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Au port autonome, un climat « anxiogène » autour de « lettres d’expulsion »

Plusieurs entreprises de Fare Ute et Motu Uta ont été informées que leurs conventions d’occupation du domaine public ne seraient pas renouvelées, pour certaines dès la fin de l’année. Une façon pour le Port autonome de se conformer aux recommandations de la CTC, et de réaffecter ces terrains ou hangars suivant une procédure de mise en concurrence et une grille tarifaire plus cadrées. Sauf que ce nouveau cadre est loin d’être prêt et que, même si des autorisations d’un an supplémentaire devraient être accordées, le manque de visibilité représente, d’après le Medef, un danger pour beaucoup d’emplois et pour une partie de l’activité.

Mauvaise surprise pour les entreprises installées sur la vaste emprise du Port autonome de Papeete (PAP). Ces derniers mois, plusieurs d’entre elles ont reçu des lettres de la direction de l’établissement public, leur indiquant que leurs conventions d’amodiation, le document par lequel elles peuvent occuper – contre redevance – une parcelle ou un hangar du domaine public, ne seraient pas renouvelées. Ces conventions, qui concernent plus de 250 acteurs allant de l’armateur aux importateurs, en passant par des commerçants, industriels ou prestataires de service sont très diverses, dans leur durée, leurs conditions et même le montant du loyer qui est demandé à l’occupant. Et dans certains cas, notamment aux abords du pont de Motu Uta, côté Fare ute, elles arrivent à échéance dans très peu de temps : le 31 décembre 2024 pour plusieurs sociétés, particulièrement inquiétées par ces courriers.

Climat « anxiogène » sur le port

Car comme l’a signifié aux autorités le Medef – interpellé sur la question par plusieurs de ses adhérents -, ces décisions de non-renouvellement équivalent à des « préavis d’expulsion ». Sans indemnités ni solutions proposées pour relocaliser leurs entrepôts, magasins ou ateliers, certaines structures craignent de devoir les fermer. « Ça a un impact sur les emplois qui y sont localisés, bien sûr, mais aussi sur d’autres personnels qui y sont liés, note un chef d’entreprise. Par exemple, si je perds un magasin, je n’ai plus besoin non plus des personnes à l’entrepôt qui se chargent de l’alimenter ». Un autre patron, bien installé sur le port, parle d’un climat « anxiogène » engendré par ces courriers, qui va avoir un « impact » sur l’activité de toute la zone portuaire, souvent considérée comme un « poumon économique » du fenua. À deux reprises, en juillet et août, le Medef, désormais présidé par Steeve Hamblin et au sein duquel un « collectif des amodiataires » s’est formé, a interpellé directement Moetai Brotherson sur le sujet.

Aucune entreprise n’a pour l’instant été contrainte de déménager de Motu Uta ou Fare Ute. Mais le calendrier avance, les réponses manquent, et certains patrons, par « manque de visibilité », ont dû arrêter net des projets d’investissement ou de rénovation sur leurs sites. L’avenir est d’autant plus flou que le Port autonome, dans ses missives, évoque le lancement d’appels à candidatures ouverts pour trouver de nouveaux amodiataires. Un effort de « transparence et d’équité » comme le qualifie la direction, mais qui a été très mal accueilli sur des sites parfois loués, entretenus et équipés pendant des dizaines d’années par la même entreprise, grâce à un système de tacite reconduction des conventions… aujourd’hui remis en cause par le PAP.

Reconduction d’un an en attendant les nouvelles règles

Cette nouvelle politique prend sa source, d’après la direction du port, dans les rapports de la Chambre territoriale des comptes. Les magistrats financiers, dans leur analyse de la gestion de l’établissement public, ont constaté la grande disparité des conditions d’occupation du domaine public géré par le PAP : certains bâtiments et terrains ont fait l’objet, historiquement, d’accord de gré à gré, d’autres ont été attribués au plus offrant, avec des conditions tarifaires très fluctuantes. « Parmi les recommandations émises en 2018 et reformulées en 2022, on nous demande de définir une politique équitable et protectrice des intérêts financiers du Port en matière d’autorisations d’occupation temporaire, note le directeur Jean-Paul Le Caill. On nous demande aussi, dès 2023 d’augmenter les ressources liées à la gestion domaniale par la refonte de la politique tarifaire de l’établissement ».

Côté tarifs et redevances, plusieurs ajustements à la hausse, souvent conséquents, ont déjà été actés ces dernières années pour les entreprises occupant les terrains et hangars du port. Mais il s’agit aussi de s’occuper du mécanisme d’octroi des autorisations. D’où ces courriers, « très nombreux », qui datent pour certains de début 2023, et qui sont destinés à prévenir les amodiataires que le cycle de reconduction tacite allait être interrompu. D’où cette idée d’appels à candidatures, déjà pratiqués pour d’autres lots gérés par le PAP – les restaurants de la marina Taina, par exemple – mais dont le Medef ne voit pas, dans les rapports successifs de la CTC, une injonction à les systématiser.

Quoiqu’il en soit, ces nouvelles procédures, pour être appliquées dans le respect des recommandations des magistrats, nécessitent le vote d’une nouvelle grille tarifaire par le port, avec des critères objectifs permettant de fixer la redevance en fonction de l’activité, du site ou de ses équipements… Or ni le Conseil d’administration du PAP, ni l’autorité de tutelle gouvernementale n’ont pour l’instant acté ces nouvelles règles. Elles devraient être discutées dans les prochains mois, et aucun appel à concurrence ne pourra donc être lancé avant le courant de l’année 2025. La direction l’assure : les entreprises « expulsées » verront toutes, en attendant, leur autorisation d’occupation être reconduite pour au moins un an.

Des déménagements à prévoir au plus long terme

Sans surprise, dans les allées de Fare Ute, cette explication agace : à trois mois et demi des premières échéances, cette année supplémentaire n’est pour l’instant garantie par aucun document. « Ça montre un peu le niveau de considération des entreprises », soupire un patron, qui s’étonne que l’administration ait « annoncé la fin des conventions sans avoir prévu la suite ». Jean-Paul Le Caill dit « comprendre parfaitement » les inquiétudes de ces amodiataires. « Mais il n’a jamais été dans l’intention du port de chasser les gens, de les mettre à la porte », précise-t-il. Seulement de « trouver le moyen de satisfaire les recommandations qui nous ont été faites ». 

Suite aux interpellations du Medef, le gouvernement a demandé au PAP des « études plus approfondies » sur ce cycle de modernisation de sa gestion. La direction a par la suite demandé, fin août, à tous les bénéficiaires d’autorisation d’occupation de lui transmettre des attestations CPS sur leur nombre de salariés. Une façon de rassurer sur le fait que la préservation de l’emploi existant sur les sites sera au premier rang des « éléments objectifs » qui seront pris en compte dans les futures procédures de mises en concurrence.

Le ministère de tutelle, celui de Jordy Chan, ancien numéro 2 du PAP, a aussi demandé au port de formuler des « propositions » pour les entreprises qui devraient se déplacer. Car il y aura bien, à un moment ou un autre, des déménagements. C’est ce que prévoit le schéma directeur d’aménagement voté par le conseil d’administration du port début 2023 : agrandissement de la zone de commerce international, en lieu et place de certains hangars de Motu Uta, regroupement des entreprises de réparations navales sur un pôle unique à Fare Ute, aménagement d’une « zone administrative » au Sud du pont de Motu Uta (près du Fare Tama Hau), déplacement hors du domaine de certaines entreprises non-essentielles à l’activité portuaire… Autant de projets à l’étude mais qui n’ont jamais été datés.

D’après la direction, les lettres de non-renouvellement de ces derniers mois ne sont pas directement liées à ces grands chantiers qui prendront encore plusieurs années à être lancés. Mais dans les faits, elles servent tout de même d’avertissement sur la précarité de certaines installations à Motu Uta et Fare Ute.

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Jt Vert 16/09/2024

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