Après une troisième et dernière journée consacrée aux plaidoiries, le procès des parents accusés de maltraitances ayant entraîné la mort de leur enfant s’est conclu ce vendredi, à la cour d’assises. Le jury a suivi l’avocate générale en condamnant le père à 8 ans de réclusion criminelle. La mère, elle, a été condamnée à 7 ans de réclusion, là où le ministère public avait requis 20 ans.
C’est à Me Hina Lavoye, avocate des parties civiles de prendre la parole en premier. Elle intervient au nom du grand frère de Valentin*, nourrisson retrouvé mort à l’âge d’un an en 2015. En préambule, elle explique que son grand frère, aujourd’hui âgé de 8 ans, et qui en avait trois au moment des faits, « n’est pas en mesure d’exprimer ses souffrances ». « À la suite de ce drame, il a perdu son petit frère, mais aussi ses parents (…) Sa vie a volé en éclats et il va mal ». Elle marque un temps puis poursuit. « Ce drame aura des conséquences sur sa vie, il devra vivre avec ça et se reconstruire. Il a eu la chance d’être adopté par ses grands-parents contrairement à Valentin. Il sait que son petit frère est mort, mais il ne sait pas dans quelles conditions », avant de les rappeler aux jurés. Elle évoque les difficultés du grand frère à l’école : « il est agressif, renfermé, et quand il dessine, ses dessins ne sont pas ceux d’un enfant de son âge. Ils sont sombres (…) Un jour il saura ce qu’il s’est passé, et ce jour-là, quelle sera sa réaction ? » Elle conclut à l’intention des jurés, « mon rôle, c’est de porter sa voix. Pas de juger ses parents. » Elle va se rasseoir dans un silence de cathédrale.
20 ans requis contre Patricia et huit contre Laurent
Au tour de l’avocate générale de s’exprimer. Elle se lève, regarde la salle, le box des accusés, puis se tourne vers les jurés. « Il ne peut y avoir de société démocratique sans la défense des enfants. C’est ce qu’il y a de plus précieux pour l’avenir. En infligeant une peine aux accusés, cela leur signifie la gravité de leur acte. Cela rappelle les valeurs que la société défend, et met en garde ceux qui seraient tentés par les mêmes faits ».
Des faits qu’elle prend soin de détailler, rappelant que la victime était un enfant non désiré. « Non seulement il n’est pas aimé, mais il devient une source de bagarre. Quand il pleure, sa mère le bat et quand il y des disputes dans le couple, il est au milieu, utilisé comme bouclier, il se prend des coups. » Toisant du regard la mère, elle revient sur ses dépositions en garde à vue. « Elle a reconnu qu’elle passait ses nerfs sur le bébé. Elle le secoue pour se défouler alors qu’elle connaissait les risques pour le bébé ! » Et de dresser l’inventaire sordide des maltraitances d’une voix où perce l’émotion. « Fractures, coups, secouages, pas de suivi médical, retard de croissance (…) on ne l’a pas voulu, on en a honte, il a un bec de lièvre ! »
Puis plus posément, « un bébé ressent le manque d’affection. Est-ce qu’il a reçu cet amour ? Peut-être de son père que l’on qualifie de papa poule ? Mais de sa mère, certainement pas. » Puis, à charge contre la mère, « on la décrit dure, nerveuse, agressive (…) quel parent donne la fessée à son enfant parce qu’il pleure ? Aujourd’hui, je veux que vous entendiez ses pleurs. » Assurant que « les violences volontaires ont été démontrées par les médecins », elle mime, les coups, les secousses. « Je suis surement au-dessous de la vérité au niveau de la violence » précise-t-elle. Selon l’avocate générale, la responsabilité du père, concernant les coups mortels, n’est en revanche pas établie. « Je vous demande de ne pas le condamner à ce titre » lance-t-elle aux jurés. Pour autant, « je vous demande de le condamner pour les autres blessures. » Pour « la souffrance de la victime » les réquisitions sont lourdes : 20 ans ferme pour Patricia* et 8 ans pour Laurent*.
« Ce n’est pas un menteur, il a reconnu les violences sur sa femme »
C’est à Me Adrien Huguet, l’avocat de Laurent, de prendre la parole. « Les causes du décès ne sont pas les coups, mais le syndrome du bébé secoué. Des secousses qui ont eu lieu douze heures avant son décès. Et pour moi, ce n’est pas mon client. » Il l’assure, « je le crois quand il dit que ce n’est pas lui. Ce n’est pas un menteur, il a reconnu les violences sur sa femme, alors qu’elle n’a jamais porté plainte. Tout ce qui lui est reprochable, il l’assume. » Il développe, « sur la fracture du bras, il pensait qu’il en était à l’origine parce qu’il avait tiré fortement sur le bras du bébé. Mais les spécialistes sont d’accord, ce n’est pas cela qui a causé la fracture de l’humérus, c’est un coup direct. »
Il regarde l’avocate générale et poursuit, « On dit que c’est un papa poule. Cela me fait un peu sourire. Ce n’est pas un papa poule, il a eu des manquements énormes en tant que père. » À l’adresse des jurés, « vous allez entrer en voie de condamnation. Vous n’êtes pas tenu par les réquisitions, vous pouvez aller au-dessus ou en dessous. Je vous demande de réduire le quantum de la peine requise. »
« On retient dans ce dossier que ce qui est à charge contre ma cliente. »
Me Myriam Toudji qui assure la défense de Patricia se lève. Elle fait face aux jurés, les observe et constate. « J’ai l’impression qu’à la barre des accusés, il n’y plus que ma cliente (…) je la connais un peu plus que vous. On a brossé d’elle un portrait loin de la réalité. Je ne suis pas là pour vous dire qu’elle est parfaite, exempte de tout reproche, pour autant, elle n’est pas la mère violente que l’on vous décrit ! » Elle hausse le ton, « on ne lui fait grâce de rien ! Ni de sa jeunesse. On dit que c’est une menteuse et qu’elle a tué son enfant ! » Puis, plus calmement, elle explique, « elle a 20 ans quand elle met au monde Valentin, et à 20 ans on est une toute jeune fille. Elle me l’a dit qu’elle n’était pas prête à devenir mère. »
Expliquant la précarité dans lequel le couple vivait, elle concède que « cette pauvreté n’est pas une excuse. Mais reconnaissez que tout est compliqué quand on n’a pas d’argent » lance-t-elle aux jurés. «Quand on n’a rien à manger, croyez-moi, beaucoup de choses passent en dernier. Mon propos n’est pas de dire que cela excuse tout, mais juste pour montrer avec quoi elle se battait quotidiennement ». Évoquant les 24 heures de garde à vue de sa cliente et les nombreuses versions des faits qu’elle a données, elle explique, « elle a été interrogée sans avocat et soumise à la pression de l’interrogatoire par un gendarme français. Et il y a une différence de langage, d’expressions, on joue sur les mots, (…) c’est étonnant que l’on accorde plus de crédit à ce qui a été dit lors d’une garde à vue, plutôt qu’à ce qui est dit à la barre. » Elle assène, « on retient dans ce dossier que ce qui est à charge contre ma cliente. »
Elle assure, « mon propos n’est pas de dire, il faut l’acquitter, mais ils étaient deux. Dire que ce qu’a fait Laurent, c’est moins grave, et faire payer ma cliente, quelle injustice ! Affirmer comme l’avocate générale que c’est elle seule, il n’y a pas de certitude. Et vous n’avez aucune certitude ». Elle fait part de son intime conviction, « la veille du décès, il y eu des violences conjugales et le bébé en a pâti. C’est cela qui a conduit à son décès ». Se déclarant abasourdie et assommée par la peine requise par l’avocate générale – « 20 ans de réclusion criminelle, c’est la même peine que l’on a donné au jeune homme accusé d’assassinat la semaine dernière » – elle estime que dans le cas de sa cliente, « on est dans une échelle de 3 à 5 ans ». Elle regarde les jurés, « je vous demande une chose, ne rajoutez pas à la peine, à la honte de ma cliente, l’injustice. »
La parole est donnée aux accusés
Avant de délibérer la présidente de la cour d’assises donne une dernière fois la parole aux accusés. Laurent s’éclaircit la gorge, regarde sa compagne, puis les jurés et se lance. « Je regrette tout ce qui s’est passé. Malgré que Valentin soit parti, on ne l’oubliera jamais. On pense toujours à lui, il restera gravé dans nos coeurs (…) Je voudrais devenir un meilleur père, je ferais tout pour changer et que mon autre fils ait une meilleure vie. À ma sortie de prison, je chercherai du travail pour qu’il soit heureux ». Patricia elle, est en pleurs. « Je demande pardon à mon fils. Il est dans mon cœur. J’aimais cet enfant et je l’aimerais toujours. J’y pense tous les jours. S’il était encore là, on ne serait pas ici et il aurait un bel avenir. Il serait devenu un beau jeune homme. Je l’aimerais toujours, je lui demande pardon. »
En fin de journée, le verdict est tombé. La cour a condamné Laurent à 8 ans de réclusion criminelle et Patricia à 7 ans.
* prénom d’emprunt
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