ACTUS LOCALES

Bras de fer pharmaceutique à Bora Bora

Le seul pharmacien de l’île, installé à Vaitape, conteste l’autorisation d’une nouvelle officine, portée par un jeune professionnel, près de la pointe Matira. Le nouvel établissement est jugé nécessaire par les autorités de santé, mais serait, pour le rapporteur public, trop proche de son concurrent, à 4,4 km de là. Bora Bora pourrait devoir attendre pour connaitre la concurrence dans la distribution de médicaments.

Après la longue bataille de Papara, qui s’est surtout révélée coûteuse pour le Pays, c’est à Bora Bora que les hostilités pharmaceutiques sont lancées. Le débat autour de la deuxième pharmacie de l’île a déjà fait plusieurs allers-retour à la barre, et se présentait de nouveau ce matin devant les juges administratifs. À l’heure actuelle, la perle du Pacifique ne dispose que d’une seule officine : la pharmacie Lafayette, tenue par le Dr Nicolas Loyer à Vaitape, commune de Nunue. Longtemps, les éventuels concurrents se sont heurtés à la loi qui chiffrait à 7 000 le nombre d’habitants minimum pour chaque distributeur de médicaments. Le relèvement de ce seuil, en 2019, accompagné d’un toilettage de la loi, a permis à Bora Bora et ses 10 600 âmes de prétendre à une deuxième pharmacie. L’île  « en a besoin », affirment les autorités de santé. Reste à savoir où l’installer.

Deux projets refusés, une autorisation annulée

Preuve que le potentiel commercial est lui aussi évident, plusieurs projets ont été mis sur la table dès 2020. Le premier, à 1 200 mètres de la pharmacie déjà existante à Nunue, avait été jugé superflu, et la Polynésie avait alors suggéré une implantation à Anau. C’est dans cette commune associée de la côte Est qu’était localisé le deuxième projet, écarté à son tour pour des problèmes de sécurisation du foncier. En 2021, c’est un jeune pharmacien polynésien, le Dr Teano Cojan, passé par de longues études en métropole, qui obtient le sésame du Pays. Son officine, il veut l’installer dans le Sud-Ouest de l’île, tout près de la pointe Matira. Sur la commune de Nunue donc, mais à plus de 4,4 km de la pharmacie Lafayette, à proximité, comme l’ont bien noté les autorités de santé, des flux touristiques et du collège-lycée de Bora Bora. Sa première autorisation est immédiatement attaquée, avec succès, par la porteuse d’un projet concurrent. Nouvelle demande début 2022, et nouveau feu vert du président du Pays. Comme le rappelle le jeune trentenaire, les deux décisions étaient appuyées sur un avis unanimement favorable de la commission spécialisée, où siègent les représentants de l’Arass, du Conseil de l’ordre des pharmaciens, de la CPS, de l’assemblée ou des usagers. Ce qui n’empêche pas la seconde autorisation de faire à son tour l’objet de recours en annulation.

Touristes, scolaires, travailleurs… Faut-il considérer la population « de passage » ?

L’autre postulante à l’installation à Bora a bien formulé une demande, mais elle devrait être écartée, faute de nouveau projet présenté en 2022. C’est donc, cette fois, le Dr Loyer qui est directement au front et il pourrait bien obtenir l’annulation de l’autorisation concurrente. Car pour le rapporteur public, peu de choses ont changé entre la première demande – dont l’annulation va être réétudiée d’ici quelques semaines en appel à Paris – et la seconde du Dr Cojan. Le projet n’a pas bougé d’un centimètre et ne serait toujours pas idéalement placé dans les trente kilomètres de tour de l’île. Pas question pour la magistrate de s’appuyer sur la population de passage – touristes comme scolaires – : ce sont les résidents de la zone qui doivent être appréciés d’après la loi. Et si une deuxième officine ouvre à Nunue et ses 5 600 habitants, les 1 970 d’Anau n’auront jamais leur croix verte. Bref, ce projet ne « répond pas de façon optimale aux besoins en médicaments de la population ». Des conclusions logiques pour Me Brice Dumas, le représentant de la pharmacie Loyer, qui s’étonne que la défense demande aux juges de « tordre le cou » à la loi.

Appel à la « vigilance » contre le maintient de « monopoles »

Me Mickaël Fidele, avocat de Teano Cojan, a effectivement estimé que la règlementation, malgré son toilettage de 2019, était « mal écrite ». Et suggéré aux juges de faire appel à s’écarter de son application stricto sensu pour considérer les enjeux sociaux et sanitaires du cas d’espèce. Mais du côté du représentant du Pays, de l’Arass, et même du Dr Cojan, qui ont – fait rare au tribunal administratif – tous pris la parole pendant l’audience, on assure que le texte a bien été respecté. À les entendre, la première décision d’annulation avait été embrouillée par des données démographiques « manipulées » par la concurrence, les délimitations de communes seraient moins pertinentes que la division de l’île par « quartiers », et l’installation à la pointe Matira, densément peuplée et où converge beaucoup d’activité, répondrait bien aux besoins de l’île. Le jeune professionnel, qui souhaite être un « pharmacien de demain » davantage porté sur les missions de sensibilisation et de prévention, appelle même les juges à la « vigilance » contre les manœuvre de ceux qui ne souhaitent que « maintenir un monopole et une domination ».

Le Dr Teano Cojan suggère même que le Dr Nicolas Loyer a fait en sorte d’empêcher l’accès de la concurrence à certains locaux pour empêcher leur installation. Des propos qui seront immédiatement dénoncé par Me Dumas, l’avocat du pharmacien déjà en activité. La décision du tribunal administratif est attendue pour le 28 février.

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