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Air Tahiti : subvention, fonds et délégation contre reprise de toutes les destinations

©Charlie Réné


Aux termes d’un « accord de reprise des dessertes aériennes inter-insulaires » signé ce matin à la présidence, Air Tahiti s’engage à reprendre la desserte aérienne des 46 îles de son réseau à compter du 7 juillet, et à ne procéder à aucun licenciement. En contrepartie, la Polynésie versera 450 millions de subvention à la compagnie cette année. Et surtout le Pays s’engage, comme cela avait été prévu par la loi depuis 2016, à créer une délégation de service public et un fonds pour compenser les pertes engendrées par les lignes déficitaires.

Fin de combat et poignée de mains entre Air Tahiti et le Pays. Après plusieurs semaines de tensions et quelques jours d’échanges houleux, le président Édouard Fritch a signé, aux côtés du ministre Jean-Christophe Bouissou, un « accord de reprise des dessertes aériennes interinsulaires » avec le directeur général de la compagnie Manate Vivish, et son président du conseil d’administration James Estall.

Le document rappelle d’abord la situation financière « fortement dégradée » de la compagnie et les deux mois sans vol qui ont « mis en péril sa pérennité ». Il rappelle aussi la décision d’Air Tahiti, évoquée pendant de longue semaines, et confirmée à la mi-juin, de redimensionner sa desserte aérienne à 19 destinations sur 46, stoppant de fait les lignes présentant des « déficits structurels d’exploitation ». Une décision qui créé un « enclavement des populations privées de mobilités » inacceptable pour le gouvernement. Raison pour laquelle il s’agissait, pour les deux parties, de s’accorder sur les conditions de « maintien du service public de transport aérien domestique ».

Aucun licenciement économique

Les engagements réciproques tiennent dès lors en 8 articles. Air Tahiti, bien sûr, s’engage à couvrir de nouveau « l’ensemble du réseau » à partir du 7 juillet. Comme l’avait déjà précisé Jean-Christophe Bouissou, ministre en charge des transports interinsulaires, il ne s’agit pas de reprendre les mêmes fréquences de vol vers les petites îles qu’avant la crise, quand Air Tahiti était encore très confortable financièrement. Mais le programme de vol, qui doit être fixé « conjointement » par la compagnie et la collectivité intégrera bien 46 destinations du fenua. Il devrait être publié dès demain, pour « mettre les billets en vente au plus tôt ». Autre exigence du Pays : Air Tahiti s’engage à « ne procéder à aucun licenciement pour motif économique » en 2020. Une règle qui s’appliquerait « à la compagnie et à ses filiales », et donc à Air Archipels, où des discussions étaient pourtant en cours pour le départ d’une vingtaine de salariés.

Une subvention, mais surtout un fonds

Le Pays sort lui la bouée de sauvetage, et le portefeuille : 450 millions de francs de subvention exceptionnelle à Air Tahiti seront versées au plus tard le 31 décembre. Un coup de pouce qui paraissait pourtant exclu par Jean-Christophe Bouissou, qui avait dénoncé avec force le « chantage » de la compagnie privée, accusée de vouloir faire « cracher au bassinet » la collectivité. Un « coup de pression » savamment calculé, affirme le ministre, qui n’avait d’autres buts que de « débloquer la situation ». La somme reste loin des prévisions de déficit jusque-là évoquées (5 milliards de francs rien qu’en 2020) et permettra seulement de solidifier la trésorerie d’ici la fin de l’année. Surtout, le gouvernement s’engage, enfin, à encadrer et rémunérer la mission de service public de la compagnie. Un fonds de continuité du transport aérien interinsulaire devrait compenser les déficits liés aux lignes de désenclavement d’ici le 1er janvier 2021. Des discussions doivent être menées sur la constitution de ce fonds qui pourrait atteindre le milliard de francs d’après Jean-Christophe Bouissou. Il avait été, un temps, imaginé qu’une taxe sur les billets d’avions permettent de l’alimenter. Réponse « au projet de budget 2020 », balaie Édouard Fritch.

Pour encadrer l’utilisation de ce fonds, un « appel d’offre ouvert », mais dans lequel Air Tahiti parait le choix le plus évident, devrait être lancé avant la fin de l’année pour une délégation de service public sur la desserte des lignes déficitaires. C’est ce que demandait, publiquement et devant les tribunaux, la compagnie depuis longtemps. C’est aussi ce que prévoyait une loi du Pays votée en 2016 et dont les délibérations d’application n’ont jamais été mises au vote par le gouvernement. Qui paie contrôle : dans le cadre de cette délégation, le Pays déterminera le programme de vol, les fréquences et les tarifs, « et ce afin de tendre vers une baisse de prix ».

Vers une montée du Pays au capital ?

Les difficultés financières d’Air Tahiti, vu la panne sèche du tourisme, ne font que commencer. De 900 000 passagers en 2019, la compagnie ne devrait qu’en transporter qu’environ 400 000 cette année. Les prévisions de la compagnie pointe vers de déficit pour encore trois à quatre ans. Comment faire face à ces pertes ? La question doit être discutée entre actionnaires. Le Pays en fait partie, de façon minoritaire (14%), mais siègent surtout autour de la table de grands groupes privés polynésiens, notamment hôteliers.  La direction d’Air Tahiti s’engage, dans l’accord, à convenir avec ce conseil d’administration des « modalités d’un soutien financier » en cas de difficultés liées à la crise économique. « Y compris sous la forme d’une recapitalisation si nécessaire », précise le document. C’est ce que Jean-Christophe Bouissou avait évoqué voilà une semaine : les actionnaires privés devront probablement mettre au pot, et si ils laissent le Pays le faire, ce dernier montera au capital de la compagnie. La recapitalisation n’est pas exclue mais « pas à l’ordre du jour », assure James Estall.

Jean-Christophe Bouissou : « Il faut des moments dramatiques pour débloquer ce genre de situation »

Le ministre du logement, de l’aménagement du territoire et des transports interinsulaires avait eu des mots durs, la semaine dernière à l’égard d’Air Tahiti et de son directeur général, accusés de mener un « chantage aux subventions ». Le Pays a-t-il perdu le bras de fer ? Non, assure Jean-Christophe Bouissou : il a sauvé des emplois et préservé le service public. Quant à la menace de création de nouvelle compagnie et les tensions avec Manate Vivish, il s’agissait « d’un film minutieusement programmé » pour « lancer un débat public ».

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Manate Vivish : « On va pouvoir envisager une politique tarifaire différente »

Le directeur général de la compagnie rappelle que la délégation, et donc les financement du fonds de continuité territoriale, n’iront pas automatiquement à Air Tahiti. Mais si elle était choisie, elle pourra en profiter pour « fixer une politique tarifaire différente » sur ses lignes principales et sera « mieux outillée pour faire face à une éventuelle concurrence ». Une baisse des prix ? Pas sûr. Air Tahiti opère aujourd’hui une « péréquation interne » : une hausse du prix des billets vers les îles touristiques pour compenser les pertes engendrés sur les lignes « de désenclavement ». Le gouvernement, via le fonds, va payer pour  ces déficits – et même ordonner la baisse du prix de certains billets, assure-t-il – mais devra trouver l’argent quelque part. Vu la situation des comptes publics, la création d’une nouvelle taxe, sur les billets d’avions, parait le mécanisme le plus probable. Une autre forme de péréquation, plus transparente et plus claire, mais pas forcément porteuses de baisse de prix des billets.

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Manate Vivish le sait : les 450 millions de francs de subvention ne permettront pas de couvrir les pertes de l’année. Et encore moins celle qui sont d’ores et déjà projetées en 2021, 2022 ou 2023, même si la délégation de service public devrait alors aider. Pourtant, le directeur général assure qu’une recapitalisation (les actionnaires injectent des fonds dans la société pour la tenir à flot) n’est pas à l’ordre du jour, pas plus qu’une montée au capital par le Pays. « Air Tahiti a encore un peu d’eau sous la quille », assure-t-il. Aux termes de l’accord, ces discussions doivent pourtant avoir lieu.

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