Lauréat d’un appel à projets du gouvernement fin avril, la plateforme de covoiturage Wigo est désormais opérationnelle. l’application permet de mettre en contact les conducteurs qui ont de la place avec des passagers prêt à monter sur leurs trajets, et de calculer une modeste « participation aux frais ». Les responsables du projet visent 25 000 utilisateurs à terme, mais espèrent déjà pouvoir former rapidement une petite communauté qui les aideront à parfaire l’outil avant la rentrée. Mais leur objectif – et leur business model – c’est surtout de convaincre des entreprises de créer des « budgets mobilité » pour financer une partie des trajets de leurs salariés.
Lire aussi : le Pays mise sur le covoiturage… En attendant les voies de bus et les pistes cyclables
« Payez moins, parlez plus » dans vos trajets. C’est une des promesses de l’application Wigo, opérationnelle depuis quelques jours dans sa version polynésienne. Lancée par le fondateur d’Hello Scoot’ et un partenaire qui a déjà développé l’outil pour la Nouvelle-Calédonie, la plateforme de covoiturage avait remporté, fin avril, l’appel à projets lancé par le Pays et les 49 millions de francs de subventions qui vont avec. Depuis, ses concepteurs ont dû retravailler leur appli pour la faire coller au cahier des charges imposé par les autorités, l’adapter à la Polynésie, en intégrant le reo Tahiti et en prenant en compte la géographie du pays, riche en îles et en servitudes, mais pauvre en adresses formalisées, prendre contact avec de potentiels partenaires… Aujourd’hui Wigo est prêt à se lancer au fenua, et avant même le début de la campagne de communication, 600 utilisateurs ont déjà téléchargé l’application sur Android ou iOS.
Retours d’usagers et appli fin prête pour la rentrée
Une bonne nouvelle pour ses promoteurs qui comptent bien sur les retours des premiers usagers pour parfaire leur offre. « On est dans une phase où on veut vraiment apprendre à connaitre les utilisateurs, ce qui fonctionne ou non, ce qui leur plaît ou ce qui ne leur plaît pas, explique Arthur Ceccaldi, fondateur de Hello Scoot’ et associé dans Wigo. Cette communauté, les premiers utilisateurs, ça va être les ambassadeurs de Wigo, on veut être très proche d’eux, les encourager au maximum à nous faire des retours, pour qu’on ait d’ici la rentrée scolaire ou le mois de septembre, une application qui soit complètement fonctionnelle, avec un maximum de fonctionnalités ».
La fonctionnalité centrale, elle, est déjà au rendez-vous. Les utilisateurs, une fois enregistrés gratuitement, déclarent les trajets qu’ils comptent effectuer avec des places libres dans leur voiture. Ou bien les déplacements sur lesquels ils cherchent à être transportés, à Tahiti comme dans les archipels. Wigo fait le lien entre ces conducteurs et ces passagers, leur permet d’afficher leurs préférences (radio, musique, ou pas, envie de discuter ou pas, fumeur ou non-fumeur…), de chatter entre eux, et de choisir « en toute sécurité » avec qui ils vont voyager. Les conducteurs fournissent un numéro de permis et d’assurance et tous les inscrits qui ne respectent pas la charte de bonne conduite peuvent être exclus, précise les concepteurs. Surtout l’application calcule automatiquement, pour chaque trajet, le montant de la participation du ou des passagers. 10 francs le kilomètre, voilà le tarif fixe, qui doit permettre de couvrir une partie des frais.
C’est la différence avec d’autres plateformes, qui proposent de fait aux conducteurs de gagner de l’argent en embarquant des passagers, notent les promoteurs de la plateforme. Notamment Niu Car, lancée début 2023 comme un Uber polynésien, et qui se revendique aujourd’hui du covoiturage pour tenter de passer entre les mailles d’une règlementation polynésienne très protectrice des taxis. « Le principe d’un covoiturage, c’est que le conducteur effectue le trajet pour ses besoins personnels, il ne s’agit pas de générer des nouveaux trajets, insiste Arthur Ceccaldi. Et puis il y a une notion financière importante : il s’agit de partage des frais, pas d’une activité rémunérée ».
Trajets « sans commission » vers le bureau, la maison, les soirées ou les évènements
Sur l’appli, « Corinne C. » propose déjà des trajets quotidiens entre le PK16 et le tribunal. « Hereiti T. », qui aime discuter et écouter de la musique, peut prendre jusqu’à deux personnes à l’Hyperbrico de Punaauia vers Fare Ute, à 6h45 du matin. Coût de la course : 144 francs, que les passagers pourront payer, dans un premier temps, grâce aux 500 francs de crédit offerts par la plateforme… Ou plutôt par le gouvernement, puisqu’une partie des 49 millions de subventions, aussi versés pour développer l’interface et assurer la communication, est destinée à ces « gratifications ». C’est quoiqu’il en soit ce genre de « petits trajets » du quotidien, notamment entre la maison et le travail, que Wigo veut viser. L’application peut aussi avoir un intérêt particulier pour faire l’aller-retour vers les grands évènements publics, pour aller à la plage, rentrer à la Presqu’île ou revenir de soirée… Quoiqu’il arrive, aucun frais n’est appliqué par la plateforme sur les participations versées par les passagers. « Lorsque que tu crée ton covoiturage, le montant qui apparait sur ton application, c’est ce que tu touches réellement dans ta poche, explique Nolann Charles, l’autre fondateur de Wigo, qui avait commencé à lancer l’appli en Nouvelle-Calédonie, avant la crise du nickel et celle des émeutes. Nous, notre ‘business model’, c’est de pouvoir inciter les entreprises à créer des budgets mobilités pour leurs salariés, et c’est sur la gestion de ces budgets qu’on va pouvoir prendre une commission ».
Pour les entreprises, une question de « responsabilité »… et d’économies ?
Des contacts ont donc été pris avec de nombreux employeurs privés et publics à qui la plateforme est présentée comme un « outil de ressources humaines » mais aussi de « responsabilité sociétale et environnementale de l’entreprise ». Et à entendre les promoteurs de la plateforme, les retours sont positifs : Wigo attend des signatures de contrats « pour bientôt ». « Aujourd’hui le coût induit de la voiture personnelle, quand on est salarié, il est énorme. On doit payer l’entretien de la voiture. On doit payer l’essence, on doit payer les pneus. On doit payer éventuellement un parking. On a des petits accrocs, se garer, trouver une place de parking, c’est de l’anxiété… Tout est compliqué autour de la voiture, reprend Arthur Ceccaldi. Et plus l‘entreprise va prendre une part de responsabilité pour accompagner ses collaborateurs à réduire leurs dépenses de transport, à participer à moins de pollution, moins d’embouteillage, plus elle va prendre part à ce projet de covoiturage, plus on aura un impact fort sur la qualité de vie de chacun ». Parmi les bénéfices mis en avant auprès des employeurs : « moins de places de parking à prévoir, moins de retards, moins d’absences »… « Et puis potentiellement ça vaut aussi peut-être un peu moins d’augmentation de salaire parce qu’avec un peu de covoiturage, ma voiture me coûte un peu moins cher et je m’y retrouve aussi », complète le responsable.
Reste à savoir si les habitudes – celle d’être seul dans sa voiture, comme la plupart des automobilistes coincés dans les bouchons le matin – n’auront pas la vie trop dure. Pour atteindre les 25 000 utilisateurs, l’objectif à moyen terme, Wigo met en avant la convivialité – « payez moins, parlez plus », donc – l’esprit d’entraide, notamment au sein des quartiers, le bénéfice pour les conducteurs qui peuvent utiliser leurs crédits pour payer des trajets en tant que passagers ou virer le total sur leur compte bancaire, les bénéfices sur l’environnement, le gain de temps, dans certaines situations… Mais aussi, bien sûr, l’effet que peut avoir une utilisation massive du covoiturage sur la circulation. Le gouvernement surveille d’ailleurs le développement de cette start-up subventionnée : une étude a été lancée pour mesurer sa popularité et ses effets, et identifier les freins au développement de ce genre d’activité.