INTERNATIONAL Au Pakistan, le calvaire d'une condamnée pour blasphème et de ses filles AFP 2016-10-11 11 Oct 2016 AFP Lahore (Pakistan) (AFP) – Esham et Esha restent souvent confinées à la maison. Les rues de Lahore ne sont pas sûres pour ces deux adolescentes, filles d’Asia Bibi, une Pakistanaise chrétienne condamnée à mort pour blasphème, dont le cas doit être réexaminé ce jeudi par la Cour suprême du Pakistan. Asia Bibi a été jugée en 2010 en vertu d’une loi controversée, à la suite d’une dispute avec une musulmane au sujet d’un verre d’eau. Elle attend depuis des années dans le couloir de la mort d’une prison pakistanaise. En six années de bataille judiciaire, son cas est devenu emblématique des dérives de la législation réprimant le blasphème au Pakistan, souvent instrumentalisée, selon ses détracteurs, pour régler des conflits personnels, via la diffusion de fausses accusations. L’affaire Asia Bibi a aussi mis en lumière un malaise des autorités pakistanaises, qui semblent hésiter entre respect des droits de l’Homme et concessions aux radicaux religieux. Au Pakistan, où l’islam est religion d’Etat, le blasphème est un sujet extrêmement sensible. La loi prévoit jusqu’à la peine de mort pour les personnes reconnues coupables d’offense à l’islam. De simples allégations se terminent régulièrement par des lynchages. Les chrétiens, minorité persécutée, sont fréquemment visés. Le cas d’Asia Bibi a eu un retentissement international au point d’attirer l’attention des papes Benoît XVI et François. Le premier a publiquement plaidé en 2010 pour sa libération. Le deuxième a reçu sa fille aînée en 2015 et prié pour la condamnée. Le mari a, quant à lui, écrit au président pakistanais Mamnoon Hussain pour obtenir la grâce de sa femme et l’autorisation de partir en France, pour l’instant en vain. Plusieurs recours ont été rejetés et la Cour suprême n’a accepté que l’an dernier d’examiner son cas. Si elle refuse jeudi de revenir sur la peine capitale, Mme Bibi ne pourra plus espérer qu’une grâce présidentielle. – Entrevue avec le pape – Depuis six ans, la famille d’Asia Bibi se démène, recevant des soutiens, mais vit aussi dans la peur. « Je sens que le pape prie et va continuer à prier pour ma mère et qu’à la fin, grâce à cela, elle sera libérée », racontait récemment à l’AFP Esham, 18 ans, évoquant sa rencontre en avril 2015 avec François. « Il m’a bénie », ajoutait-elle. Mais en 2011, le gouverneur de la province du Pendjab, le progressiste Salmaan Taseer, a été abattu par son propre garde du corps après avoir défendu la cause d’Asia Bibi. Son assassin, Mumtaz Qadri, a été pendu au printemps dernier, suscitant la fureur des extrémistes, qui ont exigé que la chrétienne soit à son tour exécutée. Ces événements ont encore rétréci l’espace exigu dans lequel Esham et Esha pouvaient se mouvoir en sécurité. « Papa me disait de ne pas sortir, que la situation au dehors était très mauvaise » dans les jours ayant suivi la pendaison de Mumtaz Qadri, explique Esham. « Nous restions à l’intérieur en permanence », poursuit-elle, confessant sa peur. « Un jour, quelqu’un va venir et me demander : +Es-tu la fille d’Asia Bibi ?+ » – Séparés par mesure de sécurité – Deux fois par mois, les deux sœurs vont à Multan, à 350 km de là, pour rendre visite à leur mère dans sa prison. « Nous lui parlons de ce qui se passe à la maison », dit Esham. « Je lui fais part de mes pensées, de choses entre mère et fille ». Les visites commencent sur une note joyeuse, mais se concluent à chaque fois dans la peine. « Elle s’attriste car ses filles viennent de si loin pour la voir et elle ne peut même pas les serrer dans ses bras », lâche-t-elle. Esham et sa cadette Esha, âgée de 17 ans et handicapée mentale et physique, vivaient jusqu’à récemment avec un tuteur, séparées de leur père et de leurs frères et sœurs pour plus de sécurité. La famille a depuis pu être réunie. Selon un comptage de l’organisation Human Rights Watch, 17 personnes se trouvent actuellement dans le couloir de la mort pour blasphème au Pakistan, mais aucune n’a été exécutée en vertu de cette loi. L’audience auprès de la Cour suprême sera extrêmement importante, estime Mustafa Qadri, expert des questions de droits de l’Homme en Asie du Sud. – Thèmes ‘sacrés’ – « Il ne fait aucun doute que ce qui est en jeu est véritablement l’âme du pays et de la société pakistanaise : le Pakistan respecte-t-il les droits des plus vulnérables ? Défend-il ces droits contre de fausses accusations, même quand elles touchent à des thèmes sacrés pour la plupart des Pakistanais ? », souligne-t-il, interrogé par l’AFP. Quel que soit le jugement, les lois contre le blasphème vont continuer d’empiéter sur le respect des droits de l’Homme au Pakistan, estime-t-il. Mais une décision en faveur de Mme Bibi « enverrait un message fort au monde, celui que le Pakistan respecte l’Etat de droit et pas la rue ». Les extrémistes, toujours sous le choc de l’exécution de Mumtaz Qadri, « réagiraient certainement avec fureur et sans doute avec violence » dans un tel cas de figure, note Mustafa Qadri. L’assassin du gouverneur est présenté comme un héros dans les sermons du vendredi, un monument a été érigé en son honneur près d’Islamabad et des dignitaires religieux continuent d’exiger l’exécution d’Asia Bibi. Mais à Lahore, Esham et Esha ne perdent pas espoir. Esham s’éclaircit la gorge, puis dit doucement : « Ma mère sera relâchée. Je vous demande de prier pour elle ». © AFP/Archives Arif AliAshiq Masih, le mari d’Asia Bibi, et ses filles Esha et Esham, le 31 octobre 2014 à Lahore Cliquez pour partager sur Facebook(ouvre dans une nouvelle fenêtre)Cliquez pour partager sur Twitter(ouvre dans une nouvelle fenêtre)Cliquez pour partager sur LinkedIn(ouvre dans une nouvelle fenêtre)Cliquer pour imprimer(ouvre dans une nouvelle fenêtre)