POLÉMIQUE POUR ADULTES – La polémique sur le contenu des livres pour enfants dans les bibliothèques ou dans les classe ne cesse de grossir.
Qui décide de ce que lisent les enfants ? Depuis quelques jours, la question s’est immiscée sur la scène politique… et polémique. Première à dégainer : l’association d’extrême droite Printemps Français, qui a lancé une virulente campagne visant les bibliothèques municipales. L’objectif : faire retirer des livres pour enfants comme « Tango a deux papas » ou « Mademoiselle Zazie a-t-elle un zizi ? ». Et dimanche soir, Jean-François Copé a fustigé un livre pour enfants baptisé : Tous à poil. « Quand j’ai vu ça, mon sang n’a fait qu’un tour », s’est emporté le député-maire de Meaux sur le plateau du Grand Jury RTL-LCI-Le Figaro.
>> Pour tenter d’y voir plus clair, Europe1.fr retrace le parcours des livres pour enfants. Comment se retrouvent-ils dans les rayons des bibliothèques municipales ou dans les classes ? Qui les choisit ? Explications.
DANS LES BIBLIOTHÈQUES, LE RESPECT DE LA DIVERSITÉ
Le manifeste de l’Unesco guide les bibliothèques. Dans les bibliothèques municipales, le choix des ouvrages pour enfants revient aux bibliothécaires… qui doivent passer en revue une cinquantaine de milliers de livres chaque année. « Ce sont des professionnels formés, qui appliquent des techniques de sélection apprises à l’École Nationale Supérieure des bibliothécaires », précise d’emblée Juliette Lenoir, présidente de l’Association des directeurs de bibliothèques municipales, contactée par Europe1.fr.
Ces « techniques » respectent avant tout le manifeste de l’Unesco sur la bibliothèque publique, qui condense les grands principes devant guider les sélections. « Les collections doivent refléter les tendances contemporaines et l’évolution de la société de même que la mémoire de l’humanité et des produits de son imagination. Les collections et les services doivent être exempts de toute forme de censure, idéologique, politique ou religieuse, ou de pressions commerciales », écrit ainsi l’Unesco.
Les bibliothèques « ne sont pas des écoles ». En clair, les bibliothécaires sont tenus de respecter une large diversité. « Nous proposons autant aux enfants des ouvrages sur la Bible que sur la ‘théorie du genre’. Il doit y avoir un équilibre. Il y a un libre accès au savoir », défend Juliette Lenoir. Le tout dans un souci de « l’éthique républicaine ». Pas de place donc pour les livres interdits par « la loi de 1949 sur les publications destinées à la jeunesse« , types ouvrages racistes ou antisémites.
Et la bibliothécaire insiste : « nous ne sommes pas des écoles. Les enfants ne nous sont pas confiés. Les parents sont là et on ne laisse rien lire à l’enfant sans l’avis des parents ». Si, malgré toutes ces précautions et parce que la la polémique enflerait trop, le maire peut demander le retrait d’un ouvrage. « Mais ce n’est, dans mes souvenirs, jamais arrivé », assure Juliette Lenoir. Des solutions peuvent parfois être trouvées à la marge, comme à Chesnay, dans les Yvelines, où désormais « Tango a deux papas » sera rangé hors de portée des enfants, sur une étagère au niveau des adultes.
À L’ÉCOLE, ON « ÉVITE LA POLÉMIQUE »
Une armada de documentalistes. Hors manuels scolaires (conçus par des éditeurs après négociations entre les enseignants et le ministère), les professeurs peuvent se voir recommandés pléthore d’ouvrages pédagogiques. Et c’est le « réseau Canopé » qui est à la manœuvre. Anciennement appelé « Centre national de documentation pédagogique », c’est lui qui identifie les ouvrages susceptibles d’intéresser les enseignants, en fonction des programmes scolaires. Pour cela, le réseau Canopé dispose de centaines de documentalistes répartis partout en France, dans 120 médiathèques réservées à un public d’enseignants.
« Notre rôle est d’identifier les ressources pour les professeurs », explique auprès d’Europe1.fr Jean-Marc Merriaux, directeur-général du réseau Canopé. « Les documentalistes rencontrent l’ensemble des acteurs de l’Éducation nationale, mais aussi des associations ou directement des éditeurs, qui leurs recommandent des ouvrages ». Les documentalistes font ensuite leur sélection, et ils proposent les ouvrages dans leurs médiathèques respectives. « Chaque établissement local est autonome. Et l’enseignant choisit ensuite librement l’ouvrage dont il va parler en cours », détaille Jean-Marc Merriaux.
Les documentalistes ont-ils donc carte blanche dans leur choix d’ouvrages ? « Ils sont soumis au même type de charte que les bibliothécaires. Et ils ont une limite : on ne cherche pas d’ouvrage polémique. Ils doivent proposer des outils pédagogiques, type ‘comment enseigner les maths en CM2’. Normalement, il ne doit donc pas y avoir d’essais ou d’ouvrage exprimant des points de vue », insiste Jean-Marc Merriaux.
Peut-on retirer Tous à poil ? Parfois, l’ouvrage passe parmi diverses strates du réseau « Canopé », en relation avec le ministère de l’Éducation nationale, avant d’être validé et distribué à plusieurs médiathèques en même temps. C’est le cas des 500 ouvrages recommandés sur le site de l’ABCD de l’égalité, une expérience qui a fait l’objet de critiques de la part des adversaires de l’enseignement supposé de la théorie du genre à l’école. L’expérience a été mise en place dans dix académies par le ministère de l’Education nationale pour lutter contre les stéréotypes de genre. Tous à poil, le livre critiqué par Jean-François Copé, fait partie de cette liste. Peut-il en être retiré ?
« Nous n’avons pas encore assez de recul concernant Tous à poil », anticipe Jean-Marc Merriaux. « Mais, parfois, un livre qui ne paraissait pas polémique en provoque une. Un travail spécifique sur sa pertinence est alors effectué, au niveau national, avec le ministère. Et l’ouvrage peut être retiré. Mais ce n’est arrivé que très, très peu de fois », assure le directeur du réseau Canopé, sans pouvoir avancer de chiffres.
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