La Commission consultative de suivi des conséquences des essais nucléaires, seul tour de table qui rassemble des représentants de l’État, du Pays et des associations, s’est réunie ce matin en visio-conférence, sous la présidence du ministre de la Santé, Olivier Véran. Le plus gros point à l’ordre du jour était le rapport de l’Inserm, qui pose plus de questions qu’il n’apporte de réponses.
Édouard Fritch a été le premier à prendre la parole, pour rappeler que les conséquences des essais nucléaires en Polynésie restent « le caillou dans la chaussure » des relations entre la métropole et le fenua, dont les habitants se sentent « violemment et constamment agressés dans notre chair par les 193 tirs » : « L’État français, responsable du fait nucléaire, reste débiteur envers la Polynésie française et doit à tous les Polynésiens vérité, justice et respect. » Le président du Pays a salué l’action du président sortant du Civen, Alain Christnacht, et son courage d’être venu à plusieurs reprises, « en dépit d’attaques violentes ». Touché par la limite d’âge, il est remplacé à compter du 2 mars prochain par Gilles Hermitte, conseiller d’État, par ailleurs président de la cour administrative d’appel de Lyon.
Le rapport d’activité 2020 du Civen indique que depuis 2010, 584 dossiers ont été admis, et 485 ont donné lieu à des ordres d’indemnisation, dont 144 en 2020. Au total, 7 millions d’euros (835 millions de Fcfp) ont été versés de 2010 à 2017, et plus de 10 millions d’euros (1, 2 milliard de Fcfp) de 2018 à 2020.
« Nos populations se sentent prises pour quantité négligeable »
Édouard Fritch s’est montré agacé d’avoir été informé de la parution de ce rapport « en même temps que le grand public » et a regretté de ne pas avoir eu le temps de prendre connaissance du rapport complet de 600 pages (il sera mis en ligne dans son intégralité demain, 24 février, sur le site de l’Inserm). Car ce rapport aurait été terminé en juillet dernier et transmis à son commanditaire, le ministère des Armées. « Je m’interroge sur ce qui a pu conduire à un tel contretemps. Le ressenti qui découle de ce contretemps de communication, c’est que nos populations concernées se sentent prises pour quantité négligeable, » a déclaré Édouard Fritch. « Un climat ancien de déni teinté parfois de condescendance ou d’indifférence » qui fait douter de la sincérité de la France, a appuyé le président.
Trois conclusions retenues par Édouard Fritch
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Des pathologies encore non reconnues comme radio-induites
L’épidémiologiste Florent de Vathaire, qui fait partie du collège d’experts de l’Inserm, a souligné que les recherches récentes sur les rayonnements ionisants montrent, outre les effets connus – réactions tissulaires comme les dermites, et cancers radio-induits – un effet de vieillissement accéléré, une « radio dégénérescence dont les mécanismes fondamentaux commencent à faire l’objet d’études approfondies ». Florent de Vathaire a poursuivi en disant qu’on pouvait considérer que « la quasi-totalité des cancers peuvent être induits par les rayonnements ionisants », qui pourraient aussi être à l’origine d’autres pathologies, notamment cardio-vasculaires, au-delà d’un certain seuil. Une intervention à laquelle Olivier Véran a coupé court, prétextant un conseil de défense à l’Élysée auquel il devait assister, mais qui a retenu toute l’attention du député Moetai Brotherson.
Un avis qui fait écho à une demande ancienne de l’Aven, sur les cancers du pharynx, du pancréas, de la prostate, et de la thyroïde avec des seuils inférieurs à ceux ouvrant droit à indemnisation aujourd’hui. Comme le président de l’assemblée de la Polynésie, Gaston Tong Sang, le député a rappelé l’importance de résoudre la question du remboursement à la CPS des frais engagés pour les traitements des cancers radio-induits.
La question des micro-dosages
Des études récentes dont fait état l’Inserm, postérieures à la loi Morin, concernent les effets d’exposition répétée à des microdosages de radiations, notamment sur des pathologies cardio-vasculaires et des cataractes. « C’est aussi une possibilité d’extension du dispositif de la loi Morin », dit Moetai Brotherson.
La question de la transmission transgénérationnelle
Le rapport de l’Inserm botte en touche, car selon les chercheurs les seules études dont on dispose (émanant de pays étrangers) ne semblent pas confirmer de conséquences transgénérationnelles, et la taille des populations concernées en Polynésie ne permet pas d’établir de modèle scientifique. « C’est une contrainte, estime Moetai Brotherson, mais ce n’est pas une impasse. Il ne faut pas en faire une excuse pour ne pas mener ces études chez nous. Il faut que les scientifiques se mettent au travail et peut-être définissent une nouvelle méthodologie qui permette de faire ce type d’études en tenant compte des spécificités du modèle polynésien. » Même réaction de Nicole Sanquer, qui avait déjà écrit au Premier ministre pour demander un programme d’étude prioritaire sur le sujet.
Le député Tavini a également, dans son intervention, souligné l’absence de traitement des conséquences environnementales, et « cette nécessité de lancer enfin une grande entreprise de dépollution à Moruroa pour retirer les déchets qui sont enfouis. Là aussi le ministre n’a pas fermé la porte, alors évidemment lui, il est ministre de la Santé, ce sont des discussions qu’il va falloir avoir avec ses collègues. »
Le président Fritch a constaté pour finir : « Vingt-cinq ans après les derniers tirs, alors que les témoins disparaissent, nous devons imaginer à cet instant d’autres moyens et méthodes afin de compenser les dommages causés aux Polynésiens par ces essais atomiques. »