Dans son dernier avis sur les mécanismes d’importation et de distribution, l’Autorité polynésienne de la concurrence (APC) s’intéresse longuement à l’organisation du fret et au fonctionnement du Port de Papeete par lequel passent plus de 90% des marchandises importées. Le port y est présenté à la fois comme trop petit mais suréquipé, les entreprises de manutention portuaire (ou acconiers) étant quant à elles trop nombreuses, mais sans réelle concurrence entre elles.
En matière de transport de fret, le constat est abrupt. Les compagnies maritimes n’ont que peu d’intérêt à desservir en ligne directe avec des gros porte-containers la Polynésie française, « en raison de son faible poids économique, du déséquilibre des flux (les bateaux sont contraints de repartir quasiment à vide) et de l’impossibilité pour le port de Papeete d’accueillir les plus gros navires ». Les compagnies, qui ne peuvent donc pas faire d’économies d’échelle, se bousculent donc de moins en moins à l’entrée de la passe de Papeete, avec notamment la fin des rotations de la compagnie Seatrade en 2018. De surcroît, la principale compagnie qui dessert désormais Tahiti en provenance d’Europe « refuse de négocier les prix du transport et modifie régulièrement ses tarifs (…)» à la hausse. Quelles sont alors les solutions possibles pour améliorer cette « infrastructure essentielle du territoire, dont l’accès non discriminatoire et à un prix raisonnable est indispensable » ?
Pour l’APC c’est #balancetonport
La Polynésie se trouve donc face à un choix stratégique, soit en agrandissant le port pour devenir un véritable hub entre les Amériques et l’Océanie, soit en faisant le choix de rester un petit port régional, à l’écart des lignes principales et desservis par des plus petits cargos (ou feeders) depuis le hub d’Auckland principalement. C’est ce dernier mode de fonctionnement, qui s’appelle la feederisation, qui est actuellement privilégié même si le circuit d’approvisionnement est de facto plus long.
Pour l’APC, le port de Papeete n’est donc plus adapté aux flux mondiaux et à la taille croissante des navires, et cette inadaptation manifeste ne permet pas d’assurer une bonne maîtrise des coûts de transport des produits. Il faut donc pour l’autorité réaliser les aménagements du Port de Papeete nécessaires pour permettre aux compagnies maritimes de réaliser des économies d’échelle et ainsi d’assurer la pérennité de la liaison directe. Une adaptation du port qui peut passer par plusieurs scénarios (approfondissement du quai actuel, agrandissement de la passe et augmentation du tirant d’eau, déplacement du port…) mais qui nécessitera dans tous les cas des investissements très lourds.
En 2016, le directeur du Port expliquait pourtant qu’ « il faut voir si cette feederisation apporte effectivement des surcoûts et des délais comme tout le monde l’annonce ». Et de rappeler d’une part qu’ « à La Réunion, on a un exemple où la feederisation a fait baisser les coûts parce que sur la chaîne logistique globale, mettre de très gros bateaux peut coûter plus cher » et que, d’autre part, l’adaptation du port couterait entre 10 et 25 milliards de francs selon l’option envisagée. Loin d’être une goutte d’eau dans l’océan donc.
Sur le fonctionnement du Port, l’avis de l’Autorité cite abondamment le rapport de la CTC de septembre 2018 sur l’incohérence des recettes perçues par cet établissement public, notamment la faiblesse des redevances d’occupation du domaine portuaire et surtout la taxe de péage. Avec cette taxation substantielle, quasi-unique dans le monde, les charges de fonctionnement de l’infrastructure portuaire sont élevées et il est recommandé « d’examiner les pistes de développement des recettes du Port pour éviter que le coût ne se répercute sur les importations et in fine sur les prix pour le consommateur ».
L’APC favorable à un monopole dans le secteur de l’acconage
L’APC pointe également « le coût élevé de l’acconage, qui bénéficie à la fois de tarifs réglementés et de la présence d’un oligopole protégé (donc non contestable par un tiers) ». En effet, trois sociétés d’acconage sont actives sur le port de Papeete, chacune disposant de ses propres grues et autres appareils destinées aux opérations de manutention portuaire. Il s’agit de Cowan, Sat Nui et Cotada. Pour l’autorité, cet oligopole est une aberration car « dans beaucoup de ports de cette taille, on trouve un seul acconier, qui – après mise en concurrence pour la délégation de service public – gère le terminal dans son ensemble ». De fait, leurs équipements, « qui ne sont que rarement actifs en même temps, compte tenu de la taille du quai qui ne peut pas accueillir plusieurs navires de grande taille en même temps, peuvent ainsi apparaître surdimensionnés » avec une incidence directe sur le coût du levage et une répercussion sur les prix payés par les consommateurs. De surcroit, « les compagnies d’acconage s’appuient sur leurs coûts pour demander des hausses des tarifs, alors que ces coûts pourraient être réduits et la gestion rationalisée ».
Selon l’autorité, cette gestion rationalisée passe par le transfert au Port de la responsabilité de la réalisation des investissements dans les infrastructures d’acconage, infrastructures qui seraient par la suite mises à disposition d’un délégataire contre paiement d’une redevance qui constituera donc une recette nouvelle pour le Port. Mais comment choisir ce délégataire unique ? En assurant une mise en concurrence des prestataires à l’occasion du prochain renouvellement de la convention, selon l’APC.
Une pilule qu’il faudra faire passer aux principaux intéressés qui ont fait des investissements très lourds il y a peu, et qui doivent les amortir sur plusieurs décennies. Cowan a en effet bénéficié en novembre 2018 d’un agrément fiscal pour l’acquisition de nouveaux équipements (grue, tracteur et remorques) destinés à la manutention des containers, pour un montant global d’investissement d’un demi-milliard de Fcfp et Sat Nui a bénéficié du même dispositif deux ans plus tôt pour l’acquisition d’une grue géante pour un montant de 400 millions. Une pilule qu’il faudra également faire avaler aux syndicats, toujours prêts à des mouvements sociaux pour la préservation des emplois sur les quais de Motu Uta.
Des recommandations, sur le fonctionnement du port et de la manutention portuaire, qui jonglent donc avec des investissements de plusieurs milliards alors que, selon l’APC, « les coûts d’approche en général et le fret en particulier ont une incidence relativement modérée sur le prix des produits », puisque qu’ils ne représenteraient que 8% du prix public d’un produit vendu en Polynésie.