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Bras de fer à 1,2 milliard à Miri

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1,2 milliard de francs… C’est la somme demandée en justice par Thierry Barbion à un groupe d’une trentaine d’habitants de Miri, qu’il accuse de « procédure abusive » à son encontre. Ces propriétaires ont effectivement lancé un recours, pour l’instant gracieux, pour obtenir l’annulation du permis de lotir de Miri 7, extension qui les inquiète par ses conséquences sur la route ou les réseaux d’eau. L’assignation en justice serait, pour leur avocat, une technique « d’intimidation » du promoteur. Ce dernier dit vouloir seulement se défendre contre un recours « sans fondement », lié selon lui aux graves dysfonctionnements dans la gestion syndicale du lotissement.

Une réunion pour rassurer, ce samedi dans la grande salle de la mairie de Punaauia. Face à l’avocat Thibault Millet, une trentaine d’habitants du lotissement Miri, dont certains se sont regroupés dans un nouveau collectif associatif, Miritia’i. Ensemble, ils ont fait déposer, en juillet dernier, un recours sur la table du président Moetai Brotherson, visant à faire annuler le permis de terrassement d’une nouvelle extension de ce grand lotissement, Miri 7. Une extension de 70 lots – sur plus de 670 à l’heures actuelle, voire 950 en comptant l’habitat collectif – mais qui, estiment-t-ils, pèsera sur le réseau d’eau potable et d’eau usées existant, sur la route et sur l’environnement… sans compensations suffisantes de la part des sociétés de promotion de Thierry Barbion, qui a mené une bonne partie de la création de Miri.

Mais s’ils étaient réunis ce samedi, ça n’était pas pour parler de ce recours, pour l’instant gracieux, et qui pourrait s’exporter au tribunal administratif si la présidence n’y répondait pas favorablement avant le 19 septembre. Au centre des conversations, une autre procédure judiciaire, lancée en guise de contre-offensive par Thierry Barbion et ses société Delano 4, 6 et 7, officiellement représentées par son fils Victor. Car entre fin août et début septembre, les propriétaires à l’origine du recours auprès du Pays ont tous reçu cette assignation à comparaître au tribunal civil à la fin du mois, pour répondre d’une accusation de « procédure abusive ». Les dommages-intérêts demandés ont provoqué un certain émoi dans le lotissement : 1,2 milliard de francs hors intérêts légaux, et 4 millions supplémentaires par mois. À se partager entre requérants.

Une « volonté d’intimidation »

Pour justifier cette demande de dédommagement astronomique, le promoteur et son avocat mettent en avant le manque de « fondement » du recours des copropriétaires, la « mauvaise foi doublée d’une outrecuidance » des reproches qui y sont listés, comme un « inventaire à la Prévert » de faits « non démontrés »… Bref, la « légèreté blâmable » de leur argumentation… Le chiffrage des dommages-intérêts s’est fait lui sur la base de « pertes liées aux ventes qui ne pourront pas se faire à cause du recours administratif qui sera suivi d’un recours juridictionnel devant le tribunal administratif ». 1,208 milliard de francs, c’est le montant total des 36 promesses de vente signées par les sociétés Delano pour Miri 7.

Face à cette convocation délivrée par huissier, parfois même sur le lieu de travail des personnes, Me Thibault Millet qui mène pour le collectif le recours contre le permis de lotir, avait donc comme mission première de rassurer, samedi. Et d’expliquer que cette assignation « hors cadre » et de prime abord « très inquiétante », était trop « absurde » et « prématurée » pour aboutir. À l’entendre, cette contre-offensive n’aurait pour seul objectif que d’impressionner, alors que les recours au tribunal administratif doivent être déposés dans les deux mois suivant le 19 septembre. « On a un promoteur aujourd’hui qui veut intimider les habitants de Miri pour qu’ils ne déposent pas leur recours contentieux », insiste l’avocat, qui précise que les attaques pour procédure abusive, plutôt rares, sont généralement lancées après qu’un tribunal a écarté le recours en question. « On vient nous dire : votre action je la conteste, mais pas encore devant le tribunal administratif parce qu’elle n’y est pas, et je juge qu’elle est abusive alors qu’aucun tribunal n’a statué dessus. On marche à l’envers. »

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Étude d’impact insuffisante

Sur le fond, les nombreux moyens développés dans le recours gracieux ne feront probablement pas tous mouche auprès des juges, quand et si ils seront saisis. Mais Me Millet estime que plusieurs arguments contre ce permis de lotir, qui est en fait un renouvellement accordé par le Pays le 2 mai, juste après les élections territoriales, mais juste avant la prise de fonction du nouveau gouvernement, peuvent être matière à discussions juridiques. L’avocat cite, entre autres, des incohérences avec le PGA qui prévoit une emprise réservée à un sentier de randonnée qui traverse une des parcelles. Il pointe surtout du côté de l’étude d’impact ayant abouti à cette autorisation, une étude jugée « insuffisante », « subjective et orientée », qui « adopte une posture de déni » sur les atteintes à l’environnement et qui ne s’appuierait pas sur un état initial de la zone, mais sur le constat de terrassement déjà effectués grâce aux permis précédents… Une étude qui, surtout, ne s’intéresserait pas à l’impact de la nouvelle extension sur le réseau d’eau potable, déjà fragilisé par de nombreuses fuites qui coûtent beaucoup aux copopriétaires, au réseau d’eaux usées et à la route de Miri, tous entretenus par le conseil syndical. Des réseaux « qui ne peuvent plus supporter davantage d’habitants », assure l’avocat. Du moins sans investissement, et hausse des coûts de maintenance dont les copropriétaires estiment, en creux, qu’ils doivent être pris en charge par le promoteur.

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Dettes et tensions dans l’association syndicale du lotissement

Thierry Barbion, son fils et ses sociétés rappellent quant à eux que les travaux menés sur la zone de Miri 7 se sont fait en accord aux permis de lotir précédents (pour Miri 6 et Miri 4) obtenus à partir de 2005, et que le renouvellement n’était nécessaire que parce que certains travaux n’étaient pas achevés une fois le délai légal écoulé. « Bien entendu, les permis de lotir de Miri 6 et 4 ont été délivrés après la procédure d’étude d’impact environnemental obligatoire », insiste le document d’assignation, qui accuse Me Millet de volontairement laisser de côté ces faits. Les inquiétudes sur les capacités du réseau d’eau potable, d’assainissement ou de la route, ne seraient, eux, basées que sur des « affirmations », des « critiques fausses qui ne sont pas d’ordre légal ». Bref, pour le promoteur, il ne s’agit que de se « défendre » d’une procédure qui ne serait que le symptôme de la situation « chaotique » de la gestion de Miri, dont certains le rendent directement responsable.

Première assemblée générale en trois ans pour l’association syndicale

[Mise à jour 11/09, 19 heures, précisions à propos de l’ASL] L’association syndicale des propriétaires du lotissement (ASL Miri) – distincte du collectif Miritira’i, créé beaucoup plus récemment – a elle aussi été agitée ces derniers mois. Des tensions entre le bureau syndical, renouvelé juste avant la crise sanitaire, et l’entreprise délégataire chargée de la gestion administrative et technique de l’association ont abouti, déjà à une passe d’armes juridique. Elle a abouti, fin mars, à la nomination d’un administrateur provisoire pour l’association, ayant pour mission première d’organiser une assemblée générale, qui n’a pas pu se tenir pendant la période Covid à cause des règles sanitaires – un telle AG, concernant « le plus gros lotissement de Polynésie » peut réunir plus d’un millier de personnes – puis du fait des tensions entre le bureau et l’entreprise prestataire. Lors de sa prise de fonction, l’administrateur a rapidement alerté les copropriétaires sur un passif de 75 millions de francs, évalué à fin 2022, dû notamment à des dettes auprès de la Direction des affaires foncières, avec qui le lotissement est en contentieux à propos de taxes de forage non réglées. Ce passif serait aussi dû, d’après lui, à des coûts électriques sous-évalués de la station de forage du lotissement. Coûts liés, justement, aux nombreuses fuites du réseau et, pour certains copropriétaires, à une mauvaise conception par le promoteur du lotissement.

L’appel de fonds alors lancé a été refusé par une majorité de propriétaires, et quelques semaines plus tard, le même administrateur provisoire dénonçait dans un courrier, le « travail de sape de certains membres de l’ancien bureau » syndical dont les « décisions arbitraires » prises les années précédentes laisseraient « transpirer un certain amateurisme dans la conduite des affaires ». Un courrier auquel la dernière présidente en date de l’ASL Miri, soutenu par plusieurs membres du bureau syndical sortant, a répondu début juillet. Elle accuse non seulement l’administrateur de sortir de la « neutralité et la réserve qu’exige son statut », mais aussi de « travestir la vérité » sur la gestion passée de l’ASL. Elle rappelle que les comptes 2019, 2020 et 2021 ont été clos et expertisés « avec des résultats nets créditeurs », et que des procédures de contestations sont toujours en cours concernant les sommes exigées par la DAF. Surtout elle lui reproche de ne pas répondre à l’ordonnance judiciaire qui l’a nommé, en tardant à convoquer une assemblée générale. Une AG qui devrait finalement se tenir dans les derniers jours de septembre. Une première depuis 2019 qui devrait, espèrent les copropriétaires, aider à apaiser un peu les tensions qui perdurent sur les hauteurs de Punaauia.