Le Covid-19 est un terreau favorable pour les dérives sectaires. C’est l’un des constats du rapport commandé par Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’Intérieur, en charge de la Citoyenneté, en octobre dernier. Certains gourous nient l’existence du virus, quand d’autres prétendent soigner leurs adeptes avec des prières. La Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) a reçu plus de 3.000 signalements l’an dernier, soit une une hausse de 7% par rapport à 2019, qui s’explique en partie par les peurs que génère la pandémie mondiale.
La contestation des mesures sanitaires comme accroche
En effet, près de 40% de ces signalements concernent le domaine de la santé et du bien-être. Plusieurs gourous, déjà installés dans le paysage de la médecine alternative, se prononcent aujourd’hui contre le port du masque ou contre la vaccination. C’est notamment le cas du Belge Jean-Jacques Crèvecœur, qui réunit 300.000 abonnés sur Facebook, et qui prétend dénoncer un complot autour de la 5G, à l’origine selon lui de l’apparition du virus.
D’autres mouvements interprètent la crise sanitaire comme une préfiguration de l’apocalypse. Comme le réseau Femme internationales Murs brisés, que Jeanne a quitté il y a quelques années : « Pour eux, la fin du monde est imminente. Ils voient dans le coronavirus la confirmation physique qu’il y a un changement du cours des choses », rapporte-t-elle auprès d’Europe 1. « Plus que jamais, ils mettent en avant l’incapacité des gouvernements, voire même leur volonté de nuire à l’individu. » Cette association est actuellement dans le viseur de la Miviludes.
Arnaques et extorsions
Le repli que provoque ces organisations chez les adeptes est facilité par le fait que certaines personnes se sentent particulièrement vulnérables en ce moment, isolées par la crise sanitaire et ses répercussions économiques. Les méthodes et techniques pour les approcher ont évolué. Le porte-à-porte a laissé place à des lettres manuscrites, directement déposées dans les boîtes aux lettres. Des stages en visioconférence et des soins à distance sont parfois proposés, le tout à des tarifs exorbitants (jusqu’à 100.000 euros pour un coaching individualisé sur deux ans).
Le commissaire Éric Bérot, patron de l’Office central de répression de la violence aux personnes, dispose d’un service dédié aux dérives sectaires, dont les enquêtes ont doublé l’an dernier. « On a vu, depuis le confinement, apparaitre une série de nouveaux gourous, coachs de vie, en développement personnel, guides spirituels, naturopathes… Parmi ces gens-là, il y a surement des personnes très bien, mais d’autres aussi qui sont plus dangereuses », explique-t-il auprès d’Europe 1. « Ce sont des enquêtes longues et compliquées à réaliser, elles peuvent durer deux, trois ou quatre ans, voire plus, avec des centaines d’auditons pour prouver l’abus de faiblesse d’une personne en état de sujétion psychologique. »
Des gourous dont l’audience s’élargit de plus en plus grâce aux réseaux sociaux
Autre particularité de la crise sanitaire, nous souligne une enquêtrice de la gendarmerie référente national « emprise mentale », c’est que la plupart de ces individus collaborent désormais en ligne. « En 2020, les gourous thérapeutiques se connaissent tous, s’envoient des patients, organisent des webinaires ensemble pour dénoncer le confinement, le port du masque ou la vaccination. »
L’audience toujours plus importantes de ces gourous est un autre élément d’inquiétude pour les autorités. Le youtubeur Thierry Casanovas, aux 520.000 abonnés, a déjà dépassé le million de vues. Sans aucune formation médicale, ce Français incite ses adeptes à jeuner et à ne consommer que des aliments crus. Il est visé par une enquête pour mise en danger de la vie d’autrui.
La réponse du gouvernement
Face à ce constat, le gouvernement national entend faire de la lutte anti-sectes un combat politique. Pour le mener, Marlène Schiappa compte bien transformer ce qui était jusque-là un simple outil, la Miviludes, en une arme. « Ma volonté, c’est que dès qu’il y a un signalement à la Miviludes, désormais, il puisse donner lieu à une enquête de justice, si ce signalement est sérieux », a annoncé la ministre jeudi sur Europe 1.
La Miviludes, longtemps gérée par Matignon comme un dossier parmi d’autres sur le bureau du Premier ministre, a donc atterri place Beauvau. « La Miviludes est désormais placée sous mon autorité, au ministère de l’Intérieur. Nous la renforçons », a précisé Marlène Schiappa. « J’ai créé un conseil d’orientation de la Miviludes que j’installe avec des personnalités reconnues du sujet. Et je nomme une magistrate à sa tête, Hanène Romdhane, qui va avoir pour mission de diriger les services de la Miviludes et d’assurer un lien plus étroit avec la justice. »
Et pour muscler encore plus ce bras politique, la ministre promet plus de moyens et une meilleure collaboration entre ministères : des agents de Bercy lutteront par exemple contre les détournements d’argent, très pratiqués par les sectes. Dans une circulaire, Marlène Schiappa en appelle aussi à la vigilance des préfets pour qu’ils signalent les dérives. « Ça faisait des années qu’aucune instruction n’avait été donnée au préfet sur ce sujet. Désormais, nous leur demandons d’être très vigilants, notamment eu égard à la pandémie et aux dérives qui peuvent en découler. »
Politiquement, la Miviludes devient aussi un dispositif de lutte contre les séparatismes, alors que le texte de loi « confortant le respect des principes de la République » est toujours en cours d’examen au Parlement. « Dans ce projet de loi, nous avons adopté un motif supplémentaire de dissolution d’associations quand il y a atteinte à la dignité des personnes, ce qui est typiquement caractéristique des groupes sectaires. »