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CTC : Air Tahiti Nui « subit le pilotage contradictoire du Pays »

Le rapport de la Chambre territoriale des comptes sur Air Tahiti Nui, dont la publication doit intervenir après le prochain conseil d’administration de la compagnie, n’est pas tendre avec les gouvernements Fritch et Brotherson. La stratégie touristique du Pays, qui veut booster la fréquentation, n’est « pas compatible avec l’impératif d’équilibre des comptes de la compagnie » en butte à une concurrence accrue provoquée… par le Pays. La CTC estime que la mission historique de levier de développement économique de la compagnie est remise en cause puisqu’elle ne transporte plus qu’à peine 40% de la clientèle internationale. 

La Chambre territoriale des comptes s’est intéressée à Air Tahiti Nui et sa place dans la promotion touristique sur la période 2018-2022. Un rapport d’observations qui doit, avant d’être publié, être présenté au prochain conseil d’administration, prévu pour le 2 avril prochain, dont l’ordre du jour est la clôture des comptes 2023 et, justement, la présentation de ce rapport que Radio1 s’est procuré. Et qui questionne la cohérence de la stratégie touristique du Pays, que ce soit avant ou après les dernières élections.

Une part de marché « peau de chagrin »

Au-delà des constats que tout le monde connaît – un marché intérieur limité et une clientèle touristique qui représente 66% de ses passagers, le souvenir « d’arbitrages politiques » en 2004 qui ont présidé aux coûteux échecs des lignes vers Sydney et New York,  l’ouverture du ciel polynésien à des compagnies concurrentes qui a réduit la part de marché d’ATN à 39,5%, et son coefficient de remplissage « aux alentours de 60% »,  le coût de la dernière grève et des revalorisations qui l’ont suivie, l’ouverture récente de la ligne vers Seattle « dont la rentabilité n’est pas encore avérée » ou encore le rétablissement de la desserte du Japon qui n’a pas non plus fait ses preuves financières –  c’est bien la cohérence du pilotage d’ATN par le Pays (qui détient près de 85% des parts et 9 des 15 sièges du conseil d’administration), qui est remise en cause par la chambre territoriale des comptes au vu des nouvelles ambitions en matière de tourisme.

Une ouverture du ciel polynésien peu réfléchie ? 

Aujourd’hui, neuf compagnies internationales desservent le territoire sur 6 destinations directes. En 2018 le Pays, tout entier tendu vers son objectif de 300 000 touristes par an, n’aurait pas bien fait ses devoirs, estime la CTC : « L’évaluation a priori des conséquences de la surcapacité induite par l’ouverture depuis 2018 de nouvelles lignes vers et depuis la Californie n’a pas été conduite par les services du Pays.» À l’époque, le gouvernement affirmait qu’il ne pouvait s’opposer à l’arrivée de nouveaux transporteurs sans craindre de représailles de la part des autorités américaines, mais certains pensent que le Pays n’a pas suffisamment défendu sa petite compagnie alors que le principe de réciprocité n’a que peu de sens face à des géants du transport aérien. Pour le gouvernement Fritch, l’afflux de visiteurs était une bonne manière de montrer des résultats probants en matière de tourisme.

Le président du Pays, en réponse aux observations provisoires, « s’est félicité que la compagnie soit soumise à la concurrence, car ‘cela permet de repenser son modèle économique et de s’adapter en offrant une bonne qualité de service ». La CTC ne prend pas les choses aussi légèrement que Moetai Brotherson : la taille très réduite d’Air Tahiti Nui par rapport à ses concurrents ne lui laisse que d’étroites marges de manœuvre pour « repenser son modèle économique ». « Dès lors, le Pays doit assumer pleinement son rôle d’autorité régulatrice du ciel polynésien s’il souhaite la préserver. » La CTC dénonce donc« un pilotage contradictoire » du Pays.

Un « phénomène d’éviction » des clientèles hors USA 

Ces 15 dernières années, la Polynésie a perdu 27% de ces capacités hôtelières. Parallèlement, l’augmentation de l’offre aérienne a favorisé une guerre des tarifs qui a divisé par deux, entre 2019 et 2023, la rentabilité de la ligne Tahiti-Los Angeles, traditionnellement la seule réellement rémunératrice. L’afflux de la clientèle américaine, qui préfère les séjours à l’hôtel, réserve longtemps à l’avance, et dispose d’un plus fort pouvoir d’achat, a fait augmenter les tarifs hôteliers et favorisé un « phénomène d’éviction » des autres clientèles (y compris locales). Sur ce point la chambre territoriale des comptes n’épargne pas non plus les professionnels de l’hôtellerie, investisseurs et exploitants, focalisés sur la clientèle « high-yield » américaine, qui ont « une coresponsabilité dans la diversification des marchés soit par la création de capacités supplémentaires, soit par la réservation de créneaux spécifiques, chaque marché présentant des calendriers de réservation différents. »  Mais rien n’oblige le secteur privé, déjà fâché des nouvelles dispositions en matière de défiscalisation, à se priver de ses meilleurs clients, même dans le cadre d’une stratégie plus globale et plus concertée que la CTC appelle de ses vœux.

Une mutation en compagnie « premium »? 

Même si ATN a réorienté son action, avec un certain succès, sur la ligne Tahiti-Paris et sa clientèle plus « affinitaire » qui s’oriente plus facilement vers les meublés de tourisme, cette stratégie montre déjà ses limites ; et faute de capacité hôtelière supplémentaire, ATN pourrait, dès 2025, modifier ses cabines pour « monter en gamme » et « améliorer son revenu par passager transporté. » Une éventualité approuvée par le président du Pays, mais que la CTC tempère en rappelant que « la compagnie a depuis sa création vocation à rester accessible aux familles polynésiennes par des tarifs en classe économique abordables. »

L’aéroport international des Marquises, un problème de plus ? 

Les magistrats financiers mettent aussi en garde contre les conséquences pour ATN de deux projets phares du gouvernement Brotherson : la création d’un aéroport international aux Marquises, « qui aurait certainement des conséquences sur les conditions d’exploitation de la compagnie, éléments qu’il conviendra d’anticiper dès les phases d’étude préalables » ; et l’objectif de 600 000 touristes par an qui « imposerait un changement radical de dimension et de stratégie » et « nécessiterait de mobiliser des financements sous un format inédit, en particulier à cause d’un redéploiement possible de la flotte. »

Peu d’espoir pour de « nouveaux relais de croissance »

La Chambre territoriale des comptes ne fait qu’une recommandation : « documenter à chaque fois que nécessaire les éléments financiers analytiques prévisionnels relatifs à la recherche de nouvelles lignes, afin de les présenter en amont aux instances dirigeantes. » Mais la CTC semble peu optimiste, dans l’état actuel des choses et au vu des expériences passées, sur la capacité à «identifier de nouveaux relais de croissance autres que sur le seul tronçon entre Tahiti et l’Amérique du Nord » à court terme.

Contacté par Radio1, le P-dg d’Air Tahiti Nui Michel Monvoisin n’a pas souhaité s’exprimer. « Je déplore que le rapport ait fuité avant même qu’il ne soit présenté en conseil d’administration », dit-il seulement. Il doit sûrement, comme le fait la chambre territoriale des comptes en conclusion de son rapport, regretter que « le président du Pays ne se soit pas prononcé sur l’enjeu primordial qu’est celui de la compatibilité entre la stratégie touristique et les impératifs d’équilibre des comptes de la compagnie. »

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