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Cambriolage : tel est pris qui croyait prendre

©Pascal Bastianaggi

Ce jeudi au tribunal, une fois n’est pas coutume, un prévenu accusé de cambriolage a été relaxé car reconnu non coupable, tandis que son accusateur, lui, a écopé de 8 mois de prison ferme. Une histoire rocambolesque qui démontre que les délinquants ont parfois de la matière grise à revendre.

Les traditions se perdent en Polynésie. Alors qu’habituellement, les délinquants avouent leurs méfaits rien qu’à la vue d’un uniforme bleu, cette fois, les forces de l’ordre sont tombées sur l’exception en la personne de Daven. Un petit Machiavel en puissance, qui non content de se prétendre innocent comme l’agneau qui vient de naître, trouve le moyen d’accuser, et de quelle manière, un véritable innocent à sa place, Ludovic, qui s’est retrouvé en détention provisoire durant 24 jours.

En voici l’histoire. Dans la soirée du 27 mars, Daven, délinquant à la petite semaine mais au fort penchant pour tout ce qui se consomme illégalement, ice, paka etc…, se balade à vélo à Papenoo quand il passe devant l’école primaire Mamu. Ne voyant personne dans les environs, confinement et couvre-feu oblige, il décide d’aller faire du « repérage », dans le langage des braqueurs.

De la suite dans les idées

Il pénètre dans l’école puis embarque des ordinateurs portables. Poursuivant sa visite, son attention est attirée par une armoire blindée. N’ayant pas ce qu’il faut sur lui pour la forcer et vu l’heure matinale, cinq heures, il décide de rentrer chez lui avec la ferme intention de revenir le soir même, cette fois équipé d’une barre à mine. Ce qu’il fait. Il réussit à ouvrir l’armoire dans laquelle se trouvent encore des ordinateurs portables et onze iPad. Il délaisse les iPad, car géolocalisables dès qu’ils se connectent sur Interne, et jette son dévolu sur les portables.

Entre ceux qu’il a volé la veille et son butin du jour, cela lui fait dix ordinateurs au total. Un butin qu’il se dépêchera de convertir en substances illicites sous la forme d’ice et de paka ou de menue monnaie à raison de 5 000 Fcfp l’ordinateur. Alors qu’il avait laissé les iPad, pour de bonnes raisons, il revient sur sa décision et revient une troisième fois à l’école pour mettre la main sur les onze tablettes.

Le coupable désigné sur photo

Ce n’est que le 1er avril que la directrice de l’école se rend compte que son établissement a été visité et qu’on y a dérobé pour un peu plus d’un million de matériel. Elle porte plainte et les gendarmes procèdent alors aux premiers relevés, dont une empreinte palmaire qu’ils envoient en métropole pour analyse.

Peu de temps après, la directrice leur signale, grâce à la géolocalisation, qu’un des iPad dérobés a borné dans un quartier proche de l’école. Les hommes en bleu s’y rendent et interrogent Daven car l’appareil a été géolocalisé tout près de son domicile. Daven raconte alors aux gendarmes qu’effectivement, un gars lui a proposé d’acheter des iPad. Il prétend avoir refusé, car il connaissait le gars de vue et sa réputation de voleur. Les gendarmes lui présentent alors un trombinoscope et sans hésiter Daven pointe du doigt la photo de Ludovic, « c’est lui ».

Des preuves d’apparence irréfutable

Les gendarmes se rendent alors au domicile de Ludovic, l’interpellent et trouvent les tablettes volées, planquées dans une buse de caniveau à proximité de son domicile. Ludovic bien évidemment clame son innocence, devant des gendarmes plus que dubitatifs puisque pour eux l’affaire est classée. Ludovic a été reconnu par Daven et le butin retrouvé près de chez lui les conforte dans leur certitude d’avoir attrapé le coupable. Ses antécédents de petit délinquant ne plaident pas en sa faveur. De plus, peu de temps après, lors d’une confrontation entre Daven et Ludovic à la gendarmerie, Daven maintient ses déclarations : c’est bien Ludovic qui lui a proposé les iPad. Il est alors placé en détention provisoire le 21 avril en attendant son jugement qui devait avoir lieu le 8 juin.

Quand l’empreinte palmaire désigne le vrai coupable

Les choses auraient pu en rester là, si l’analyse de l’empreinte palmaire, dont on n’avait plus de nouvelles, revient avec une réponse qui déstabilise quelque peu les gendarmes. Ce n’est pas celle du présumé coupable qui ronge son frein en prison, c’est celle de Daven ! Interpellé, il finit par avouer qu’il est bien l’auteur du cambriolage. Reste le mystère du butin retrouvé près de chez Ludovic. La solution est toute simple et démontre tout le machiavélisme dont a fait preuve Daven. Lorsqu’il est sorti de la gendarmerie après avoir formellement reconnu sur photo Ludovic, il s’est empressé le soir d’aller planquer le sac contenant les iPad près de chez Ludovic, qu’il connaissait de réputation et aussi pour avoir œuvré ensemble peu de temps sur un chantier.

Les deux acteurs de cette histoire se sont donc croisés par visioconférence ce jeudi au tribunal. Ludovic a immédiatement été remis en liberté, remerciant au passage « le pénitencier qui m’a hébergé et nourri, ainsi que mon avocat », et indiquant qu’il allait porter plainte contre Daven. Il devra toutefois se rendre à son jugement qui a été programmé pour le 8 juin, ce qui ne sera qu’une simple formalité.

Quant au Machiavel local, il a été condamné à 12 mois de prison dont 4 avec sursis. De quoi lui donner à réfléchir sur le réquisitoire du ministère public : « Victor Hugo disait ‘ouvrez les portes des écoles et vous fermerez celles des prisons’, et bien lui il a ouvert les portes de l’école et celles de la prison. »