Pour cette troisième et dernière journée du colloque sur le cannabis en Polynésie, la parole a été donnée à différents producteurs de cannabis thérapeutique, hors Polynésie française, afin qu’ils relatent leur expérience, les démarches administratives et les règles auxquelles ils sont soumis avant de pouvoir commercialiser leurs produits. Puis ce fut au tour du député Moetai Brotherson de présenter les prémices de la proposition de loi qu’il compte déposer. Une proposition de loi « participative » puisqu’il demande aux citoyens de l’enrichir.
Admettons pour acquise la légalisation du cannabis thérapeutique en Polynésie. Selon les estimations de certains, cela représenterait une manne financière non négligeable pour le Pays. Pour autant, est-ce-que le petit planteur local y trouverait son compte ? Est-ce que les 4% de foyers polynésiens, dont les revenus proviennent exclusivement de la vente de cannabis, ne seraient pas laissés au bord de la route, regardant de grands groupes étrangers ou locaux, se partager le space cake ? À l’écoute des témoignages d’entrepreneurs étrangers, c’est ce qu’il risque de se passer. Car on ne se lance pas dans la production et la vente de cannabis thérapeutique comme on plante et vend du cannabis au coin de la rue.
Si l’on prend l’exemple du Portugal, qui a autorisé la culture et la vente de cannabis thérapeutique sur son territoire, les conditions d’obtention d’une licence sont assez contraignantes. Vasco Bettencourt est le directeur des licences de l’Agence portugaise des médicaments et des produits de santé et lors de son intervention, il a détaillé les différentes phases afin d’obtenir la licence.
De la difficulté d’obtenir une licence : l’exemple du Portugal
Avant tout il faut montrer patte blanche, à savoir prouver votre fiabilité et celle d’éventuels investisseurs, mais aussi avoir déjà des clients. Puis démontrer la qualité de votre produit devant le ministère de la Santé et aussi les mesures que vous prenez pour assurer la traçabilité des plants utilisés, ainsi que pour la destruction des parties non utilisées de la plante. Sans compter la sécurité du lieu de production, gardiens, grillages etc… qui feront l’objet d’une inspection. Sans oublier l’emballage du produit qui doit être sécurisé de façon à ce qu’un enfant ne puisse l’ouvrir accidentellement et aussi qu’il assure la stabilité du produit durant au moins 6 mois. Tout un tas de contraintes qui font qu’entre la demande de licence, la soumission du dossier et l’obtention du précieux sésame, il se passe au minimum trois ans.
Autre embûche, avoir une qualité et des taux constants de THC ou CBD, maintenir le taux d’hydrométrie, maitriser la floraison et un tas d’autres paramètres. On comprend qu’en dehors de la culture sous serre ou indoor, point de salut. Et la culture indoor réclame des investissements relativement lourds, et un certain savoir-faire.
La Nouvelle-Zélande comme modèle
Le modèle dont pourrait s’inspirer les « pakaculteurs» locaux est celui de la Nouvelle-Zélande, notamment de l’entreprise Rua qui travaille uniquement en indoor. Celle-ci a été la première à obtenir une licence en 2018 pour produire et vendre du cannabis médical. Elle s’est créée sur la base d’un crowdfunding local qui a levé des fonds pour le lancement de la société, puis des investisseurs privés ont mis la main à la poche. Une fois montée, la société a embauché des cultivateurs du cru, car le but premier de l’entreprise est de stimuler le développement économique de la région de Tairawhiti où la pauvreté est de mise, et de s’assurer de la participation du peuple maori dans le développement de cette nouvelle industrie.
Selon Philippe Cathelain, directeur de l’Institut polynésien du cannabis, le modèle néo-zélandais serait le modèle à suivre, car il propose trois catégories de licence. L’une pour les grosses entreprises qui désirent produire en masse, l’autre pour la catégorie intermédiaire type coopérative ou « cannabis social club », et enfin la dernière pour l’autoproduction.
Une proposition de loi participative
Voila pour les possibilités, si jamais le cannabis thérapeutique est autorisé en Polynésie française. Mais pour cela, il faut une loi. « Une loi qui permettrait aux locaux de continuer à faire ce qu’ils font actuellement, à savoir se soigner avec le cannabis » dit le député Moetai Brotherson qui s’est chargé de présenter les prémices de la proposition de loi qu’il compte déposer. Une proposition de loi « participative » puisqu’il compte sur la population pour qu’elle apporte sa pierre à l’édifice.
Tout d’abord, l’expérimentation du cannabis thérapeutique serait limitée à la Polynésie française et dans le temps. L’Arass (Agence de régulation de l’action sanitaire et sociale), régulerait et encadrerait la production. Le système d’autoproduction serait exclusivement réservé pour la consommation personnelle, il resterait à définir combien de plants chacun serait autorisé à cultiver. Seuls des « cannabis health clubs » à but non lucratif seraient autorisés à produire du cannabis thérapeutique, à condition que celui-ci soit revendu à prix coûtant et uniquement à leurs membres. Quant au cannabis récréatif, il serait en vente dans des « cannabis legal clubs » qui eux pourront faire des bénéfices, mais ne pourront eux aussi vendre qu’à leurs membres.
Le député en appelle à la population pour que celle-ci apporte sa contribution et fasse des suggestions comme par exemple, l’âge légal pour se procurer du cannabis récréatif, le nombre de plants autorisé par personne etc… La proposition de loi devrait être déposée à l’Assemblée nationale courant février 2022.