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Coût, carbone, intérêt… La réunion de la francophonie à Tahiti fait débat à Paris


Fin janvier, Tarahoi recevait en grande pompe le bureau de l’Assemblée parlementaire de la francophonie, en présence d’une soixantaine d’élus nationaux et internationaux. Un déplacement qui interroge une chaîne nationale ainsi que des parlementaires d’opposition français : coût des billets « en business », impact écologique du choix de la Polynésie, mais aussi intérêt réel d’un si « beau voyage ». Pour Gaston Tong Sang, côté organisation, l’investissement vaut son prix.

Lire aussi : Francophonie : Gaston Tong Sang s’engage vers un accord parlementaire avec le Gabon

Ça n’est pas la première fois que les réunions de l’Assemblée parlementaire de la francophonie (APF) interrogent en Europe. En tout début d’année, c’est la presse belge qui épinglait certains de ses parlementaires sur leurs voyages « qui donnent le tournis » au Rwanda, à Maltes, ou, déjà à Tahiti, et sur « l’opacité » de cet organisme qui rassemble les chambres législatives des pays de la francophonie. Ce vendredi, c’était au tour d’une chaîne nationale, France Info, de s’interroger sur les déplacements de certains députés et sénateurs dans le cadre de l’APF. Et tout particulièrement leur déplacement au fenua, les 30 et 31 janvier pour la réunion semestrielle du « bureau » de l’organisation. Un évènement porté avant tout par le président de l’assemblée polynésienne Gaston Tong Sang, qui dès 2019 et l’adhésion du Pays à l’APF, dont il est rapidement devenu un des vice-présidents, avait demandé à recevoir ses collègues du monde entier à Tarahoi.

Le choix de Tahiti avait été dument avalisé par le bureau de l’APF, mais en métropole il ne semble pas aller de soi. « En pleine crise énergétique et débat sur les retraites », la réunion de deux jours « à 16 000 kilomètres de Paris », « soit près de six tonnes d’émission de CO2 en avion », et le prix des billets en « business class » interroge. France Info, qui a publié une enquête sur le sujet vendredi, note que l’APF, financée par ses 90 assemblées membres, de même que sa section française, gardent une certaine « opacité » sur le coût des déplacements des élus. C’est d’ailleurs aussi le cas de la Polynésie : le financement des voyages liés à la francophonie – dernier en date, la participation de Gaston Tong Sang à l’assemblée régionale Asie-Pacifique de l’APF au Vietnam, début décembre – ne font pas l’objet de communication particulière. Mais la chaîne française relève aussi que les résolutions, projets et « alertes » de l’APF, en matière de « promotion de la démocratie », de changements climatiques, ou bien sûr de francophonie, ne sont « jamais médiatisés et ne semblent avoir que très peu de portée ». Bref, à quoi bon se déplacer « si loin » pour les voter, si ce n’est pour faire de « beaux voyages » ?

La francophonie pour contrer le mouvement indépendantiste ?

Le chef de file de la délégation parisienne présente à Tarahoi fin janvier, Bruno Fuchs, a répondu à ces critiques. « L’absence de la France aurait été tout simplement inconcevable, cela aurait provoqué une défiance fatale à l’institution” explique le député Modem, proche de la majorité d’Emmanuel Macron et aussi secrétaire général de l’APF. Il explique qu’avec trois parlementaires et un assistant présents (un autre aurait refusé « pour des raisons déontologiques », précise France Info), la délégation nationale était « réduite au minimum ». Un argument déjà développé au micro de Radio1 fin janvier :

Bruno Fuchs élabore sur l’intérêt diplomatique, culturel et stratégique des échanges de la francophonie. Et précise à France Info, de manière plus étonnante, que la réunion du bureau de l’APF à Tahiti se justifiait aussi par « la perspective des prochaines élections territoriales sous pression du mouvement indépendantiste » dans le pays. Pas de quoi convaincre certains de ses collègues parlementaires d’opposition : « l’Assemblée parlementaire de la francophonie ne doit pas se présenter comme un truc de vieux notables qui voyagent” lâche le député Nupes Aurélien Taché, qui n’avait pas eu vent, comme beaucoup d’autres, de ce déplacement. « C’est ahurissant ! J’étais totalement opposée à ce voyage coûteux et qui n’est pas éco-responsable, réagit à son tour l’ex-sénatrice socialiste Claudine Lepage, toujours au micro de France Info. Je l’ai dit lors du bureau. Mais j’étais seule et je n’ai pas du tout été suivie ». 

Gaston Tong Sang lors d’une réunion au Vietnam entre fin novembre et début décembre. Certains élus avaient dénoncé un voyage à l’intérêt critiquable dans un contexte d’activité parlementaire tendue au fenua.

« 8 à 9 millions » pour l’organisation

Côté Polynésien, en revanche, l’accueil en grande pompe de la délégation de l’APF n’a pas fait beaucoup réagir. Tarahoi avait pourtant mis en place un protocole particulièrement soigné, en présence de membres du gouvernement, du Haut-commissaire Éric Spitz mais aussi d’élus d’opposition, comme Moetai Brotherson, présent à la cérémonie d’ouverture – pour recevoir les représentants de la douzaine de pays et territoires membres du bureau, du Québec au Vietnam en passant par le Gabon. La Polynésie, en tant que pays hôte, a aussi payé le séjour de certains responsables de l’APF, dont le secrétaire général Bruno Fuchs, justement. Interrogé le 31 janvier sur le coût de cette organisation, Gaston Tong Sang a estimé qu’il pesait « beaucoup moins que les bénéfices » qui sont tirés de l’évènement. « Ça représente 8 ou 9 millions de francs », a-t-il précisé. Un chiffre difficile à vérifier, mais qui est « à la portée » du budget de l’assemblée, insiste son président : « on n’a sacrifié aucune autre action pour ça ». L’élu Tapura estime aussi qu’entre les dépenses sur place des autres membres du bureau de l’APF, dont les assemblées respectives financent le séjour, et les retombées en termes de réputation et de tourisme, « la Polynésie s’y retrouve très largement » :

Gaston Tong Sang, qui a signé un pré-accord de partenariat parlementaire avec le Gabon lors de ce bureau, semble déterminé, si il reste à la tête de l’assemblée, à poursuivre si ce n’est intensifier la participation de la Polynésie aux travaux de la francophonie. Il s’agit, en plus de l’APF, et comme l’avait rappelé Édouard Firtch à Tarahoi, d’obtenir le statut de membre associé au sein de l’OIF, organisme « exécutif » de la francophonie. Des instances de coopération synonymes de déplacements futurs pour les élus polynésiens… et donc de frais. Une source d’inspiration pourrait venir de la Belgique : d’après France Info, un texte astreignant l’assemblée bruxelloise à publier de façon systématique la liste et le coût des voyages de chaque élus est en préparation. Certains voudraient y ajouter « l’interdiction de voyager en business class ».

 

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