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« Après la tourmente » ou James Norman Hall « au-delà de La Bounty »

Sorti le 7 septembre dernier, le récit Après la tourmente (‘Ura Éditions) raconte la vie de l’écrivain américain James Norman Hall, et de son lien à Tahiti et la Polynésie française, « au-delà de La Bounty », œuvre majeure, écrite avec son ami Charles Nordhoff, sur une mutinerie qui a fasciné Hollywood. De l’Iowa à Arue, en passant par les tranchées de la Grande Guerre, l’auteur Gonzague Aizier nous raconte le discret, non moins hors du commun, James Norman Hall, qui « a fait le choix de dire la vérité, de ne pas vendre d’exotisme, une vision un peu idéalisée et fantasmée de la Polynésie ». une interview de notre partenaire Outremers 360°.

Outremers360 : Il s’agit de votre premier livre publié : pourquoi James Norman Hall ? Qu’est-ce qui vous a attiré chez lui ?

Gonzague Aizier : J’ai vécu à Tahiti entre 2016 et 2018. J’étais en poste dans la marine et j’ai visité, un peu par hasard, sa maison située dans la commune de Arue. Cette première visite a eu lieu dans un cadre professionnel, très brièvement, mais suffisamment déjà pour m’interpeller. J’y suis retourné la semaine suivante, seul, et j’ai été touché par l’ambiance de la maison qui est devenue un musée. On a vraiment l’impression d’être projeté dans le passé.

Au-delà de l’ambiance, j’ai été intéressé par la trajectoire vraiment incroyable de James Norman Hall. Celle d’un étudiant d’un milieu modeste du centre des États-Unis qui va finir par être fantassin, pilote de chasse, puis écrivain à succès. Derrière cette belle trajectoire, quand on regarde attentivement sa vie, il y a toutefois des interstices, du doute et de l’incertitude. Ce sont ces thèmes qui résonnent lorsqu’on écrit. On doute continuellement de sa légitimité à écrire, de la qualité de ses écrits… Alors retrouver ces mêmes sentiments chez un auteur reconnu, cela m’a aiguillonnée.

La maison de James Norman Hall à Tahiti, dans la commune de Arue ©DR

En visitant sa maison, j’ai recueilli quelques indices sur son manque de confiance en lui. Il avait essayé de voir l’écrivain célèbre Joseph Conrad, mais il n’avait pas osé aller au bout. Il y a eu une longue période entre le moment où il est arrivé à Tahiti en 1920 et son premier succès littéraire… C’est tout cela qui m’a interpellé. Je me suis dit qu’il y a certainement une vie intéressante à raconter derrière la belle trajectoire.

Vous évoquez sa trajectoire : Qu’est-ce qui fait que cet Américain qui a fait la Première Guerre mondiale arrive en Polynésie ?

James Norman Hall est un enfant de l’Iowa et pendant son enfance, il a eu l’occasion de lire un livre de Hermann Melville qui se passe dans les Marquises*. Ça l’avait intéressé. Plus tard, pendant la Première Guerre mondiale, il rencontre un autre Américain : Charles Nordhoff. Ils vont écrire leur premier livre à deux : L’histoire de l’Escadrille Lafayette. Tous les deux s’aperçoivent qu’ils sont assez attirés par les mers du Sud et ils réussissent à convaincre un éditeur de leur financer le voyage, de leur verser l’avance et ensuite d’écrire des textes. Le chemin sera encore long pour que James Norman Hall se réalise, mais de fait, c’est comme cela qu’il arrive à Tahiti en 1920.

Le titre de votre livre s’appelle « Après la tourmente » : j’imagine qu’on parle là de la guerre ? James Norman Hall va-t-il réussir à se détacher de cette tourmente ?

Exactement. Et il ne s’en détache pas tout à fait. J’ai appelé ce récit « Après la tourmente », parce que la guerre est une période fondamentale dans sa vie : c’est à ce moment qu’il commence à avoir ses premiers textes publiés. C’est aussi pendant la guerre qu’il rencontre Charles Nordhoff. Et puis également, c’est là que pour la première fois, il entend parler de la Bounty. La guerre est aussi pour lui une expérience fondatrice parce qu’elle va lui impulser ce mouvement pour aller à Tahiti.

La Maison James Norman Hall aujourd’hui, devenue un musée ©DR

Mais il va avoir du mal à se départir de la guerre et de ses conséquences. Il a été choqué par ce qu’il a vu, par les bombardements. Il a vu mourir des camarades. Et même à Tahiti, où il va réussir à se laver de tout ça, la simple vue d’une boîte de « corned beef » (punu pu’a’atoro), qui était ce qu’on prenait dans les tranchées, va le ramener en arrière. Dans ses textes, et notamment dans son autobiographie, pourtant écrite des années plus tard, on sent que la révolte est intacte. Quand il parle de la guerre et de ses camarades morts au combat, on sent que c’est toujours très vif.

Pourquoi ne pas avoir écrit une biographie de James Norman Hall à proprement parler ? Pourquoi ce choix du récit ? 

Je disais précédemment, ce livre est né d’une émotion, en visitant sa maison. Mon projet n’a jamais été de faire une biographie avec des notes de bas de page. J’ai fait le choix d’un récit davantage littéraire, en m’appuyant sur cette émotion et ce qu’elle avait mis en mouvement. Le livre s’appuie sur des recherches approfondies et j’ai notamment pu avoir accès à une partie de la correspondance privée de Hall et Nordhoff mais pour autant, j’ai fait le choix de raconter à ma manière. Au fur et à mesure que je connaissais de mieux en mieux Hall et que des ponts se dessinaient avec moi-même qu’il s’agisse de la vie à Tahiti ou de l’écriture, je me suis autorisé à assumer davantage mon « je » et aussi à fictionnaliser certaines scènes plutôt que, par exemple, de rendre platement compte du contenu d’une lettre. J’espère que ce récit donnera envie aux lecteurs de découvrir l’œuvre de Hall au-delà de la Bounty.

James Norman Hall a écrit une trentaine d’œuvres, pourtant, seules celles sur la Bounty, écrites avec Charles Nordhoff, sont connues… Est-ce que cela s’explique ?

La Bounty est en effet un livre qui a beaucoup marché, et qui a d’une certaine manière écrasé tout le reste. Le livre a eu un succès considérable, assez rapidement adapté au cinéma, puisque trois ans après la sortie du premier tome, Hollywood l’avait déjà adapté, avec Clark Gable notamment. La Bounty, c’est une histoire qui parle à tout le monde, une histoire d’injustice, de révolte, de damnation aussi parce qu’à partir du moment où les mutins se rebellent, ils sont condamnés. C’est une œuvre universelle.

Charles Nordhoff et James Norman Hall (au premier plan) ©DR

Le reste de son œuvre, même si elle est moins universelle, est tout aussi intéressant, notamment pour les lecteurs qui vivent ou qui ont vécu en Polynésie. Elle est particulièrement centrée sur Tahiti, et je pense que c’est pour cela que cette partie de son œuvre est moins restée dans les mémoires. Même si les réalisateurs au cinéma avaient vraiment identifié le filon à histoires. Et beaucoup de ses romans écrits en commun avec Nordhoff, ont été adaptés pour Hollywood assez rapidement après leur sortie. C’est par exemple le cas de Hurricane, qui est un roman qui se passe dans les Tuamotu, qui est très bien aussi. La description faite d’un cyclone est saisissante et le roman offre aussi un point de vue intéressant sur la société coloniale du début du vingtième siècle.

Beaucoup d’artistes, écrivains, peintres, chanteurs, ont été attirés par la promesse d’exotisme que dégage la Polynésie, et plus généralement le Pacifique. Est-ce que James Norman Hall proposait une vision différente ?

Il n’a pas cherché à être plus Polynésien que les Polynésiens, ou à le prétendre comme certains écrivains, ou à retrouver la pureté originelle. Ce qui lui a plu à Tahiti, c’était qu’il était loin de la civilisation, de sa brutalité qui avait été incarnée par la Première Guerre mondiale. Il y était au calme.

La véranda de la maison James Norman Hall, restaurée à l’identique dans les années 90 ©DR

Ensuite, il a vraiment fait le choix de ne pas faire d’exotisme, et de décrire la Polynésie dans laquelle il a vécu. Il y a La Bounty d’une part, mais il a écrit d’autres textes comme Panne Sèche ou L’île Perdue. Panne Sèche est un roman dont l’intrigue se passe à Tahiti dans les années 30. L’île Perdue est quant à lui un roman inspiré de l’arrivée des Américains à Bora Bora. James Norman Hall a également écrit des textes plus courts, des nouvelles qui sont très intéressantes. Et il a fait le choix de dire la vérité, de ne pas vendre d’exotisme au contraire de certains auteurs qui proposaient alors une vision un peu idéalisée et fantasmée de la Polynésie.

*En 1842, Herman Melville séjourne aux îles Marquises après avoir déserté le baleinier Acushnet. Il séjourne ensuite à Tahiti, où il est arrêté et emprisonné, avant de s’échapper pour Moorea et Hawaii. De ce passage en Polynésie, Herman Melville écrit ses deux premiers romans : Typee : A Peep at Polynesian Life et Omoo: A Narrative of Adventures in the South Seas.

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