Shirshendu Bhattacharya, chef de l’innovation produits et services sous-marins de Google Global Network et négociateur en charge des nouveaux marchés, basé à Singapour, a mené les négociations au terme desquelles Tahiti deviendra l’un des grands « hubs » du Pacifique, grâce à la mise en service dès 2025 et 2026 de cinq câbles et deux data centers, et sans doute davantage à l’avenir. Il fait le point sur l’avancée de ce « game changer » pour le fenua.
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Shirshendu Bhattacharya est le pivot du projet Google en Polynésie. Basé à Singapour, il a deux rôles au sein de l’entreprise : chef de l’innovation produits et services sous-marins d’une part, et négociateur pour les nouveaux marchés. Après plusieurs années au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, son nouveau terrain de jeux est le Pacifique, où Google déploie sa « Pacific Connect Initiative », un réseau de câbles sous-marins et de data centers auto-financés qui va non seulement garantir aux usagers des nombreux services Google une connectivité fiable et à latence minimale, mais aussi offrir aux pays et territoires qu’il touche un accès moins onéreux à Internet. Il a accepté de répondre aux questions de Radio1.
Google a annoncé, depuis octobre dernier, plusieurs projets de câbles sous-marins dans le Pacifique qui passeront par la Polynésie française. Depuis combien de temps travaillez-vous sur ce projet ?
En général c’est un planning sur cinq ans, parce que fabriquer les câbles et les livrer sur site prend du temps, et demande beaucoup de coordination. En temps normal nous n’annonçons pas les projets tant que nous n’avons pas garanti les sites d’atterrage et les autorisations pour poser les câbles. Nous faisons une analyse préliminaire, puis nous examinons l’environnement légal local, les possibilités de trouver des terrains, et à quel coût, bref, tout ce travail de vérification diligente. On obtient l’accord du conseil d’administration, puis on signe les contrats fournisseurs, on lance la production, et ensuite seulement on commence à discuter de notre projet. C’est pour cela que parfois nous n’annonçons rien, puis soudain nous annonçons deux, trois câbles parce que nous attendons d’avoir fait nos devoirs.
Mais dans le cas de la Polynésie, les choses ont pris moins de temps. Nous projetions des câbles dans plusieurs parties du monde. Brian Quigley, notre vice-président des infrastructures réseau, a été approché par le président Brotherson lors du sommet États-Unis – Pays du Pacifique à Washington (en septembre 2023, ndr), qui nous a demandé de considérer et d’évaluer la Polynésie française comme site d’atterrage majeur, c’est de là que tout est parti. Et donc dans le Pacifique, nous avons quatre hubs : la Polynésie française, Hawaii, Guam et Fidji, ce sont les sites premiers où nous connecterons de multiples câbles.
Quels avantages vous apporte cette implantation multiple en Polynésie ?
Nous avons choisi la Polynésie française parce que c’est le premier pays sur la route entre l’Amérique du Sud et le reste du Pacifique, c’est donc un emplacement hautement stratégique pour notre nœud de commutation, qui nous permet de connecter l’Amérique du Sud, l’Australie, la Nouvelle-Zélande et plusieurs endroits d’Amérique du Nord. La redondance garantit une plus grande fiabilité en cas de panne : une réparation sur un câble sous-marin prend de 15 à 90 jours selon le site, la disponibilité du navire câblier, la météo, ou encore l’obtention des permis de travaux.
Un autre avantage de la Polynésie française, c’est que vous avez deux réseaux électriques distincts sur l’île de Tahiti, ce qui renforce la fiabilité. Vous avez également un plan pour passer aux énergies renouvelables, ce qui s’accorde avec les objectifs de résilience et de durabilité de notre réseau.
Et quelles difficultés avez-vous rencontrées ?
Là où nous pensions avoir un peu de mal, au début, c’est la façon dont notre projet serait perçu par les opérateurs télécoms. Nous construisons ces câbles pour assurer une connectivité évolutive dans tout le Pacifique, mais parfois les opérateurs locaux ne voient pas le bénéfice de ces projets. Nous avons surmonté cela en travaillant étroitement avec le PDG de l’OPT, Hina Delva.
L’autre difficulté tient à l’industrie du câble sous-marin. D’habitude les gens discutent pendant cinq ans de la construction d’un câble, puis ils forment un consortium de co-investisseurs, et ça prend encore trois ou quatre ans pour poser le câble. Quand nous avons annoncé vouloir construire un câble entre l’Amérique du Sud et la Polynésie française, et au-delà, personne ne nous a pris au sérieux pendant les premiers mois, sauf le président Brotherson et certains membres de son cabinet. Avec leurs expériences passées les opérateurs télécom, pas seulement en Polynésie, mais aussi à Fidji, pensaient, OK, c’est juste une discussion, ça ne va pas se faire. Alors oui, pour construire cette confiance, ça nous a pris un peu de temps. il a fallu convaincre que nous n’allons pas faire de mal à leur écosystème commercial. Je suis originaire d’Inde, où le plus important, c’est la relation. Où que vous alliez, même chez les gens modestes, si vous les respectez ils vous accueilleront. Et c’est aussi ce que j’ai remarqué dans le Pacifique. Il peut y avoir de l’appréhension, mais je suis sûr qu’au fur et à mesure que les gens verront que le projet se concrétise et que nous travaillons en étroite collaboration, nous serons bien accueillis.
Votre accord avec l’OPT porte-t-il sur un accès bon marché à des capacités supplémentaires ? Sur des prestations de maintenance ?
Nous n’avons pas encore signé avec l’OPT, mais nous nous attachons à proposer les meilleurs termes et à nous assurer que l’accord sera bon pour le pays entier. Nous ne voulons pas que l’OPT pense qu’il est notre revendeur, nous voulons qu’il partage notre succès.
Quels seront les sites d’atterrage et des data centers ?
Papenoo et Taravao. Sur Papeeno nous travaillons avec Tahiti Nui Télécom, nous avons de très bons rapports avec son président, Paul Dugué, qui est d’un grand soutien et nous a guidé sur la manière de faire les choses – chaque pays a sa manière de faire. Nous voulons louer une partie du terrain de TNT. À Taravao nous avons deux options – nous allons faire une étude géotechnique, une analyse de la plaine inondable. L’une des options est une parcelle de la zone industrielle de Faratea, l’autre est une propriété privée. En attendant nous avons déjà soumis les documents pour former une compagnie locale par laquelle passeront toutes nos transactions.
Faut-il s’attendre à davantage de data centers à l’avenir ?
Je veux préciser qu’il ne s’agit pas de data centers énormes, même si dans le contexte polynésien ils pourront sembler importants. Je précise aussi qu’ils contiennent des commutateurs et des routeurs de trafic Internet, mais ce ne sont pas des data centers qui hébergent du contenu, parce que ceux-là nécessitent beaucoup de place et d’énergie, ce n’est pas idéal pour la Polynésie française. Chacun sera de l’ordre de 2,5 à 3,5 mégawatts, pour environ 1,4 hectare de terrain au total.
Comment allez-vous alimenter ces data centers en énergie ?
Nous sommes engagés à être une entreprise verte, neutre en carbone. Nous envisageons des Swac, mais en attendant nous allons aussi nous assurer de disposer de terrain pour implanter des fermes solaires.
A quoi s’attendre en termes d’emploi, direct et indirect ?
Pour la construction, on pourrait comparer le projet à la construction d’un hôtel. Ce ne sera pas des milliers d’emplois. Mais ce que ce projet va faire, c’est changer l’attractivité digitale de la Polynésie française. Ce sera un « game changer », un boost à l’économie numérique qui va attirer davantage d’investissement et de gens qui voudront travailler dans ce nouvel écosystème. Je pense par exemple à ces « nomades numériques » qui pourront travailler à distance sans s’inquiéter de la performance du réseau.
Moetai Brotherson évoquait aussi l’espoir que Google finance des programmes de formation. Où en est la réflexion sur ce point ?
Je représente le bras commercial de Google, nous avons par ailleurs des gens qui travaillent sur les aspects de politiques publiques. Ce sont eux qui travaillent sur le volet formation. Mais je sais que partout où nous travaillons, nous apportons ce genre d’initiatives, des formations diplômantes.
Du point de vue du réseau, une fois les stations construites, nous voulons former des personnels locaux de manière à ne pas avoir à faire venir des gens de l’extérieur. Et je suis partisan d’aller chercher les bons élèves qui ne viennent pas de milieux favorisés. Nous essaierons de les identifier et de les faire travailler.
Vous êtes aussi le co-inventeur d’un brevet récemment déposé sur le mapping des câbles sous-marins.
C’est un programme informatique qui intègre les contraintes existantes : est-ce qu’il y a une aire marine protégée ? Un gisement ou un pipeline de pétrole ou de gaz ? Quelle est la profondeur de l’eau ? À partir de ces données, le programme va mettre en œuvre ce qu’on appelle un « algorithme du voyageur de commerce » afin de trouver l’option la moins coûteuse pour aller d’un point A à un point B. Tous les câbles qui vont relier la Polynésie française ont été dessinés avec un outil qui utilise mon brevet. Les navires hydrographiques qui font les relevés sont déjà en mer et vont arriver en Polynésie en juin.
Moetai Brotherson a déclaré sur notre antenne qu’il y aurait 15 câbles d’ici huit à dix ans en Polynésie. Vous confirmez ?
Je ne peux pas en parler, mais tout ce que je peux dire c’est que les câbles attirent les câbles. Si quelqu’un veut planifier un futur câble par exemple entre l’Australie et les États-Unis, il bénéficiera de notre expérience, et de l’infrastructure. Chaque station d’atterrage peut accueillir quatre câbles. Donc nous allons développer une infrastructure qui peut faire arriver huit câbles sans dommage pour l’environnement. Donc oui, je dirais que ça va attirer d’autres câbles. Pour faciliter cela, la Polynésie française doit développer son énergie verte, et augmenter les possibilités de faire des affaires plus vite.