Paris (AFP) – « Trop, c’est trop! »: le monde scientifique a clamé mardi son indignation face au projet de décret amputant fortement le budget de la recherche et a demandé au gouvernement le retrait de ces mesures pour préserver l’avenir.
La protestation des scientifiques a reçu le soutien des commissions des Finances de l’Assemblée nationale et du Sénat, appelées à donner mardi un avis consultatif sur le décret.
Pour financer les différentes mesures nouvelles (plan emploi, agriculture, sécurité etc.) annoncées depuis janvier, le gouvernement a préparé un projet de décret prévoyant au total 1,1 milliard d’euros d’économies budgétaires supplémentaires en 2016.
La Mission interministérielle recherche et enseignement supérieur (Mires) est appelée à fournir un quart de cet effort, avec 256 millions d’euros d’annulations de crédit dont 134 millions d’euros concernent les subventions allouées aux organismes de recherche.
Le CEA est mis à contribution à hauteur de 64 millions d’euros, le CNRS de 50 millions, l’Inria et l’Inra de 10 millions chacun.
Ce décret inattendu a semé la consternation dans le monde scientifique.
Sept prix Nobel français et un lauréat de la Médaille Fields ont déploré lundi la décision du gouvernement de procéder à ces annulations de crédits pour la recherche, qui « s’apparentent à un suicide scientifique et industriel ». Une démarche exceptionnelle.
Ils se sont dit d’autant plus consternés que, le même jour, ils avaient appris que « les dépenses de recherche et développement (R&D) de l’État fédéral allemand avaient augmenté de 75% en dix ans ».
Les conseils scientifiques de cinq organismes de recherche (CNRS, Inra, Inserm, Ined, IRD) « s’indignent » eux aussi du projet de décret.
Ils « demandent au gouvernement de surseoir à ce projet contre-productif ». Certains de ces organismes ne sont pas touchés mais ils sont solidaires de ceux mis à contribution.
« Trop, c’est trop », explique à l’AFP Bruno Chaudret, président du Conseil scientifique du CNRS. « Nous en avons vraiment assez d’être pris pour des pigeons. Les intérêts privés sont entendus par le gouvernement mais nous, qui représentons l’intérêt public, nous servons de variable d’ajustement », a-t-il ajouté.
– « L’oxygène de la recherche » –
Le secrétariat d’Etat à l’Enseignement supérieur et à la Recherche a expliqué que les économies de 134 millions d’euros se feront en mobilisant les fonds de roulement disponibles et les trésoreries des organismes de recherche, « sans mettre en cause l’exécution » des budgets annuels prévus par les organismes de recherche.
Les fonds de roulement permettent notamment aux organismes de mettre de l’argent de côté pour des projets futurs.
« Pour nous, c’est l’oxygène de la recherche. C’est ce qui permet de mener à bien des recherches libres qui pourront donner lieu plus tard à des projets d’envergure », a considéré Bruno Chaudret.
La ministre de l’Education, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche Najat Vallaud-Belkacem a affirmé, lors des questions au gouvernement, que les coupes « n’auront aucun impact sur l’activité des organismes de recherche ».
« J’en prends l’engagement ici: si les 134 millions d’euros venaient à manquer aux organismes de recherche dans la conduite de leurs projets, je prendrai les mesures nécessaires pour réabonder leurs crédits », a-t-elle promis.
Elle a ajouté qu’en juin, une enveloppe supplémentaire de 65 millions d’euros allait permettre à l’Agence nationale pour la recherche (ANR) « de retenir davantage de projets en 2016 ». « Cet effort sera porté à 120 millions l’année suivante », a-t-elle ajouté.
La commission des Finances de l’Assemblée nationale a marqué mardi son désaccord avec les coupes budgétaires prévues sur les fonds du CNRS et du CEA à hauteur de 114 millions d’euros.
La rapporteure générale, Valérie Rabault (PS), a « recommandé » de renoncer à ces annulations de crédits, jugeant que « d’autres solutions peuvent être envisagées pour respecter l’équilibre budgétaire ».
De son côté, la commission des finances du Sénat a émis un avis défavorable sur le projet de décret dans sa totalité, suivant le rapport d’Albéric de Montgolfier (Les Républicains). Concernant les coupes dans la recherche, elle estime qu’elles « sont incohérentes avec les engagements pris par le Président de la République de sanctuariser voire d’augmenter ces crédits ».
© AFP/Archives REMY GABALDA
Les chercheurs s’inquiètent du projet de supprimer 256 millions d’euros