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"Aujourd'hui encore, je déteste la lueur du soleil couchant": récits de survivants de Hiroshima

HIROSHIMA (Japon) (AFP) – Plus de soixante-dix années ont passé, mais le souvenir de la bombe atomique les hante toujours. A l’occasion de la visite historique du président américain Barack Obama vendredi à Hiroshima, des survivants (hibakusha) partagent leur histoire avec l’AFP.

Emiko Okada

79 ans, survivante des plus actives pour appeler les dirigeants du monde à faire le voyage dans la ville martyre et pour parler, à l’étranger surtout, de son malheur.

Quand les Etats-unis ont largué la bombe A le 6 août 1945, elle se trouvait à 2,8 km de l’épicentre. Elle a été gravement blessée et a perdu sa soeur dans le drame. 

« Soudain un éclair intense a illuminé le ciel et j’ai été jetée à terre. Des incendies ont éclaté partout. Nous avons fui au plus vite les flammes rugissantes qui se rapprochaient de nous.

Je n’étais plus entourée d’êtres humains. La peau et la chair pendaient, des enfants avaient les yeux sortis de leurs orbites.

Aujourd’hui encore, je déteste la lueur du soleil couchant. Cela me rappelle ce jour et réveille ma douleur.

Ensuite, de nombreux enfants qui avaient été évacués pendant la guerre sont revenus, pour découvrir que la bombe avait fait d’eux des orphelins. Des voyous ont afflué de tout le pays, leur donnant nourriture et armes.

Le président Obama peut influer sur le monde. J’espère que cette année, on saura enfin ce qui s’est vraiment passé à Hiroshima et Nagasaki sous les champignons atomiques ».

Keiko Ogura

78 ans, a consacré sa vie à préserver la mémoire de ce jour d’horreur. Pendant plus de 30 ans, elle a servi d’interprète pour les témoignages d’autres hibakusha, contribuant ainsi à faire entendre leur voix à l’étranger.

« Peu après l’explosion, il a plu. C’était une pluie noire qui collait à la peau.

J’ai vu des gens gravement brûlés, tels des fantômes muets. 

Soudain, une fille a attrapé ma jambe et a dit d’une voix faible: donne-moi de l’eau. D’autres disaient aussi: de l’eau, de l’eau. Je leur en ai donné, mais certains sont morts aussitôt après l’avoir bue. J’ai regretté de leur avoir donné.

J’ai vu de la fumée provenant d’un parc où les corps étaient incinérés. L’odeur m’est parfois revenue en mémoire.

Nous avons connu l’horreur (des armes nucléaires). Je raconte partout l’enfer, mais les gens ne comprennent pas.

Il n’y a pas de paix à Hiroshima ».

Park Nam-Joo

83 ans, Coréenne. A souffert d’un cancer du sein et de la peau.

Parmi les 140.000 morts de Hiroshima, figuraient environ 20.000 victimes originaires de la péninsule coréenne, qui était depuis son annexion en 1910 une province japonaise. La plupart avaient été déportées au Japon pour travaux forcés.

« Ce n’était que morceaux, gravats, il n’y a pas de mots, c’était inhumain. Une mer de feu, des corps qui saignaient de partout: ‘Je brûle, aidez-moi’, se lamentaient les gens.

Les plaies des vivants étaient infestées d’asticots, il n’y avait pas de traitement.

On dit que la vie humaine n’a pas de prix, mais celle de ceux qui sont morts dans le bombardement n’avait pas plus d’importance que s’ils avaient été des insectes. 

Je verse encore des larmes à ce souvenir. Beaucoup préfèrent ne pas s’en souvenir.

Je veux qu’on sache que la bombe a touché non seulement des Japonais, mais aussi des Coréens, des Chinois et d’autres encore.

Je suis catholique. Un chapelet à la main et une statue de la Vierge Marie à mes côtés, je prie tous les soirs pour un départ paisible au paradis ».

© AFP JOHANNES EISELE
Emiko Okada, 79 ans, survivante de l’attaque atomique sur Hiroshima le 6 mai 1945, à Hiroshima le 25 mai 2016