ACTUS LOCALESCULTURE Bataille autour de la lettre « k » en reo Tahiti Lucie Rabreaud 2025-02-10 10 Fév 2025 Lucie Rabreaud L’Académie tahitienne va organiser deux grands rendez-vous cette année. Une conférence sur l’évolution de l’alphabet tahitien durant lequel le « k » sera au cœur de toutes les discussions : faut-il ou non l’intégrer à l’alphabet tahitien ? Et un séminaire sur la création de néologismes, l’une des activités les plus importantes de l’académie. Elle accueillera également deux nouveaux académiciens, une élection va être organisée et le Fare Vāna’a attend les candidatures. Faut-il ou non intégrer la lettre « k » à l’alphabet tahitien ? L’Académie tahitienne a lancé le débat officiellement depuis l’année dernière avec l’organisation d’un séminaire. « Un débat intense et très productif » selon Emmanuel Nauta, mais aussi très houleux. Rien de plus normal pour le directeur de l’Académie tahitienne. « Nous nous sommes ensuite retrouvés au sein du Fare Vāna’a pour en parler et quelques personnes ont demandé à continuer le débat. Nous avons rencontré des enseignants au mois de septembre. Nous allons solliciter le Cesec aussi pour avoir l’avis des représentants de la société civile. » L’académie va donc organiser une conférence cette année pour continuer à parler du sujet. Le « k » pourrait devenir la dixième consonne dans l’alphabet tahitien, qui compte aujourd’hui cinq voyelles et neuf consonnes dont le ‘eta qui est une occlusive glottale. Mais certains s’opposent à son arrivée, expliquant simplement qu’elle n’est pas dans l’alphabet du reo tahiti. Pour Emmanuel Nauta, si. « Je pense que le « k » existait dans la langue tahitienne, mais il y a très très longtemps, et que par hasard, on ne sait pas pour quelles raisons d’ailleurs, il a disparu. De la même façon par exemple que dans la langue rurutu, le f et le h ont disparu. Ces lettres sont remplacées par la glottale. Je rajoute également qu’au niveau de la langue marquisienne, le « r » a disparu aussi. Il existait, il a disparu et il a réapparu au siècle dernier. » https://www.radio1.pf/cms/wp-content/uploads/2025/01/TAHITIEN-NAUTA-lettres-reapparaissent.wav Un phénomène qui existe aussi dans la langue française explique l’académicien, qui prend l’exemple du « w ». « La lettre « w » n’est pas une lettre française, elle a été empruntée aux langues des pays du Nord, en l’occurrence les langues germaniques, les langues anglaises. Or elle a été utilisée dans le langage parlé depuis le XVIIe siècle et elle a été intégrée par l’Académie française en 1948. » Si le Petit Larousse l’intègre dès son édition de 1948, ce n’est que dans la 9e édition de son dictionnaire, qui date des années 1980, que l’Académie française considère le « w » comme la 23e lettre de l’alphabet. Pourquoi le « k » ne suivrait-il pas la même voie pour le reo tahiti ? Car c’est justement l’utilisation dans le langage qui guide l’Académie tahitienne et Emmanuel Nauta constate que le « k » est utilisé en tahitien : le fruit pakai, le pakalolo, par exemple. Certains mots avec un « k » ont été empruntés au marquisien ou au pa’umotu et font désormais partie du langage commun en tahitien. « Ce n’est pas logique. La base de l’écriture, c’est l’alphabet. Et l’alphabet, s’il manque une lettre, on ne peut pas écrire. Or chaque jour, nous écrivons, nous parlons, par exemple le mot paka dans la presse est écrit. Alors comment on peut admettre d’écrire le mot paka et en disant que le ‘k’ n’existe pas ? » https://www.radio1.pf/cms/wp-content/uploads/2025/01/TAHITIEN-NAUTA-paka.wav Si jamais la lettre « k » intégrait l’alphabet tahitien, elle ne remplacera pas le ‘eta. Elle viendra en plus. Mais l’enjeu a son importance surtout pour l’enseignement de la langue : « Comment allons-nous enseigner à nos enfants que le mot existe mais pas la lettre ? » Cette discussion est aussi la preuve qu’une langue est sans cesse en évolution, et c’est d’ailleurs une des compétences les plus importantes de l’académie : proposer des nouveaux mots. Un séminaire sur les règles de création de nouveaux mots Le deuxième rendez-vous de l’année 2025 est un séminaire sur la création de néologismes. « Si tout le monde peut créer des mots, les associations, des gens qui connaissent la langue, dans la rue aussi, la création de néologismes nécessite des règles et il faut qu’elles soient respectées par tous. Il faut nous accorder sur la façon de créer ces nouveaux mots. » L’académie a elle-même plusieurs procédures. L’une d’elles consiste à chercher la signification des mots en français pour les traduire ensuite. « Je donne un exemple clair. Nous avons cherché à traduire le mot « coordonnées ». Donne-moi tes coordonnées, ton téléphone, ce mot n’existe pas en tahitien. Alors nous sommes allés voir d’abord la signification en français, et la signification c’est : élément permettant de nouer des contacts. Nouer, ça existe en tahitien. Contact, ça existe en tahitien. Donc on les colle, tā’ai qui veut dire nouer, hono pour contact : tā’aihono pour coordonnées. Donc horo mai ta’oe tā’aihono : donne-moi tes coordonnées. » https://www.radio1.pf/cms/wp-content/uploads/2025/01/TAHITIEN-NAUTA-creation-coordonnees.wav La signification évidemment mais aussi l’esthétique, la poésie, la sonorité du mot créé comptent aussi. Autre procédure : s’appuyer sur les autres langues polynésiennes pour traduire un concept. L’Académie, qui diffuse régulièrement une newsletter, remet aussi « de l’ordre ». Dernière rectification en date, le mot matahiapo, utilisé pour traduire « les anciens », signifie « le premier né, l’aîné des enfants » et c’est « mātuatua » qui signifie « ancien, vétéran ». L’objectif de l’académie est d’être écoutée et que l’usage se transforme. Enfin, dernier grand rendez-vous de l’année 2025 : l’élection de deux nouveaux académiciens, et l’établissement attend ses candidats. Cliquez pour partager sur Facebook(ouvre dans une nouvelle fenêtre)Cliquez pour partager sur Twitter(ouvre dans une nouvelle fenêtre)Cliquez pour partager sur LinkedIn(ouvre dans une nouvelle fenêtre)Cliquer pour imprimer(ouvre dans une nouvelle fenêtre)