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Concurrence : le temps d’agir enfin ?

Dernier volet consacré à l’avis de l’Autorité polynésienne de la concurrence (APC) sur les mécanismes d’importation et de distribution. Les 46 recommandations étant désormais posées sur la table, reste à connaitre la position et la capacité du gouvernement à les mettre en œuvre pour lutter contre la cherté de la vie. Le Pays a déjà donné un avant-goût de son opinion dans un communiqué qui réclame à l’APC « moins de polémiques et plus de résultats ».

Nous l’avons vu dans les précédents articles, les constats effectués par l’APC au terme de cette instruction de près de quatre ans ne sont pas nouveaux. Ils sont le fruit de la compilation de données déjà parues de l’ISPF et l’IEOM et des nombreux rapports et études faits depuis une décennie, que ce soit sur le fonctionnement de l’économie, sur les conséquences des politiques publiques du Pays, et sur les effets des réglementations adoptées. Le rapport Tefaarere de 2011 pointait ainsi du doigt les mécanismes de formation des prix et des marges, et l’étude de l’ISPF montrant que la Polynésie française est 39% plus chère que la métropole date de juin 2016. Le document établi par l’APC a le mérite de les mettre tous en parallèle dans une analyse sur la faible concurrence en Polynésie. Comme pour les rapports précités, l’autorité n’aura que peu de mal à convaincre le consommateur polynésien très réactif sur le sujet. Reste surtout à sensibiliser les décideurs publics et privés.

La stigmatisation des marges

L’approche choisie par l’APC pour la valorisation de son travail a été de mettre en avant l’importance de la marge commerciale pratiquée par les importateurs et les détaillants. Elle correspond à la différence entre la valeur d’achat de marchandises et la valeur de leur vente, une différence avec laquelle les entreprises doivent régler les autres charges auxquelles elles font face (personnel, stockage, transport, électricité, carburant, emprunts et intérêts…). Largement repris dans les médias et commenté sur les réseaux sociaux, l’examen détaillé de la structure de coût des produits opéré par l’APC lui permet ainsi de pointer du doigt « la marge commerciale des distributeurs (importateurs-grossistes et détaillants) qui représente la plus grande part du prix total (44 %) » et de conclure que « l’éloignement et l’isolement de la Polynésie française ne suffisent donc pas à expliquer la totalité des surcoûts ». Un sous-entendu que l’APC illustre notamment, tableau de l’IEOM à l’appui, en indiquant que « globalement, la situation financière des importateurs-grossistes est plutôt favorable et dynamique », « les taux de marge en particulier ont tendance à s’améliorer et à se situer à des niveaux légèrement supérieurs à ceux de métropole ». Cependant, reproduit dans son intégralité, le tableau aurait surtout montré qu’en Polynésie le poids des stocks est deux fois plus élevé et le taux d’endettement financier est trois plus élevé qu’en métropole, soit d’évidentes charges rognant sur les marges.

Une réalité économique plus complexe

Une méthode et un exercice de stigmatisation qui semblent donc omettre de prendre en compte une réalité économique plus complexe. Nul doute que les entreprises visées sauront comme souvent rappeler aux décideurs publics, légitimement ou non, les difficultés rencontrées dans leur activité économique, ravivant ainsi le débat entre l’APC et le gouvernement sur l’influence des lobbies. Encore faut-il que le gouvernement se penche sur le dossier, la présidence ayant récemment demandé à l’APC « plus de résultats et moins de polémiques ».

Concurrence ou contrôle des entreprises ?

Au delà de la stigmatisation des marges, les recommandations de l’autorité laissent entrevoir une volonté d’administrer l’économie autrement. Reprenant ses précédents travaux notamment sur les PPN et le transport inter-insulaires, l’APC revient logiquement à la charge sur l’inanité de la réglementation sur les prix et sur l’intérêt d’étudier les effets sur la concurrence dans l’attribution d’une défiscalisation. Le gouvernement s’est déjà exprimé en avril dernier contre toute révision du dispositif des PPN et, comme nous l’avons vu, a d’ores et déjà fermé la porte à d’autres propositions.

Plus intéressant, bon nombre des recommandations visent à densifier la main mise du Pays sur l’économie. Ainsi, alors que de nombreux acteurs économiques se plaignent de la lourdeur des procédures administratives, des taxations et des obligations réglementaires de toutes sortes (dépôt des prix, restrictions sanitaires, demandes de quotas…), certaines recommandations vont dans le sens d’un interventionnisme accru comme« contrôler de manière rigoureuse les prévisions de production et leur réalisation effective » ou « contrôler de manière plus attentive le prix de revient des productions agricoles ». Dans la même veine, l’APC souhaite également développer la constitution de réserves foncières par le Pays ou les communes pour le développement d’activités productives, et que soient mises en œuvre des règles strictes, transparentes et concurrentielles dans l’attribution de ces espaces, examiner la possibilité de mettre en place des espaces de stockage mutualisés, favoriser la mutualisation des petits acteurs notamment au travers de coopératives et doter les associations de consommateurs de pouvoirs très larges. Une approche collectiviste de l’économie polynésienne qui a, traditionnellement et paradoxalement, plus de chances de trouver écho auprès des décideurs publics à l’approche des prochaines élections.

La réaction du gouvernement

C’est notamment la partie sur les importations exclusives qui semble avoir fait sortir le gouvernement de ses gonds. « Moins de polémiques etPlus de résultat , » demande le gouvernement, qui n’a pas apprécié d’être mis en cause dans l’avis de l’APC. Dans le chapitre consacré aux exclusivités d’importation, l’APC laisse entendre que le Pays a cherché à porter atteinte à ses missions essentielles avec la loi du Pays du 9 aout 2018 qui autorisait à nouveau ces exclusivités, trois ans après avoir pris un texte qui les restreignait.

Depuis, dit le gouvernement dans un communiqué diffusé hier, « le président de l’APC n’a cessé de communiquer autour d’une prétendue perte d’indépendance et de l’affaiblissement de ses pouvoirs de pilotage des règles de concurrence. » Or cette charge est sans fondement, dit le Pays, qui rappelle que la réglementation a été validée par le Conseil d’État et qu’elle est « conforme aux règles généralement en vigueur dans le reste du monde, » même si ce n’est pas le cas en Nouvelle-Calédonie et en France, taxées d’interventionnisme par le communiqué. L’APC, dit le gouvernement, dispose de « tous les outils nécessaires à la recherche et la sanction des pratiques anticoncurrentielles et à lutte contre la vie chère, et dispose pour se faire d’un budget de 185 millions de Francs, soit 30 millions de plus que son homologue calédonienne. »

L’avis de l’APC dans son intégralité et le communiqué de la présidence sur cet avis :

Avis Mecanismes Importations Distribution by Fred Ali on Scribd

Communiqué — Point Sur Autorité Polynésienne de La Concurrence by Fred Ali on Scribd

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