L’assemblée a adopté ce jeudi une loi du Pays élaborée par le gouvernement, censée rendre possible l’utilisation en Polynésie française du cannabis à des fins thérapeutiques. Mais le texte comporte des erreurs qui pourraient faire obstacle à son homologation, estime Nicole Sanquer dont la proposition de loi sur l’expérimentation, déposée il y a plus d’un an, n’a jamais été examinée. De quoi accuser le gouvernement de précipitation et d’électoralisme.
Il y a trois mois, lors de l’ouverture de la session budgétaire, Édouard Fritch partageait ses doutes sur le cannabis thérapeutique, parlant « d’effets pervers » et d’un nécessaire « débat de société » ainsi que de l’attente des résultats d’une étude menée par le Pays, avant de pouvoir proposer un texte. Et pourtant, ce jeudi matin à Tarahoi, le gouvernement présentait un projet de loi du Pays sur la modification de la classification des substances vénéneuses, qui permettrait au cannabis à visée thérapeutique, de la production à la commercialisation, de bénéficier d’un régime dérogatoire en Polynésie : si le code pénal s’applique au fenua, l’autorisation d’un « médicament » relève de la seule compétence du Pays. Mais le texte du gouvernement présente des défauts qui pourraient bien le faire annuler par la justice, insiste A Here ia Porinetia.
La représentante Tavini Éliane Tevahitua n’a pas manqué de souligner le « virage à 180° » du gouvernement et « l’opportunisme » de la démarche, accusant le Tapura de vouloir « tuer dans l’œuf » la proposition de loi de Nicole Sanquer sur l’expérimentation du cannabis thérapeutique, qui prend la poussière sans avoir jamais été inscrite à l’agenda des travaux de l’assemblée depuis son dépôt le 27 septembre 2021.
En début de séance, une question orale de Teura Atuahiva-Tarahu avait questionné la bonne foi du gouvernement lorsqu’il dépose des projets de loi « inopportuns » ou mal ciblés – taxe des « 1000% » sur les droits d’enregistrement, modification de la taxe de séjour et de la redevance touristique ou encore déplafonnement de l’ancienneté dans les entreprises – dont les points communs sont, selon la représentante non-inscrite, « à quelques mois d’échéances électorales importantes, précipitation et absence de concertation avec les professionnels et avec les partenaires sociaux. » Une analyse qui s’applique encore aujourd’hui à propos du cannabis thérapeutique, dit Nicole Sanquer. En réponse, le président du Pays a voulu voir dans ces tentatives la marque d’une démocratie vivace, même si elle peut donner lieu à des maladresses : « La majorité n’est pas une majorité godillot (…) » a-t-il affirmé.
Pour la présidente de A Here ia Porinetia, la loi du Pays sur le cannabis thérapeutique est une « déception » : « Ce texte n’a fait l’objet d’aucune consultation des acteurs locaux, des tradipraticiens, des patients eux-mêmes alors même que le président avait appelé à une large consultation. » Son groupe avait déposé plusieurs amendements visant à sécuriser le texte : selon elle, les définitions contenues dans l’article 1 sont entachées d’illégalité, et le texte pourrait être annulé par les tribunaux, comme cela avait été le cas en 2018.
« Le gouvernement légalise directement l’usage du cannabis thérapeutique mais ne passe pas par une phase d’expérimentation. Nous avons vu en commission législative qu le projet n’était pas mûr, que le ministre (de la Santé, ndr) ne pouvait pas répondre à nos questions sur les pathologies visées, sur la prescription, sur la distribution, tout ça est vague et d’ailleurs le ministre l’a dit aujourd’hui, si le projet de loi du Pays est voté aujourd’hui, son application pourrait être reportée à un an voire plusieurs années, dit Nicole Sanquer, puisque pour son application l’assemblée devra voter encore des délibérations et le conseil des ministres devra valider plusieurs arrêtés. »