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Corée du Sud: rêves de gloire dans les pépinières à champions du jeu de go

Séoul (AFP) – La vie de Cho Sung-bin n’a rien à voir avec celle des autres préadolescents sud-coréens: ses journées, il les passe l’oeil rivé sur une planche constellée de pierres noires et blanches, avec l’ambition de devenir un pro du jeu de go.

« C’est amusant. Je n’en ai jamais marre », explique Cho, 12 ans, dans une salle d’entraînement de l’école Lee Se-Dol de Séoul, où tous rêvent d’un destin comparable à celui qui a donné son nom à l’établissement, aujourd’hui unique star mondiale de ce jeu ancestral.

A 33 ans, le sud-coréen Lee Se-Dol a 18 titres internationaux à son tableau de chasse et domine la discipline depuis une décennie. 

Pourtant, c’est sa défaite mi-mars contre le programme d’intelligence artificielle (IA) AlphaGo qui lui a conféré une renommée planétaire, tout en contribuant à faire connaître ce jeu né en Chine voici 3.000 ans mais également très populaire au Japon et en Corée du Sud.

Sur le papier, le go est simple: deux adversaires placent tour à tour des pierres noires et blanches sur un plateau carré quadrillé par 19 lignes. Celui qui capture le plus grand territoire gagne.

Dans les faits, les stratégies pour l’emporter sont d’une complexité telle qu’il existe, dit-on, plus de configurations possibles qu’il n’y a d’atomes dans l’univers.

« Le go n’est pas qu’un loisir. C’est un art et une philosophie autant qu’un sport », estime le joueur professionnel Seo Kon-Woo.

– « Talents repérés à cinq ou six ans » –

Parmi les adeptes du go, des hommes politiques et des hommes d’affaires qui voient dans cette discipline des similitudes avec le monde impitoyable dans lequel ils travaillent.

Le jeu passe en outre pour être un excellent moyen de renforcer la concentration chez les plus jeunes. A tel point que des centaines d’écoles proposent des formations dans le pays. Pour les plus doués, le go peut même offrir une carrière.

« Beaucoup de talents sont repérés à cinq ou six ans et deviennent pro avant même leurs 12 ans », explique Kim Jung-Youl, directeur de l’école Lee Se-Dol.

La Corée du Sud compte environ 300 joueurs professionnels certifiés. Les meilleurs gagnent des millions de dollars. 

Les autres peuvent vivre du jeu en enseignant leur science et grâce aux primes des tournois. Des dizaines de compétitions sont organisées chaque année en Corée du Sud, au Japon ou en Chine.

Entrer dans le club fermé des pros implique une dizaine d’années d’entraînement. L’Association coréenne, qui n’accepte que 15 nouveaux membres par an, estime à un millier le nombre d’enfants s’entraînant actuellement dans des écoles spéciales dans l’espoir de devenir pro.

« Il est quasiment impossible de passer pro après ses 20 ans », explique M. Kim.

Alors, à l’instar de Cho Sung-bin, il faut pour réussir sacrifier son adolescence à l’entraînement avant que l’âge n’en décide autrement.

C’est pourquoi il y a deux ans, lorsqu’il avait 10 ans, Cho a supplié ses parents de le laisser se mettre en disponibilité de son école normale pour tenter le pari de l’institut de Lee Se-Dol. 

Il ne regrette pas d’avoir quitté sa maison à 330 km au sud de Séoul pour un pensionnat où il partage son dortoir avec des dizaines d’autres jeunes joueurs.

– Pression et dépression –

« Au début, je ne pensais rester ici que pendant les vacances scolaires, mais jouer au go est tellement chouette, tellement mieux que les jeux vidéos », explique-t-il.

Cho a fait un grand pas en intégrant l’antichambre du monde professionnel, une ligue « élite » de 132 joueurs classés.

Les meilleurs sont en lice pour le statut de professionnels, mais les moins bons – ou ceux qui ont 19 ans – risquent d’être relégués et remplacés par de nouveaux espoirs.

La pression est telle que Jo Min-Soo a frôlé la dépression quand il a intégré l’élite à 12 ans. « Je ne pouvais gérer le stress et je jouais mal », raconte ce jeune âgé aujourd’hui de 18 ans, qui a été évincé de la ligue avant d’y être réadmis de nouveau.

Les stars ne sont pas à l’abri. A 12 ans, le grand Lee Se-Dol a souffert d’aphasie temporaire, ce qui l’a quasiment privé de la parole. En tentant de forcer ses cordes vocales, il les a endommagées de manière permanente, de même que ses bronches, et aujourd’hui, sa voix est stridente et haut perché, ce qui reste pour lui un traumatisme profond.

Jo, qui rêve depuis ses six ans d’être pro, a abandonné l’école à 2013 pour se consacrer au jeu. Mais du haut de ses 18 ans, il sait que le temps pour lui est compté, ce que lui rappelle chaque jour sa colocation en dortoir avec des « jeunots » comme Cho.

« Comparé à eux, je suis trop vieux, ce qui me déprime », confie-t-il. « Je me suis lancé par amour du jeu, mais maintenant je doute. En même temps, c’est la seule chose que je sache faire. »