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Alliés parisiens, réforme du statut, « extrêmes » et nucléaire… Des législatives entre débats et consensus


Ce jeudi avait lieu le dernier débat de Radio 1 avant le premier tour des législatives de samedi. Sur notre plateau, les candidats de la deuxième circonscription, qui couvre les Australes et une bonne partie de Tahiti, depuis Paea jusqu’à Mahina en passant par la Presqu’île : le député Tavini sortant Steve Chailloux, le candidat Heuira – Les Verts Tati Salmon, le RN Tutu Tetuanui ainsi que Nuihau Laurey, non engagé mais qui représentait la candidate du Amui Tatou autonomiste, Nicole Sanquer. Ils ont affiché leurs divergences, mais aussi, régulièrement, leurs points d’entente à propos du nucléaire, des besoins de réforme du statut d’autonomie, de l’état de la vie politique polynésienne, et surtout de leurs potentiels alliés à Paris.

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  • Groupes parlementaires : « force de proposition » ou « courroie de transmission » ?  

Quels groupes parlementaires pour les futurs députés polynésiens ? Pas de doute pour Steve Chailloux, qui souhaite rester, comme ses collègues Tavini, dans le groupe GDR, allié jusque là à la Nupes et demain au Nouveau Front populaire. Tati Salmon vise lui aussi, mais sans soutien officiel national, ce bloc de gauche, constitué par LFI, le PS, le PC et l’allié traditionnel de Heuira-Les Verts, EELV. Du côté du Amui Tatou, la question lasse Nuihau Laurey. « Ça fait 50 fois qu’on nous la pose », souffle l’ancien vice-président. Sauf que les réponses n’ont pas toujours été limpides. Pas question de siéger dans les « extrêmes », dit l’accord entre les formations autonomistes. Et le RN en est bien un, finit par lâcher le représentant A Here ia Porinetia qui avait, en 2022, appelé à voter Marine le Pen dès le premier tour. Et qui pointe désormais vers un groupe « du centre », comme l’UDI, qui l’avait accueilli en son temps au Sénat. « Siéger dans les grands groupes, c’est être absorbé, ne plus avoir de capacités à affirmer ses propres propositions » assure-t-il.

Au contraire, Tutu Tetuanui le martèle : voter pour les candidats RN, lui en particulier, c’est placer des parlementaires polynésiens dans le groupe qui pourrait, d’après les sondages, être le plus important du Palais Bourbon au lendemain du second tour. « Demain, la majorité sera Rassemblement national, Bardella sera Premier ministre. Faisons un chemin court, choisissez un représentant local RN et les dossiers seront transmis, insiste-t-il. Je serai ce relais, cette courroie de transmission vis-à-vis de Paris, voire jusqu’à Bruxelles. »

Attention tout de même, prévient Nuihau Laurey : vu l’incertitude de cette élection à deux tours, et les hésitations de Jordan Bardella à prendre Matignon en cas de majorité relative, parler d’avance d’un gouvernement RN c’est « tirer des plans sur la comète ». Le représentant de Nicole Sanquer dans ce débat appelle à « faire en sorte que la voix de l’autonomie soit portée à Paris » au travers du Amui Tatou. « C’est le sens de cette élection ».

  • Vous avez dit « extrêmes » ?

Comme dans le débat national, des réflexions se font entendre, en local, sur la future place des « extrêmes » dans le paysage politique. Le Amui Tatou rejette ainsi les « extrêmes » gauche et droite, semblant les mettre sur le même plan. De quoi agacer Tati Salmon, qui se dit « effaré » par les positions de certains des candidats soutenus par le RN, mises en lumière par plusieurs médias nationaux ces derniers jours, et relayés lors d’un récent débat télévisé par Gabriel Attal. Le Premier ministre sortant, lui-même candidat macroniste en région parisienne, estimait à « une centaine » le nombre de candidats du parti de Marine le Pen ayant tenu « des propos racistes, antisémites et homophobes » par le passé. Des accusations « mensongères » pour Jordan Bardella, mais qui, pour le candidat de Heuira-Les Verts, ne doivent pas échapper aux électeurs. « C‘est ahurissant d’entendre ce genre de choses, pour moi, ça c’est l’extrême, s’emporte-t-il, parlant de  « discours haineux », de « menaces », et « d’allusions aux camps de concentration » en métropole. Est-ce que vous avez entendu le Front populaire déverser ce genre de paroles au niveau national. Jamais ! Pour moi la gauche, ça n’est pas les extrêmes, c’est la gauche, c’est tout ».

Du même avis, Steve Chailloux rappelle qu’il revient légalement au ministère de l’Intérieur, sous le contrôle du Conseil d’État, de déterminer les couleurs politiques. Or, malgré les recours, le parti de Marine Le Pen est bien étiqueté aujourd’hui « extrême-droite », alors que le Nouveau Front populaire est de « gauche ».

Gare aux extrêmes, et surtout à l’extrême-droite ? Un « argument de faible des partis politiques », répond Tutu Tetuanui, qui rappelle que le Tavini a avait « lui aussi été longtemps diabolisé », et qu’on promettait « le chaos » avec son arrivée aux manettes. « Aujourd’hui, non. La réalité elle est là », continue le candidat qui « appelle à un vote de rejet » des partis politiques traditionnels, et compte sur ceux qui sont « fiu de la politique » pour le soutenir.

  • Sur le nucléaire, tir groupé, ou presque

Pour Steve Chailloux, qui a hésité – et été fortement encouragé par son parti – à se représenter, l’objectif est de reprendre au plus vite les chantiers entamés pendant les deux premières années de mandat. « Nous souhaitons être dans la continuité, explique-t-il. Et je pense notamment à la commission d’enquête sur le nucléaire ».  Une commission initiée par Mereana Reid-Arbelot, qui a déjà mené des auditions – elles auraient déjà permis « de montrer que certains responsables d’État étaient bien au courant de la nocivité des essais avant leur lancement » au fenua, affirme le député sortant – mais qui a été éteinte par la dissolution, comme beaucoup d’autres travaux parlementaires d’ailleurs.

Objectif, donc, la relancer au plus vite – il faudra attendre au moins un an -, un projet qui ne semble pas trouver d’opposants autour de la table. Tati Salmon, dont le parti avait appelé à voter Tavini au deuxième tour de 2022 après l’élimination de ses candidats, juge cette commission « pertinente », et ajoute que le futur député devra aussi s’attacher à faire mener les études, « inexistantes », sur les conséquences génétiques des radiations, ainsi que sur l’application réelle des programmes scolaires en lien avec le nucléaire.

Du côté du RN, Tutu Tetuanui assure que Marine le Pen et son parti sont les plus offrants sur la question, s’engageant à « indemniser toutes les victimes », et notamment les « 400 dossiers en attente à Paris », quitte à court-circuiter le Civen, ainsi qu’à rembourser la CPS de ses dépenses liées aux maladies radio-induites. Surtout, le candidat d’extrême-droite explique que les 193 essais nucléaires ont tous été décidés « par la gauche ou la droite ». « Marine le Pen n’a jamais fait exploser une seule bombe », lance-t-il, même si son parti n’a pas non plus fait entendre de critiques, pendant les essais ou plus tard, sur le développement de la dissuasion nucléaires française ou sur le choix de la Polynésie pour effectuer des essais.

Mise à part cette échappée, Nuihau Laurey se réjouit que le nucléaire, longtemps sujet de « clivage majeur » dans la classe politique polynésienne, soit aujourd’hui « consensuel ». « Ça va dans le bon sens, les élus doivent parler d’une même voix, insiste l’ancien sénateur. Par contre on voit qu’il y a toujours une difficulté de l’État à avancer clairement sur ce sujet ».

  • Statut d’autonomie : en finir avec les « dominations » politiques ou « faire avec l’existant » ?

Parmi les sujets de divergences entre les candidats, l’action des députés en matière de réforme institutionnelle, si tant est que la situation politique post-législatives permette d’avancer sur ce genre de dossiers à Paris. C’est, paradoxalement le bloc autonomiste Amui Tatou qui est le plus volontaire pour réformer le statut d’autonomie. Du moins sa candidate A Here ia Porinetia, qui portait déjà, pendant la campagne territoriale de 2023 et lors des législatives de 2022, des idées de réformes pour « amener plus de diversité politique » à Tarahoi. « On voit, avec le Tahoera’a, d’abord, puis le Tapura, et aujourd’hui le Tavini, qu’on passe de domination politique en domination politique avec bien sûr toutes les dérives que ça apporte, explique l’ancien sénateur. C’est pour ça que nous avons dans notre profession de foi la nécessité de changer ce mode électoral et moi-même je déposerai à l’assemblée, dès la semaine prochaine, une résolution qui va dans le sens d’une modification de ce dispositif ».

Il s’agirait notamment de mettre fin à la prime majoritaire de 19 sièges, et d’abaisser le seuil de passage au second tour des territoriales… Steve Chailloux, dont le parti a soufflé le chaud et le froid sur le statut, entre la ligne « rien sauf l’indépendance » d’Oscar Temaru et les demandes de réformes de Moetai Brotherson, confie « ne pas être foncièrement opposé », à « titre personnel », aux propositions de Nuihau Laurey. Tout en précisant qu’il s’agit de « préparer l’indépendance au travers un processus de décolonisation », le député sortant ajoute une autre piste de réforme du statut actuel : un « mandat impératif pour éviter le vagabondage politique », dont a souffert le pays par la passé. « Il nous faut une stabilité, c’est une ligne rouge », précise-t-il.

La stabilité avant tout, aussi, pour Tati Salmon, qui qualifie le statut actuel « d’outil fonctionnel ». Et qui met en garde contre l’idée d’un « état associé », développée notamment par le Amuitahira’a de Gaston Flosse. « Les pays du Pacifique qui ont ce statut, j’ai été voir, et on n’aimerait pas y vivre », lance-t-il. Tutu Tetuanui, lui aussi est prêt à « travailler avec l’existant », et salue la « démarche intelligente » d’une partie du camp indépendantiste qui repousse l’objectif d’indépendance à « 10, 20, 30 ans ».

  • Un Tavini, ou des Tavini ?

L’échange sur les évolutions de statut a été l’occasion d’une passe d’armes traditionnelle entre indépendantiste et autonomiste. Nuihau Laurey accuse Steve Chailloux de « jouer aux hypocrites », en insistant sur la stabilité du pays, « alors qu’il y a des divergences fondamentales à l’intérieur des partis politiques », et notamment le sien. « Aujourd’hui on a un parti indépendantiste qui a deux visions de la société ». « Aujourd’hui quoiqu’on en dise, le Tavini est un parti stable, il n’y a pas d’implosion, pas d’explosion, pas de divorce, nous ne combattons pas entre nous, répond l’interessé. Contrairement à nos amis autonomistes où les divorces sont permanents. Il y a quelques mois encore, il y avait cette tentative de plateforme autonomiste avec comme point d’achoppement le statut de Gaston Flosse d’état souverain associé pour lequel Nicole Sanquer ne voulait pas s’engager, et je la comprends ». À l’entendre, ces législatives anticipées ne sont qu’une parenthèse pendant laquelle « tout le monde redevient d’accord », dans le camp rouge – orange – vert (et donc rose), pour « défendre ce statut d’autonomie érigé comme une divinité vivante ».

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