à une fête de départ « surprise » au siège de Faa’a. « Beaucoup de monde », « beaucoup d’émotion », et un dirigeant sortant « très touché », après 11 ans à la tête de la compagnie du Pays : « les équipes, c’est ce qui va me manquer le plus, elles font un travail formidable » insiste-t-il au lendemain du pot de départ. La soirée a aussi donné lieu à beaucoup de discussions avec les salariés, qui auraient été nombreux à lui confier leur inquiétude sur l’avenir. « Avant moi, il y a eu 14 PDG en 15 ans, beaucoup ont apprécié la stabilité de ces dernières années, explique le dirigeant sortant, qui estime que le fait d’avoir eu « que deux préavis » en une plus d’une décennie relève de « l’exploit ». La peur de l’inconnu c’est normal, il faudra une période de transition ».

PDG – DGD : une « guerre des chefs », « il n’y a rien de pire »

Il n’y aura pourtant pas de passation officielle ou de période de tuilage entre Michel Monvoisin et Philippe Marie. Le premier part en vacances dimanche, le second investira son bureau lundi. Le nouveau PDG, qui a déjà été secrétaire général d’ATN entre 2004 et 2007 devra compter, pour reprendre ses marques, sur le directeur général délégué Mathieu Béchonnet, qui a été confirmé à son poste hier, malgré, semble-t-il, des doutes de part et d’autre sur la cohésion de ce tandem. « Le directeur général délégué, c’est le plus proche collaborateur du PDG, il ne faut pas qu’il y ait des divergences affichées publiquement, il n’y a rien de pire, commente Michel Monvoisin. Ça ne me regarde plus, mais je pense que l’un et l’autre devront faire des concessions. Je l’appelle de mes vœux en tout cas et je souhaite que ça se passe bien parce qu’ATN ne mérite pas d’avoir une guerre des chefs. Il y a suffisamment d’enjeux à l’extérieur pour aller s’en mettre à l’intérieur… Les concurrents n’attendent que ça, la déstabilisation. »

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Le PDG sortant, lui, assure ne pas avoir d’aigreur sur son éviction et répète « respecter la décision » de Moetai Brotherson : « J’ai toujours dit que PDG, c’est un CDD renouvelable chaque jour ». Mais près de trois mois après l’annonce d’un « nouveau cycle » pour la compagnie par le président du Pays, il regrette tout de même « la forme » : « Normalement, le gouvernement nomme ses représentants au CA et le CA nomme le PDG ou le révoque. Là, le président l’a annoncé aux médias sans en parler au CA – formellement, en tout cas. Beaucoup d’administrateurs m’ont appelé pour me dire qu’ils étaient choqués, rappelle-t-il. Après, encore une fois le président est souverain dans ses décisions, moi j’ai pas à m’exprimer là-dessus. Je lui ai dit dès le départ : il faut qu’il y ait une relation de confiance, si tu veux mettre quelqu’un d’autre, c’est ton droit le plus absolu. »

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Fermer Seattle ? Une « ânerie monumentale »

Quant à son successeur, pas question de lui « tailler un costard » – « comme vous ne m’avez jamais vu porter des jugements de valeur sur mes prédécesseurs » – mais pas question non plus de chanter ses louanges. Lors du conseil d’administration, Michel Monvoisin lui a seulement adressé « un message » : « Je lui laisse une belle compagnie, en bon état, avec sa première ressource, le personnel, qui est formé, qui est compétent et qui est motivé et qui aime sa compagnie. C’est une grande famille et tout ce que je lui demande c’est d’en prendre soin ». Prendre soin aussi de « l’existant » sur les partenaires internationaux et les routes actuelles.

Dans un pays où « tout le monde à son avis sur la gestion de la compagnie », le PDG a entendu des « rumeurs » sur une possible fermeture de la ligne vers Seattle qu’il a lui-même ouverte en 2022. « Ce serait une ânerie monumentale », tranche-t-il. La route, certes, n’est pas « encore » rentable, mais « elle a fait venir 16 000 touristes supplémentaires » l’année passée, et surtout permis un rapprochement « qui fait vendre beaucoup de billets » avec Alaska Airlines, compagnie en développement et en plein rachat de Hawaiian Airlines. Il rappelle au passage que certaines dessertes non rentables, comme celle de la Nouvelle-Zélande, la plus déficitaire pour ATN, ou de Tokyo, qui a affiché des meilleurs résultats que prévu sur ses six mois de reprise test, « permettent de couvrir les charges variables » et de « ne pas laisser les avions sur le tarmac ».

« Quand on va proposer à Singapore Airlines de venir, c’est qu’on n’a pas lu le rapport de la CTC »

En « bon état » ATN ? Les chiffres semblent pourtant dire le contraire. 2,9 milliards de francs de pertes en 2022, 3,2 milliards en 2023, et des prévisions qui chiffrent à près de 3 milliards le déficit sur l’année 2024. À l’assemblée, courant mai, le ministre des Finances Tevaiti Pomare, chiffrait à « 13 milliards » de francs le déficit cumulé par la compagnie d’ici 2025. Après les 8 milliards de francs de subvention de la crise Covid, 3 milliards ont été provisionnés dans les comptes du Pays pour une recapitalisation qui semble inévitable.

Mais cette situation n’est une surprise pour personne, assure Michel Monvoisin. Depuis 2019, la compagnie du Pays a dû subir, en plus de la crise Covid, une volatilité des cours des hydrocarbures, un manque de chambres d’hôtels pour accueillir davantage de voyageurs, et surtout une concurrence exacerbée – entre 1 et 1,2 millions de sièges offerts pour 600 000 vendus au plus haut du tourisme et du trafic local. Dans ce contexte, le PDG sur le départ défend son bilan : « on est resté leader avec 42% de parts de marché et face à certaines des meilleures compagnies du monde », « on a limité la casse », assure-t-il. « Je n’ai vraiment pas la prétention de dire ‘on les meilleurs’, ‘on est les plus beaux’, mais on a fait ce qu’on pensait être le mieux pour la compagnie, avec le soutien du personnel. Maintenant, j’espère que mon successeur pourra faire mieux, mais ça ne sera pas évident, prévient-il. Il rentre dans un monde compliqué, où il y a beaucoup d’écueils. Et là encore je renvoie au rapport de la CTC qui a clairement identifié la source des problèmes ». 

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Un rapport de la Chambre territoriale des comptes qui insiste sur le « pilotage contradictoire » de la compagnie par le Pays, et les difficultés causées à ATN par la politique d’ouverture du ciel et par le manque de développement touristique. « Tout est dedans, les solutions sont là », martèle Michel Monvoisin qui regrette que le travail des magistrats n’ait « pas suffisamment imprégné » le discours des élus. Dont celui de Moetai Brotherson, pas directement cité, mais bien visé : « Quand on va à Singapour proposer à Singapore Airlines de venir en Polynésie, excusez-moi, mais c’est qu’on n‘a pas lu ce rapport ». Le géant asiatique ne s’est pas vraiment montré intéressé, mais le président du Pays semblait aussi considérer l’option d’une ouverture de ligne par la compagnie du Pays vers la cité-État asiatique, qu’il prend comme modèle sur beaucoup de sujets. Des déclarations qui sont visiblement mal passées auprès du PDG. Quand Moetai Brotherson rappelle que la situation d’ATN peut glisser « rapidement » vers le « catastrophique », Michel Monvoisin rétorque : « Il a raison. Ça peut aller très vite. Typiquement ouvrir une route Papeete – Singapour ça peut être un désastre. La gamelle peut être plus violente que celle de New York ».

« 1 à 1,5 milliard » de « déficit structurel », « c’est rien à remonter »

Singapour ou pas, les déficits devrait continuer à s’accumuler chez Air Tahiti Nui. Mais là encore, Michel Monvoisin veut voir le verre à moitié plein. Les 3 milliards de pertes prévus cette année seraient en partie liées à des obligations de maintenance avancées des moteurs, qui épargneront à la compagnie des dépenses prévues plus tard. Le déficit « structurel », lui, se situerait « entre 1 et 1,5 milliard ». « C’est rien à remonter, lance le dirigeant sortant. Ça peut choquer, ça peut paraitre pour les gens des sommes énormes, mais ATN c’est entre 30 et 33 milliards de chiffre d’affaires budgétés. Pour remonter la pente, sur 1,5 milliard, si on peut passer 5 à 8% sur le prix des billets d’avion, on est à l’équilibre. On ne peut pas parce qu’il n’y a pas de chambres et trop de concurrence, mais dans le monde, toutes les compagnies aériennes ont fait passer 25% d’inflation sur le prix des billets d’avion ! »

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Quant à la recapitalisation d’ATN, qui a nourri les débats à Tarahoi ces derniers mois, elle se profile bien. Le Pays actionnaire – de même que des partenaires publics ou privés, puisque la limite de participation de la SEM est déjà atteinte – aura l’obligation de remettre la main à la poche une fois les fonds propres descendus en-dessous de la barre des 50% du capital social. « On y est pas encore, mais si les prévisions financières sont avérées, on y sera sur l’exercice 2024, reprend Michel Monvoisin. Ça veut dire que l’assemblée générale de juin 2025 devra s’exprimer sur la continuité et à ce moment-là, on aura deux exercices pleins pour reconstituer les fonds propres ». Recapitalisation d’ici 2027, donc. « Ça laisse du temps », « d’autant qu’il y a 16 milliards de trésorerie dans les caisses ».

« Si le modèle c’est Emirates ou Singapore Airlines, il faut changer le code du travail »

Et du temps, il en faudra à Philippe Marie pour avancer dans les objectifs que lui a fixés le gouvernement. Sa feuille de route – déjà promise aux administrateurs d’ATN en mai – n’a pas encore été révélée. Une question de jours pour Moetai Brotherson, qui parle aussi d’une communication à venir sur le « plan d’action » du nouveau PDG et qui a déjà annoncé deux caps importants : l’entrée d’un nouveau partenaire au capital et l’amélioration de la qualité de service de la compagnie, pour faire face à la montée en gamme d’Air France notamment. Sur ce second point, Michel Monvoisin ne cache pas son scepticisme. « Il y a toujours une lessive qui lave plus blanc que blanc », sourit-il. « Aujourd’hui ATN, pour la sixième année consécutive, est classée 5 étoiles Apex, où ce sont les passagers qui notent les compagnies. On a encore été réélu meilleure compagnie du Pacifique Sud (par Global Traveler, ndr), et la force de cette compagnie, c’est son personnel qui s’investit tous les jours, à l’escale, à bord, partout, ils font un travail formidable et qui est reconnu, liste le PDG. Après si le modèle, c’est Singapore Airlines ou Emirates, pourquoi pas. Mais il y a deux impératifs : du cash, parce qu’on n’a pas les mêmes moyens qu’eux, et puis il faut changer le code du travail », ces compagnies répondant à des règles beaucoup moins protectrices des salariés.

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Cet objectif lui parait aussi difficile à mener dans l’optique des réduction de coûts voulus par le gouvernement. Changer les sièges pour gagner en confort, par exemple, « c’est 800 à 900 millions de francs par avion », rappelle Michel Monvoisin. Et l’idée de couper dans les charges de personnel parait des plus périlleuses : « On a ajusté les salaires, comme les autres compagnies et comme il fallait le faire, pour l’adapter au coût de la vie. Et on ne peut pas les baisser sans l’accord des salariés ». 

« Un privé ne rentrera jamais au capital d’une société dont la gouvernance dépend du bon vouloir du politique »

Quant à l’arrivée d’un nouveau partenaire, idée « déjà explorée » par d’autres gouvernements, notamment sous la vice-présidence de Nuihau Laurey, « ce serait une très bonne chose pour ATN ». Mais la recherche d’un investisseur – Moetai Brotherson parlait d’abord d’un « grand acteur de l’aérien » ou au moins d’un acteur « qui a de l’expérience » dans le domaine – est plus complexe qu’il n’y parait. La compagnie a certes de quoi intéresser, par sa position sur le marché, ses partenariats à l’international, son « image de marque », son réseau de distributeurs « très fidèles » dans le secteur touristique, mais il faut que la prise de participation « corresponde à la stratégie de l’investisseur ». American Airlines, par exemple, qui pourrait être un candidat intéressant, puisque déjà lié à ATN, « a été clair » pour dire que ce n’était pas dans ses plans. « Après, une stratégie, ça évolue », note le PDG sortant.

Autre difficulté et pas des moindres : « Une compagnie privée, côtée en bourse pour la plupart, et dont le leitmotiv c’est quand même le cours de l’action, le retour sur investissement, ne rentrera jamais au capital d’une société dont la gouvernance dépend du bon vouloir du politique, je le dis cash, reprend Michel Monvoisin. Si ça passe, elle dira, je rentre, je mets 20 ou 30% mais c’est moi qui décide du choix du PDG ou de la gouvernance. Et ce que je ne sais pas, c’est si nos politiques sont prêts à accepter ça. Moi je n’ai pas la réponse ». 

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Des défis de taille, donc, pour Philippe Marie, qui sera en poste, avec une feuille de route et un plan d’action, le 1er juillet. Michel Monvoisin, lui, reste, pour l’instant, administrateur de la compagnie nommé par le Pays – une fonction qui « ne donne le droit à rien, ni rémunération, ni billets GP, ni surclassement », précise-t-il. Va-t-il continuer à siéger ? Lui estime avoir « encore des choses à apporter », mais la décision « appartient au gouvernement ». Le dirigeant sortant s’en remet surtout au nouveau PDG : « avoir son prédécesseur au sein du conseil, c’est pas génial, ça peut être déstabilisant. »